C’est en terre Picarde, région regorgeant de petits trésors, que nous vous emmenons aujourd’hui. La Picardie, région méconnue, regroupe trois départements que sont : La Somme, L’Aisne et l’Oise. C’est dans ce dernier que nous avons découvert, un jardin secret, fabuleux, niché au cœur du petit village médiéval, classé, de Gerberoy. Mais chut ! C’est par ici...Suivez-nous dans la Maison du Vidame... dans son Jardin Des Ifs monumentaux, datant du XVIIe siècle, dernier bastion, dernier royaume de l’art topiaire dit « monumental, du Jardin à la Française » ... pour y rencontrer Madame Delphine Higonnet, l’heureuse propriétaire de ce lieu intemporel.

Souvenirs d’un lieu hors du temps : le Jardin Des Ifs monumentaux
Lorsque nous arrivons au Jardin Des Ifs monumentaux, la propriétaire, Madame Delphine Higonnet, est aux petits soins auprès de ses visiteurs. Elle nous rejoint alors discrètement, au jardin pour nous conter son histoire et celle de ce lieu verdoyant atypique, gerboréen.
À l’origine, ce sont les parents de Madame Delphine Higonnet qui cherchaient désespérément une maison de campagne. C’est ainsi que durant dix ans, ils ont sillonné tout d’abord, la Bourgogne mais... n’ont rien trouvé...Il y avait toujours des contretemps. Et puis, un jour, en traversant le petit village de Gerberoy pour se rendre à Dieppe... Ils tombèrent sous le charme de cet endroit bucolique, comme de nombreuses autres personnes... En effet, il s’agissait d’un lieu hors du temps, intemporel, complètement préservé, mais qui pourtant, avait traversé de grandes épreuves au fil de l’Histoire. Ses parents demandèrent alors s’il y avait une maison à vendre au village, et cela a été décisif.


Madame Delphine Higonnet raconte : « Ce qui les a enchantés, charmés, c’est qu’à travers les petits carreaux de la porte d’entrée, ils ont aperçu ce jardin... C’était un peu comme dans le film Tous les matins du monde, qui vous transporte dans un temps très lointain, de l’esthétique française, avec cette régularité du Jardin à la Française, mais en même temps ces ifs monumentaux, cet équilibre entre les lignes droites et cette atmosphère bucolique... »
« À l’époque, mes parents ignoraient beaucoup de choses sur l’art du jardin, mais ils ont tout de suite été conquis par le charme de ce passé qui surgissait, là, sous leurs yeux. »
Madame Delphine Higonnet avait alors cinq ans, lorsqu’elle posa, avec ses parents, ses valises dans ce lieu hors du temps qu’est Gerberoy.

Elle se rappelle son arrivée au village : « J’y ai vu la vie du village, en fait, parce qu’à l’époque il y avait beaucoup d’enfants. Nous étions tout un clan. Nous allions dans la forêt construire des cabanes, mais je ne me suis pas intéressée tout de suite au jardin. Cependant, j’y voyais ma mère. Elle était toujours à s’afférer au jardin et je l’aidais. Elle disait que les femmes que nous voyons dans les magazines, avec les chaises longues et des cocktails au jardin, n’existaient pas pour elle, car le jardin, c’est un perpétuel recommencement. Il faut s’occuper de toutes les plantes, des mauvaises herbes... Il y a toujours quelque chose à faire. Mais, elle appréciait énormément ce lieu enchanté où, mon père et elle, recevaient leurs amis. Cela, je m’en souviens parfaitement. C’était vraiment un cadre agréable, détendu, où la famille aimait à se retrouver et adorait déjeuner, passer la journée... »

Des Ifs monumentaux et l’art topiaire au Jardin
Madame Delphine Higonnet introduit l’art du jardin dit, art topiaire : « L’art topiaire est peu connu en France. Il s’agit là de l’art de tailler les végétaux, de leur donner des formes... soit par la taille avec une cisaille, soit avec d’autres méthodes pour forcer les branches à prendre des formes. C’est un art qui nous vient directement des Romains. Ceux-ci adoraient l’art topiaire. »

En effet, chers lecteurs, l’art topiaire ou l’art des paysages a un but purement décoratif, à l’origine, pour dessiner les haies, les massifs, parfois sous différentes formes comme des animaux sauvages ou des modèles mythologiques. Dès le Ier siècle après Jésus Christ, Pline Le Jeune aurait surnommé ses esclaves-jardiniers, les Topiarus, ceux-ci taillaient déjà des massifs de buis aux initiales de leur maître. De nombreuses plantes peuvent être également utilisées en art topiaire comme le buis, le fusain, le cyprès, le laurier, entre autres, et bien sûr l’if puisque ce sont des arbres ou arbustes à feuilles persistantes, vertes toute l’année.
Au Moyen-âge, l’art topiaire est un peu abandonné, seuls des haies de buis subsistent dans les monastères ou abbayes afin de délimiter les jardins.
Madame Delphine Higonnet précise : « Et puis, il y a eu une nouvelle mode sous la Renaissance puisque nous retrouvons l’art antique. »
En effet, la Renaissance Italienne relancera cette mode de l’art topiaire et ce sera le français Philibert Delorme qui l’imposera en France, au XVIe siècle. Puis, André Le Nôtre, célèbre jardinier de Louis XIV, développera notamment les parterres de broderies végétales, ainsi que les labyrinthes topiaires dans ses fameux Jardins à la Française, essentiellement au XVIIe siècle. Les végétaux utilisés poussant très lentement, ils étaient très faciles à tailler, à structurer.

Un bel exemple, en France, de l’art topiaire, notamment dans l’art de la broderie végétale de buis, n’est autre que celui du jardin d’agrément du Château de Villandry. Certains jardins royaux conservent encore des massifs d’art topiaire, les jardins de Versailles en comptent plus de 700, par exemple, avec plus de 64 gabarits différents.

Mais ici au Jardin Des Ifs, il ne s’agit pas d’un simple art topiaire puisque les Ifs ici ont une taille impressionnante ! Ils sont gigantesques ! Monumentaux !
Fin juillet, les ifs de Madame Delphine Higonnet seront taillés. Ils le sont une fois par an, à cette période de l’été, fin juillet, début août, et ce, avant les périodes de gel et puis aussi pour respecter la période de reproduction des oiseaux.

Des Ifs monumentaux ancestraux
Le Jardin Des Ifs est un rare jardin historique de la fin du XVIIe siècle et demeure le plus ancien Jardin Français de topiaires dites, « monumentales », ouvert au public.
Madame Delphine Higonnet nous explique : « Pour connaitre vraiment l’âge des Ifs, il faudrait les percer, pour déterminer réellement leur ancienneté, pour savoir combien il y a de strates... Nous ne nous sommes pas résolus à faire cela car c’est très dangereux pour l’arbre. On estime donc qu’ils ont à peu près 300 ans.
Apparemment, ils n’ont jamais été malades. Ce qui est très étonnant avec ce jardin. »
Finalement, ce jardin a survécu :
- « Aux modes, puisque ce style-là a été balayé littéralement par l’arrivée de la mode des Jardins à l’anglaise, au milieu du XVIIIe siècle. Les bois auraient pu être utilisés pour se chauffer lors des grands froids. Ce jardin aurait pu ne pas être au goût du nouveau propriétaire, par exemple. Il aurait pu aimer un autre style de jardin.
- Aux épreuves historiques, aux guerres...
- Aux maladies : dans les années 2 000 sévissait par exemple, violemment partout en France et ailleurs, la pyrale du buis, une espèce introduite accidentellement dans des végétaux importés d’Asie qui dévastait les buis. En ce qui concerne les Ifs, nous avons eu très peur, ils ont quant à eux survécu aux araignées rouges...L’araignée rouge est mortelle pour les ifs et c’est très rapide. Nous avons eu un épisode par temps de canicule et il a fallu arroser les ifs la nuit parce que les araignées rouges n’aiment pas l’eau. Quatre ans plus tard, il y a toujours une cicatrice sur l’arbre qui est toujours visible. »
« Ce qui est beau ici, dans ce jardin, avec l’ensemble complet des Ifs, c’est qu’il existe une harmonie. S’il en manquait un seul, ce serait grave pour l’esthétique du jardin. Ils sont monumentaux, donc cela ne peut se remplacer. »

Deux Ifs monumentaux en forme de cloche existent dans ce jardin. Chaque cloche constitue à elle seule, un seul et même individu, un seul arbre.


Un If, dit igloo, forme à lui seul, une grotte végétale au centre du jardin. Celui-ci par contre est composé de sept Ifs plantés en arc de cercle. Le visiteur peut se rendre à l’intérieur et pour un instant suspendu, hors du temps, comme s’il était dans un autre espace, se prendre peut-être pour le célèbre personnage de Lewis Caroll : Alice au Pays des Merveilles. Les branches de l’If-Igloo sont enchevêtrées, tressées autour d’une structure métallique. Cette technique appelée « palissage », consiste à attacher les branches à des tuteurs ou sur des fils de fer afin de leur donner une certaine direction de pousse.
Une certaine vision du bonheur au Jardin Des Ifs, une bulle de sérénité
Il paraîtrait, chers lecteurs, que le jardin chinois traditionnel symbolise le paradis dans le monde, qu’il s’agit de la création d’un univers en miniature... Que le Jardin japonais, épuré, sobre, symbolise la contemplation, le détachement, la méditation...Le jardin semble donc bien un être vivant, une composition végétale culturelle, à qui la main de l’homme semble imposer ses choix, limités tout de même par le rythme de cette même végétation.
Madame Delphine Higonnet nous livre sa vision du bonheur.
« Le jardin dans toutes les cultures est un paradis, c’est un rêve humain de paradis, c’est l’homme qui le crée. On dit que c’est un espace de convergence de la nature et de la culture, donc c’est un lieu artificiel puisque c’est l’homme qui conçoit, qui plante, qui trace des traits, qui taille les arbres... C’est une vision du bonheur d’un petit paradis, protégé de ce monde, du chaos extérieur. Le jardin médiéval, par exemple, est un jardin clos de murs, fermé. »


À cet effet, une troisième partie de la propriété de Madame Delphine Higonnet est d’ailleurs dédiée au Jardin Médiéval du Moyen-Âge, où se trouve un verger constitué de pommiers et d’autres arbres fruitiers, dont les pieds sont entourés d’herbes aromatiques, ainsi qu’une quarantaine de variétés de rosiers, complétant le jardin-bouquetier.
Le Jardin Des Ifs monumentaux : un jardin d’agrément
Madame Delphine Higonnet adore son lieu de vie, son lieu de travail, son jardin d’agrément.
« À l’époque, le jardin d’agrément : c’était un luxe, c’est le cas ici. C’était le seul jardin de Gerberoy, car ailleurs les maisons étaient plus petites. Et puis, Gerberoy est bâtie sur une colline, donc il n’y a pas beaucoup de parcs, de terrains. Le jardin d’agrément est un luxe car c’est un lieu uniquement pour le plaisir, pas pour être utile pour se nourrir comme dans les autres jardins de Gerberoy tels que les potagers, les vergers... Ici, au Jardin Des Ifs, à l’origine, c’était un lieu de promenade, des personnalités importantes étaient accueillies. En effet, la maison a été habitée par une succession de ce qu’on a appelé les Vidames. Il s’agissait d’une sorte de préfets, à l’époque. Les Vidames représentaient les évêques de Beauvais auxquels appartenait toute la région, de 1015 jusqu’à la Révolution. Le Vidame était le premier personnage de la ville et il était le seul à avoir le droit de bénéficier d’un jardin d’agrément, destiné aux plaisirs, puisqu’il possédait la plus grande maison de la ville. Voilà, c’est cela l’agrément. »
Le Jardin Des Ifs, un prolongement de la maison du Vidame
« Le Jardin Des Ifs monumentaux est une pièce supplémentaire de la maison. Il a exactement la même taille que celle de la maison. Dans le jardin à la française est utilisé d’ailleurs le vocabulaire de la maison. Nous parlons par exemple de " salon de verdure ". Il y a un axe central qui est celui de l’entrée principale de la maison, son prolongement extérieur. Et puis, il y a deux pelouses qui sont deux tapis de verdure. »
Chers lecteurs, ainsi, l’ensemble s’appelle bien un « salon de verdure » pour les puristes du jardin à la française, selon les conventions fixées à l’époque, par André Le Nôtre, jardinier de Louis XIV.
Madame Delphine Higonnet assure : « C’est une vraie extension de la maison en plein air. »
« La maison date de 1744, époque de Louis XV. Elle a conservé ses boiseries. Elle a été maintenue au maximum dans son allure ancestrale. »

Utilisation des Ifs en cancérologie et cardiologie
Il faut savoir chers lecteurs, que les Ifs sont toxiques à la consommation pour les chevaux et les vaches, par contre, du Taxus Baccata, soit l’If Européen, on tire le paclitaxel, une molécule que l’on trouve dans des extraits de certaines espèces d’Ifs. Cette molécule est utilisée en chimiothérapie anticancéreuse (cancer du poumon, du sein et de l’ovaire principalement) et en cardiologie, sur certains stents.
Madame Delphine Higonnet nous relate une période importante de la vie des Ifs.
« Lorsque l’on faisait tailler les Ifs à une époque, il y avait une société qui venait ramasser les parties coupées, pour les emmener très très rapidement à l’industrie pharmaceutique. C’était un peu comme un don d’organes. Il fallait que cela arrive très vite afin d’extraire cette fameuse molécule anticancéreuse. Aujourd’hui, cette société ne vient plus, j’imagine qu’ils ont dû trouver la molécule de synthèse. Mais vous voyez comme une plante peut être d’usages différents. C’est incroyable. »

Jardin Des Ifs : atout prix
Le Jardin Des Ifs monumentaux a tout de suite été reconnu, comme une rareté dans l’univers des jardins et a reçu de nombreux Prix.
Comme nous le rappelle Madame Delphine Higonnet : « Le Jardin Des Ifs monumentaux est rarissime, il a été labellisé “ Arbres remarquables ”, tout de suite, par l’Association des Arbres Remarquables, présidée par Monsieur Georges Feterman. »
Chers lecteurs, sachez que Monsieur Georges Feterman est professeur agrégé de Sciences Naturelles, auteur de nombreux ouvrages sur les arbres et à l’origine de la création du label Arbre remarquable de France.
Madame Higonnet poursuit : « Ensuite, le jardin a été labellisé Jardin Remarquable, un prix attribué par le Ministère de la Culture, et puis, l’Association internationale, spécialiste de l’art topiaire, qui s’appelle E.B.T.S (European Box Of Topiar Society) en 2018, nous a décerné le Prix de l’Art Topiaire.
« L’If-Igloo, qui représente à lui seul une grotte végétale pouvant contenir une dizaine de personnes a reçu quant à lui, le Prix de l’Arbre de l’année 2017, au Concours national organisé par l’Office National des Forêts. »
Ainsi, les Ifs monumentaux du Jardin Des Ifs font partis, désormais des archives del’Histoire des jardins de France et constituent un très bel atout pour le patrimoine des Jardins, dits à la Française, sans oublier bien sûr, l’attribution d’une belle étoile au « Guide Vert Michelin », avec la mention « à voir ».
Bien que le Jardin Des Ifs monumentaux n’ait pas de prix puisqu’il est d’une valeur inestimable, il est désormais de renommée internationale, avec tous ces prix reçus humblement.

Collaborateur Jade Lee
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