Tristan et Iseut : deux héros mythiques, une romance bouleversante d’origine celtique qui s’est diffusée dans l’Europe entière. Cette légende emblématique propose-t-elle seulement de grands sentiments et du merveilleux ? Voyons comment elle dépeint la société féodale et le monde de la chevalerie.
Tristan et Iseut, un amour irrésistible
Devenu orphelin, Tristan est recueilli par son oncle Marc, roi de Cornouailles. En tant que valeureux chevalier, il est envoyé en Irlande pour débarrasser le pays du géant Morholt, devenu la terreur de la population. Il sort victorieux de l’affrontement mais blessé grièvement, il a recours aux soins de la blonde Isolde ou Iseut, la nièce du géant. Celle-ci le soigne mais elle ignore que Tristan a tué son oncle. Tristan fuit le pays après sa guérison, craignant d’être découvert. Sa victoire lui vaut la sympathie du roi Marc de Cornouailles, mais les barons pris de jalousie, incitent le roi à se marier afin d’avoir un héritier et ainsi écarter Tristan.
Une mèche de cheveux blonds se pose un jour sur une hirondelle. Le roi Marc promet d’épouser celle à qui appartiennent ces cheveux. Tristan regagne la Cornouailles en compagnie d’Iseut la Blonde, dont il a reconnu les cheveux. Ainsi pourra-t-elle épouser Marc de Cornouailles, son oncle si bienfaisant.
Dans le même temps, la mère d’Iseut la Blonde avait préparé un philtre d’amour à l’intention de sa fille et du roi Marc. S’adressant à sa servante Brangien, elle dit, selon la version recomposée en 1900 par Joseph Bédier, philologue romaniste :
« Mais, quand viendront la nuit nuptiale et l’instant où l’on quitte les époux, tu verseras ce vin herbé dans une coupe et tu la présenteras, pour qu’ils la vident ensemble, au roi Marc et à la reine Iseut. Prends garde, ma fille, que seuls ils puissent goûter ce breuvage. Car telle est sa vertu : ceux qui en boiront ensemble s’aimeront de tous leurs sens et de toute leur pensée, à toujours, dans la vie et dans la mort. »

Sur le chemin du retour, Tristan et Iseut boivent le philtre d’amour que leur propose la servante par erreur. À partir de ce jour, les deux jeunes gens tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Le mariage entre Marc et Iseult est célébré mais l’amour entre Tristan et Iseut la Blonde ne s’éteint pas.

Chassé par son oncle, Tristan se réfugie dans la forêt où il retrouve sa bien-aimée. Les deux amants sont découverts. Tristan décide d’aller vivre à l’étranger. Il épouse une autre femme, appelée Iseut aux Blanches Mains, une princesse armoricaine, mais il ne parvient pas à oublier son premier amour. La reine Iseult est incapable elle aussi de taire sa passion pour le neveu de son époux.

Un amour éternel qui transcende la mort
Tristan est de nouveau blessé au combat. Il fait appel à Iseult la Blonde, qui seule a la capacité de le soigner. Elle doit revenir en bateau. Les deux amants adoptent la consigne suivante : une voile blanche sera le signe de l’arrivée de Iseult. Une voile noire sera le signe de son absence.
La femme de Tristan, Iseut aux Blanches Mains, dévorée par la jalousie, annonce à son mari une voile noire alors qu’Iseult est sur le point d’arriver à destination. Tristan, désespéré, affaibli, se laisse mourir de tristesse, se croyant trahi. Iseult se rend à son chevet. Elle meurt à son tour dans ses bras, ne supportant pas la disparition de l’être aimé. La légende raconte qu’une ronce a poussé sur la tombe des deux amants :
« …pendant la nuit, de la tombe de Tristan jaillit une ronce verte et feuillue, aux forts rameaux, aux fleurs odorantes, qui, s’élevant par-dessus la chapelle, s’enfonça dans la tombe d’Iseut. Les gens du pays coupèrent la ronce : au lendemain elle renaît, aussi verte, aussi fleurie, aussi vivace, et plonge encore au lit d’Iseut la Blonde ». Telle est la version du Roman de Tristan et Iseut, réécrit par Joseph Bédier, déjà cité plus haut. Elle correspond à la croyance selon laquelle les ronces sont le symbole de l’amour éternel…
L’esprit de la chevalerie
L’histoire de Tristan et Iseut, mondialement connue et considérée comme l’un des mythes fondateurs de l’Occident, a commencé à se diffuser à l’époque médiévale, où la prééminence des valeurs chevaleresques était de mise. Concernant ces valeurs, le professeur Nigel Saul, expert en études médiévales à l’Université de Londres explique : « … il s’agit davantage d’un système de valeurs aristocratiques, une collection de qualités idéales : honneur, courage, loyauté. »
La légende de Tristan et Iseut pose les fondements de la romance dédiée à l’amour. Parallèlement, les deux personnages principaux incarnent des manquements notoires aux valeurs chevaleresques si chères à la société médiévale.
Le courage, valeur clé de la chevalerie
Le chevalier se distingue avant tout par sa bravoure et ses prouesses, aussi bien sur le champ de bataille que dans la vie de tous les jours et Tristan ne déroge pas à la règle. Il n’hésite pas à aller combattre de terribles géants qui sèment le chaos dans la population irlandaise. Il sort victorieux du combat. La qualité première d’un chevalier est son courage qu’il met au service d’une générosité légendaire. Il défend avec ardeur la veuve et l’orphelin, en un mot, les plus faibles.
Le code de l’honneur
Tristan enfreint les lois de la féodalité : il trahit son roi dont il est le vassal et le neveu, qui plus est. Les valeurs chevaleresques de base, à savoir la fidélité et l’honneur sont bafoués, ce qui conduit à la tragédie et au chaos. Il est conscient de ses faiblesses et le déplore :
« Bel oncle, qui m’avez aimé orphelin avant même de reconnaître le sang de votre sœur Blanchefleur, vous qui me pleuriez tendrement, tandis que vos bras me portaient jusqu’à la barque sans rames ni voile, bel oncle, que n’avez-vous, dès le premier jour, chassé l’enfant errant venu pour vous trahir ? Ah ! qu’ai-je pensé ? Iseut est votre femme, et moi votre vassal. Iseut est votre femme, et moi votre fils. Iseut est votre femme, et ne peut pas m’aimer. »
Loyauté et maîtrise de soi
Iseut, en trompant son mari, vit une situation délibérée d’adultère qui dérange l’ordre moral et religieux de l’époque. Les us et coutumes féodales sont là aussi bafoués. De plus, les codes de l’amour courtois, basés sur un amour platonique plus poétique que réel, ne sont pas non plus respectés. Un autre désordre vient s’ajouter aux autres : le désordre culturel. La loyauté, autre élément incontournable de l’esprit de chevalerie, est mise à mal qu’il s’agisse de Tristan ou d’Iseut.
Par ailleurs, le chevalier doit être capable de dominer ses passions, de les dépasser. Tristan, à l’instar de Lancelot, célèbre chevalier de la Table ronde, succombe à l’amour d’une femme. Cependant Tristan est conscient de ses failles et de sa culpabilité. En dépit de ses nombreuses tentatives, il ne parvient pas à dépasser ses sentiments. Le destin symbolisé par le philtre magique semble le plus fort.
D’autre part, l’amour que ressent le couple mythique produit de la jalousie. L’amour fou, irraisonné et passionnel conduit à la mort et à la destruction, comme le laisse entendre la servante responsable de l’erreur fatale : « La force de l’amour vous entraîne et jamais plus vous n’aurez de joie sans douleur » et nous pouvons lire quelques lignes plus loin : « Dans la coupe maudite, vous avez bu l’amour et la mort ! »
Ces extraits proviennent de la source citée plus haut : il s’agit de la reconstitution écrite par Charles Marie Joseph Bédier en 1900. Il a réussi à réunir les fragments des œuvres de Béoul, Thomas et Marie de France datant du XIIe siècle. En revanche, les écrits de Chrétien de Troyes ont disparu.
D’une portée universelle, la légende de Tristan et Iseut a traversé les siècles. Bien ancrée dans son époque, elle souligne l’étendue des valeurs chevaleresques et leur importance pour le maintien d’une société équilibrée. Peut-être avons- nous des leçons à tirer de ces lointaines romances du Moyen Âge.
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