Pendant des années, le gouvernement britannique a peiné à définir l’ampleur et la nature de la menace sécuritaire que représente le Parti communiste chinois (PCC). Mais, actuellement, il prend conscience de l’existence d’un réseau de renseignement chinois en pleine expansion.
Cette prise de conscience a été mise en lumière lorsque deux citoyens britanniques, Christopher Cash et Christopher Berry, ont été accusés d’espionnage au profit de Pékin, avant que les procureurs ne retirent les charges retenues contre eux.
Cette affaire a relancé le débat sur la pertinence de la loi sur les secrets officiels (Official Secrets Act) et a révélé un dilemme plus profond : comment les services de renseignement chinois opèrent-ils précisément dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, et leurs activités se sont-elles déjà étendues bien au-delà de l’espionnage traditionnel ?
À un certain niveau, les services de renseignement chinois s’appuient encore sur des méthodes dignes de la guerre froide : utilisation de diplomates comme couverture, recrutement d’informateurs et infiltration des institutions britanniques.
Les témoignages recueillis lors de l’enquête Cash-Berry ont décrit comment des agents chinois ont cherché à obtenir des informations auprès de décideurs et de fonctionnaires.
Cependant, comme l’a averti Sir Ken McCallum, directeur général du MI5, la menace que représente Pékin « ne saurait se réduire à de simples espions infiltrés dans les ambassades jouant les personnages de Le Carré ».
Le véritable enjeu réside dans la manière dont les services de renseignement chinois intègrent leur levier économique, l’acquisition de technologies et le renforcement de leur influence dans une stratégie unique.
Avec un effectif estimé à un demi-million d’agents de renseignement à travers le monde, le réseau d’espionnage chinois opère à une échelle inégalée par aucun autre pays.
Selon les analystes, sa mission première est de préserver le pouvoir du Parti communiste, en façonnant le discours destiné à l’international, en réprimant la dissidence et en s’assurant le contrôle des données et des technologies qui sous-tendent la croissance de la Chine.
Influence politique et répression transnationale
Les efforts des services de renseignement de Pékin se concentrent de plus en plus sur l’influence plutôt que sur le vol.
En janvier 2022, le MI5 a émis une alerte à l’ingérence inédite, accusant Christine Lee, avocate basée à Londres, d’agir pour le compte du Département du travail du Front uni du PCC et de tenter d’influencer le Parlement.
Bien que Mme Lee ait nié les accusations et porté plainte, l’affaire a révélé une stratégie plus large : cultiver des relations avec des politiciens locaux dès le début de leur carrière, dans l’espoir de façonner leurs opinions à mesure qu’ils accèdent au pouvoir.
Des responsables du MI5 ont averti que Pékin « investit dans la patience », en en ancrant son influence à différents niveaux de gouvernement.
Parallèlement, la campagne de répression transnationale menée par la Chine s’est étendue au Royaume-Uni.
Des militants hongkongais, des militants tibétains et d’autres exilés signalent être surveillés et harcelés.
Le MI5 a confirmé que la police de Hong Kong avait mis à prix la tête de plus d’une dizaine de défenseurs de la démocratie basés au Royaume-Uni, soulignant la volonté de Pékin d’exercer des pressions à l’étranger.
À l’ère numérique, les cyberopérations sont devenues le pilier des activités de renseignement de la Chine.
L’ancien Premier ministre Rishi Sunak a qualifié Pékin de « défi sécuritaire majeur de notre époque ».
En août 2025, Londres et les gouvernements alliés ont confirmé l’existence d’une campagne connue de longue date sous le nom de codeSalt Typhoon («Typhon de sel »), qui a permis d’infiltrer les réseaux de télécommunications du monde entier.
Le Centre national britannique de cybersécurité (NCSC) a averti que les données volées pourraient permettre à la Chine de suivre les communications et les déplacements à l’échelle mondiale.
Contrairement à l’espionnage traditionnel, l’ambition de Pékin s’étend à la collecte de données à grande échelle.
L’ancien directeur du GCHQ, Ciaran Martin, a déclaré à la BBC que la Chine recherchait des « données à l’échelle de la population pour entraîner l’intelligence artificielle, analyser les comportements sociaux et cartographier les vulnérabilités collectives ».
Ces données peuvent provenir de piratages commandités par l’État – ou d’entreprises chinoises opérant légalement sur les marchés occidentaux – soulevant des questions complexes relatives à la vie privée, au commerce et à la souveraineté nationale.
Vol de propriété intellectuelle et infiltration du milieu universitaire
Outre l’espionnage et le vol de données, les services de renseignement de Pékin ciblent activement la propriété intellectuelle et les technologies à double usage.
Selon des responsables britanniques, l’objectif du PCC n’est pas seulement de moderniser son armée, mais aussi de soutenir son expansion économique.
Les secrets d’entreprise et les dessins et modèles industriels restent des cibles privilégiées, mais les universités sont également devenues des champs de bataille de premier plan.
Le MI5 a mis en garde contre des « vagues de recrutement » sur des plateformes professionnelles comme LinkedIn, où des entités chinoises proposent des financements ou des projets de recherche conjoints pour inciter des universitaires à partager des informations sensibles.
L’ancien officier du renseignement américain Andrew Badger a observé que, dans un monde où « la puissance économique et militaire repose sur le code binaire », la perte de capital intellectuel peut bouleverser des secteurs entiers, modifiant non seulement la richesse, mais aussi la sphère d’influence à l’échelle planétaire.
Il a soutenu que tout débat sur l’espionnage ou la politique commerciale « doit partir du principe que la protection des secrets est le fondement de la puissance nationale ».
Face à la montée en puissance technologique et économique de la Chine, la Grande-Bretagne est confrontée à une menace plus subtile, mais non moins grave : la dépendance stratégique.
La controverse autour de la 5G de Huawei reste un exemple à méditer.
Les équipements performants et peu coûteux de l’entreprise promettaient une grande efficacité, mais ont soulevé de sérieuses préoccupations en matière de sécurité.
Londres a finalement exclu Huawei du déploiement de son réseau 5G, créant ainsi un précédent, mais laissant de plus vastes dilemmes en suspens.
La dépendance vis-à-vis d’une puissance rivale dans des secteurs clés – de l’énergie nucléaire aux technologies vertes en passant par les plateformes de médias sociaux comme TikTok – risque de transformer les liens économiques en moyen de pression.
Si Pékin se montre mécontent de la politique britannique, cela pourrait-il conduire à une interruption des approvisionnements ou des services ?
Cette tension entre interdépendance économique et vulnérabilité nationale caractérise le défi que représente la Chine pour le Royaume-Uni.
Pékin demeure à la fois un marché crucial et un rival stratégique, tandis que la position plus ferme de Washington pousse Londres à s’aligner davantage sur la politique américaine.
Prise entre deux feux, la Grande-Bretagne doit trouver simultanément des moyens de coopérer et de soutenir la concurrence.
Le dilemme politique du Royaume-Uni et les perspectives d’avenir
Les opérations chinoises au Royaume-Uni couvrent désormais tout le spectre – de l’espionnage et de l’influence politique aux cyberintrusions et à la coercition économique.
Ces menaces ne ciblent plus seulement les informations classifiées ; elles s’étendent aux universités, aux infrastructures et à la vie numérique des citoyens.
Les gouvernements britanniques successifs ont peiné à définir une stratégie cohérente vis-à-vis de la Chine.
Faute de définition claire de la menace, l’application de lois telles que la loi sur les secrets officiels demeure inégale, privant les agences d’une orientation unifiée.
Les experts estiment que la Grande-Bretagne a désormais besoin d’une politique cohérente et affirmée à l’égard de la Chine, qui équilibre engagement et vigilance, s’aligne sur les alliés démocratiques et modernise le cadre juridique pour faire face aux menaces liées aux renseignements hybrides.
Ce n’est qu’à cette condition, affirment-ils, que le Royaume-Uni pourra préserver sa prospérité et sa souveraineté à l’ère de l’influence omniprésente.
Rédacteur Yasmine Dif
Source : Inside China’s Expanding Intelligence Network in the UK: From Data to Political Influence
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