Le tissage traditionnel de la soie, une affaire de famille chez les de La Calle
Virgile de la Calle se souvient que leurs parents les ont toujours poussés à comprendre les processus de création, à s’intéresser à l’art, à la confection, et à la conception de l’art de manière générale. La mission pédagogique de Romain et Virgile de La Calle inclut donc également naturellement la narration technique et historique des métiers autour de la soie.

Dans leur atelier rue Mourguet, Les Soieries Saint Georges, possèdent en fonctionnement, deux « métiers à tisser traditionnels, dits Jacquard », datant du XIXe siècle qui ne sont pas du tout électrifiés. Un de leur métier est monté pour du velours, l’autre métier à tisser l’est pour du brocart d’or, d’argent et de soie. Les Soieries Saint Georges possèdent aussi un troisième métier à tisser qui est monté dans la deuxième boutique, rue Saint Jean. Celui-ci n’est pas encore en fonctionnement mais la famille espère le voir renaître dans les années futures. De plus, leur père dispose d’autres matériels anciens démontés chez lui dans la région du Beaujolais.
Comme nous l’indique les deux frères : « Les " métiers Jacquard ", plus exactement dits "mécanique Jacquard " concernent la partie haute du métier à tisser qui a été inventée par le lyonnais Joseph Marie Jacquard, aidé du menuisier Jean-Antoine Breton, en 1801. Il s’agit à proprement parler du premier système mécanique programmable avec des cartes perforées, souvent considéré comme l’origine de l’ordinateur ou du robot ».
Virgile de La Calle précise : « Pour quelle raison la "mécanique Jacquard " est-elle si puissante à l’époque ? C’est parce que justement vous allez coder votre motif sous forme de binaire. L’emplacement des trous dans les cartes perforées, c’est ce qui crée le motif, c’est pour cela que c’est plus pratique que les métiers à tisser qui existaient auparavant, que l’on appelle " métiers à la grande tire " car ces derniers nécessitaient la présence de plusieurs ouvriers textile spécialisés, dont le tisseur qui passe la trame, mais aussi plusieurs tireurs de lin, pour manipuler toutes les ficelles et lever ainsi une partie des fils de chaîne. Avec le " métier à tisser Jacquard ", il n’y a qu’un seul tisseur et une partie mécanique, il est donc évident que c’est beaucoup plus facile de gérer le métier à tisser, tout seul
Jacquard a utilisé deux inventions qui existaient déjà et les a combinées astucieusement pour mettre en place les cartes perforées.Ce sont les cartes perforées qui créent le dessin, c’est-à-dire qu’il existe des planches de dessins techniques avec des lignages dessinés, certains dessins techniques sont peints également. Ce sont des pièces de dessins très anciennes et chaque petite ligne du dessin sera lue. Le tisseur regardera où passe la couleur, combien de couleurs sont nécessaires pour un même dessin et par rapport à cela, le tisseur réalisera les cartes perforées. Si vous avez 300 lignes différentes, vous aurez donc 300 cartes perforées correspondantes. »
Il est dit dans l’histoire lyonnaise que Joseph Marie Jacquard aurait regretté toute sa vie les conséquences de son innovation qui au départ, avait surtout pour but de limiter le travail des enfants à cette époque. En effet, ces derniers durent trouver tout de même du travail dans d’autres usines où les conditions de travail souvent étaient difficiles.
Retenez, chers amis lecteurs, que Lyon, ville stratégique concernant les échanges commerciaux en Europe, fut très florissante dès la Renaissance. Elle fut reconnue essentiellement dans les secteurs de la soierie et de l’imprimerie. L’ancienne capitale des Gaules traversa également de nombreuses épreuves historiques. Notamment, avec les guerres de religions et la Révolution Française. La ville sera un temps d’ailleurs, très affaiblie mais ce sera sans compter sur l’intervention et le soutien de Napoléon aux soyeux lyonnais qui interviendra quasiment en même temps que l’invention de la « mécanique Jacquard ».

Romain et Virgile de La Calle nous montrent le portrait de Joseph Marie Jacquard qui veille, dans son cadre, sur le mur. C’est très impressionnant car de prime abord, à nos yeux de non-initiés, il ne s’agit là que d’une illustration imprimée et installée dans un cadre. Que nenni, chers lecteurs ! Les frères nous invitent à nous approcher et à faire un zoom microscopique, un focus de très près et... surprise ! Émerveillement ! Il s’agit là, en réalité, de 19 000 lignes différentes, entrecroisées et tissées de fils blancs et noirs ! C’est une pièce tissée dans ce grand cadre qui se présente, en réalité à nous ! Époustouflant, pour les badauds que nous sommes. 19 000 lignes tissées, cela signifie donc 19 000 cartes perforées qui ont dû être créées et installées sur un métier à tisser avant de commencer le travail de tissage ! C’est vraiment la partie traditionnelle du métier Jacquard que voilà.
La mécanisation des métiers à tisser la soie avec l’essor de la Révolution Industrielle
Fin XIXe siècle, avec la Révolution industrielle et l’arrivée de l’électricité, la mécanisation se développe. Dans un premier temps, il y aura toujours le système des cartes perforées sur les machines mais les navettes passeront beaucoup plus rapidement et puis ce sera enfin l’arrivée de l’ordinateur qui remplacera définitivement toute cette partie. Quoiqu’il en soit, précise Romain de La Calle, « Vous aurez toujours une chaîne de soie, de laine, ou de coton, de ce que vous souhaitez. »

La sous-traitance tout naturellement
La seconde grande mission des Soieries Saint Georges est de favoriser le développement et la collaboration avec les entreprises familiales, locales et régionales lyonnaises.
Aujourd’hui, la majorité des ateliers lyonnais ou de la région utilisent des métiers mécanisés pour réaliser des tissages plus ou moins techniques, selon le besoin. Romain De La Calle nous confirme qu’une trentaine d’entreprises travaillent la soie à Lyon et qu’au moins la moitié possède des métiers mécanisés et qu’il existe de plus, environ 600 entreprises textiles dans la région Rhône-Alpes qui travaillent sur d’autres matières textiles.
« Nous avons donc la chance de collaborer avec plus d’une dizaine d’ateliers de la région, notamment des tisseurs et des imprimeurs pour créer des collections pour nos deux boutiques lyonnaises. Nous travaillons essentiellement sur des carrés, des foulards, des écharpes, des cravates, des nœuds papillons... », ajoute Romain de La Calle.
La famille de La Calle collabore ainsi avec toutes ces entreprises régionales et locales, car vous l’aurez compris, cela va ainsi beaucoup plus vite, en termes de tissage. Un réseau de professionnels et de collaborateurs de la soie s’est ainsi également « tissé » en région lyonnaise.

Romain de La Calle nous explique, par exemple, qu’il collabore avec un atelier nommé Sfate et Combier qui se trouve à une heure de Lyon. Cette entreprise possède environ une quarantaine de machines mécanisées. Ils sont également spécialisés dans les tissages de mousseline de soie. C’est-à-dire dans une qualité de soie très fine, très légère, et transparente. Les Soieries Saint Georges imaginent donc et créent avec cette entreprise des collections de soie répondant à certaines spécificités très techniques.
Les Soieries Saint Georges travaillent énormément également avec l’entreprise familiale TSD du quartier de la Croix-Rousse, non loin de la Maison des Canuts. Récemment, cette entreprise a déménagé une partie de ses métiers à tisser à 30 mn de Lyon, à Saint André de Corcy précisément, où ils utilisent une dizaine de métiers à tisser. Avec l’entreprise TSD, Romain De La Calle explique qu’ils collaborent beaucoup plus sur des collections de mélange de laine et de soie, surtout pour les écharpes, puisqu’il s’agit de leur propre spécialisation.
Les pièces exceptionnelles réalisées sur les métiers à tisser traditionnels Jacquard
C’est donc dans l’atelier rue Mourguet, sur des métiers à tisser traditionnels, vieux de plus de 200 ans, que sont exécutées la réalisation de commandes prestigieuses de certains clients, ainsi que du travail pointu en ameublement, tel que la rénovation de fauteuils anciens ou de tapisseries.

À cet effet, Romain et Virgile de La Calle nous ont présenté plusieurs pièces, dont deux qui ont été tissées par leur père. Tout d’abord, ils nous présentent la technique du brocart sur une très belle pièce qui est un mélange d’or, d’argent et de soie. Le brocart est vraiment une spécialité lyonnaise. C’est très fin en termes de tissage. Par jour, c’est seulement 5 à 10 cm de tissu qui seront produits dans l’atelier. C’est donc très long à tisser. La patience encore une fois est de mise.
La 2ème technique réalisée dans leur atelier, sur leur métier à tisser Jacquard, c’est le velours.
Romain de La Calle précise : « Le velours, c’est concrètement une technique de tissage, car ce petit effet de velours très doux peut être obtenu également avec du coton, de la laine, ou n’importe quel autre matériel. Ici, cette pièce est 100 % soie. En ce qui concerne le velours, lorsque vous avez différentes épaisseurs de velours comme sur cette pièce, cela ne peut être fait qu’à la main, il n’y a pas de métiers mécanisés qui vont pouvoir réaliser cela. C’est vraiment, de façon générale, conçu à Lyon, sur un métier Jacquard. »
Romain de La Calle poursuit : « Là, sur cette pièce, nous parlons de deux à trois centimètres de tissage par jour. C’est vraiment très long à réaliser. Sur le velours réalisé sur le métier à tisser de l’atelier, vont être insérées des petites tiges métalliques dans la chaîne de soie, ce qui créera une boucle de soie sur la tige métallique puis, grâce à un rabot et un petit outil avec une lame de cutter, le tisseur coupera, sur la tige métallique, la boucle pour créer le fil de velours derrière. C’est pourquoi cette pièce est exceptionnelle car sur cette pièce précisément vous avez différentes épaisseurs de velours. C’est plus contraignant puisqu’il ne faut surtout pas se tromper sur du velours. En effet, le fil est coupé, donc le tisseur doit être très précis au niveau de ses gestes ».

Fiers du travail de leur père
La troisième pièce de tissu, et la plus connue, reste l’échantillon le plus célèbre de l’atelier. Il se trouve ici dans l’atelier des Soieries Saint Georges, il s’agit d’un sublime tissu vert que nous présentent fièrement les frères. Il est uni, vert, mais c’est une pièce qui a été posée au Château de Versailles en tapisserie, le Château de Versailles connu dans le monde entier.
C’est bien Ludovic de La Calle qui l’a réalisé lorsqu’il travaillait chez les anciens, donc c’est une sous-traitance qu’il a accomplie avec différents ateliers. Sur ce type de tissu, le tisseur avance par 2 à 3 cm de tissage par jour. Pour fabriquer l’ensemble des pièces de Versailles, cela a pris des années aux différents ateliers. Ludovic de La Calle a travaillé essentiellement sur celui-ci. Cela constitue un travail monumental. Il est plus que légitime que les deux frères mettent fièrement en avant le travail spectaculaire de leur père pour le prestige de Versailles.
Nous ne pouvons ici, chers lecteurs, nous empêcher de faire un petit clin d’œil à la fabuleuse histoire mythologique d’Ulysse et sa loyale épouse Pénélope qui elle, n’achèvera jamais sa tapisserie sur son métier à tisser. Ludovic de La Calle mettra, lui, tout son cœur à l’ouvrage pour satisfaire les besoins colossaux de Versailles, durant 25 ans de sa vie.
Sur des pièces spécifiques telles que celles réalisées pour Versailles par leur père, les plus gros ateliers de sous-traitance sont les ateliers Prelle et l’atelier Tassinari et Chatel, derniers représentants des plus anciennes manufactures familiales lyonnaises d’étoffe d’ameublement. En effet, ces ateliers possèdent toujours des métiers Jacquard comme ceux des Soieries Saint Georges, toujours en fonctionnement, et ce, toute l’année dans la région lyonnaise. Ainsi, durant toute l’année, les tisseurs seront concentrés sur la pièce exceptionnelle qu’ils réaliseront, c’est pourquoi ces ateliers seront fermés au public, excepté pour Les Journées du Patrimoine.
Pour des choses très complexes comme le velours de Versailles, il faut rester très concentrés. Étant donné que Les Soieries Saint Georges n’ont que deux métiers à tisser Jacquard, il va de soi qu’ils ne peuvent pas avoir le même rythme de production que les gros ateliers. C’est pour cela que Les Soieries Saint Georges ouvrent au public et ont des boutiques pour compléter leurs revenus.
Collaboration Jade Lee
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