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Culture. Quand l’écrivain Pierre Corneille fait l’éloge de la clémence

FRANCE > Culture

Pierre Corneille, l’un des plus grands écrivains de la langue française, est réputé pour sa rhétorique et sa poésie si évocatrices. Il a su dépeindre avec grandeur les complexités de l’âme humaine. Nous verrons comment, dans l’une de ses tragédies majeures, Cinna, il a mis l’accent sur une qualité singulière, la clémence.

Qui est Pierre Corneille ?

Pierre Corneille est né en août 1606 à Rouen dans une famille de magistrats aisés. Élève très brillant, il fréquente une école de Jésuites où il montre des aptitudes précoces pour le monde du théâtre. Il entreprend des études de droit selon le schéma familial. Dès l’âge de 23 ans, il exerce le métier d’avocat. Parallèlement, il se consacre à l’écriture et connaît un franc succès avec ses premières œuvres théâtrales, notamment des comédies.

Le triomphe apparaît avec sa tragédie la plus célèbre, Le Cid, représenté à Paris. L’auteur est alors âgé de 31 ans. La pièce déchaîne à la fois passion et polémique. Les reproches pleuvent : manque de bienséance, non-respect des règles du théâtre classique, etc … Le style du jeune dramaturge qui donne un nouveau souffle à la tragédie ulcère bon nombre de détracteurs jaloux. D’autres tragédies « romaines » viennent parachever son heure de gloire : Horace, Cinna, Polyeucte, lamort de Pompée. Ses chefs-d’œuvre lui valurent le surnom de : « Sophocle français ».

Toutefois, peu à peu, le succès de l’avocat-écrivain s’émousse au profit d’un certain Jean Racine, jeune auteur de tragédies, parfois accueillies plus favorablement par les mécènes. L’auteur de Cinna, celui qui fut considéré comme l’un des plus grands tragédiens de son temps s’éteint en 1684 à l’âge de 78 ans.

Quand l’écrivain Pierre Corneille fait l’éloge de la clémence
 La tragédie Cinna ou la clémence d’Auguste fut représentée pour la première fois au théâtre du Marais à Paris en 1641 et fut bien accueillie par le public. (Image : wikimedia / Pierre Corneille / Domaine public)

La tragédie Cinna ou la clémence d’Auguste : une tragédie de la vengeance

La tragédie Cinna ou la clémence d’Auguste fut représentée pour la première fois au théâtre du Marais à Paris en 1641 et fut bien accueillie par le public. Revenons sur l’intrigue. Rappelons que cette œuvre qualifiée de tragédie connaît cependant une fin heureuse. 

Émilie, fortement animée par l’esprit de vengeance, demande à Cinna, dont elle est amoureuse, de poignarder l’empereur Auguste, responsable de la mort de son père. Si Cinna refuse de tuer Auguste, elle refusera de l’épouser. Cinna lui aussi a un motif de vengeance : la mort de son grand-père Pompée imputable à César, le grand-oncle de l’empereur Auguste. Les faits sont évoqués par Cinna en personne (Acte V, scène 1) :

Seigneur, je suis Romain, et du sang de Pompée.
Le père et les deux fils, lâchement égorgés, 
Par la mort de César étaient trop peu vengés ; 
C'est là d'un beau dessein l'illustre et seule cause : 

Cinna face au dilemme cornélien

Auguste, pour sa part, convoque Cinna et son ami Maxime, ignorant le complot fomenté à son encontre par les deux hommes. Détesté de tous, il leur fait part de sa lassitude du pouvoir en ces termes :

D'effroyables soucis, d'éternelles alarmes,
Mille ennemis secrets, la mort à tout propos,
Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos. (Vers 374 à 376)

Son intention à ce stade est d’abdiquer puis de leur confier certaines responsabilités. Contre toute attente, Cinna conseille à l’empereur de rester aux commandes de l’empire. Cinna, petit-fils du grand Pompée, est tiraillé par un dilemme douloureux : renoncer à son amour pour Émilie ou assassiner l’empereur Auguste malgré les actes de bonté qu’il prodigue à son égard. Notre héros est confronté au fameux « choix cornélien ». Dans le même temps, si Cinna adopte la proposition de l’empereur Auguste, il passera pour un lâche aux yeux de la belle Émilie.

Coup de théâtre et révélations

Par un renversement de la situation totalement inattendu, l’affranchi de Maxime, Euphorbe, dit toute la vérité à Auguste, dénonçant la conjuration et ses auteurs Cinna et Maxime. Maxime pour sa part, secrètement amoureux d‘Émilie, se fait passer pour mort, projetant de fuir avec elle. Son plan est voué à l’échec. Les deux amants, Émilie et Cinna, avouent leur intention de se donner la mort mais Auguste, magnanime, leur accorde son pardon. Faisant preuve d’une incroyable clémence au bout d’une longue réflexion intérieure, il finit par dire à son protégé :

Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie :
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie,
Et, malgré la fureur de ton lâche destin,
Je te la donne encor comme à mon assassin.

Quand l’écrivain Pierre Corneille fait l’éloge de la clémence
Toute l’intrigue de la tragédie Cinna tourne autour de l’empereur Auguste et de ses états d’âme. (Image : wikimedia / Louvre Museum, CC BY 2.5)

L’éloge de la clémence 

Gardons en mémoire le titre complet de la tragédie de Corneille : Cinna ou la clémence d’Auguste, le plus souvent intitulée simplement Cinna. En dépit du titre, le personnage principal de la pièce est bel et bien Auguste et non Cinna : toute l’intrigue tourne autour de l’empereur et de ses états d’âme. De fait, Pierre Corneille, en guise de préface, explique à Monsieur de Montoron, son mécène :

À MONSIEUR DE MONTORON.

Monsieur,
« Je vous présente un tableau d'une des plus belles actions d'Auguste.
Ce monarque était tout généreux, et sa générosité n'a jamais paru
Avec tant d'éclat que dans les effets de sa clémence et de sa libéralité.
Ces deux rares vertus lui étaient si naturelles et si inséparables en lui,
Qu'il semble qu'en cette histoire que j'ai mise sur notre théâtre, elles
Se soient tour à tour entre-produites dans son âme. Il avait été si
Libéral avec Cinna, que sa conjuration ayant fait voir une ingratitude
Extraordinaire, il eut besoin d'un extraordinaire effort de clémence
Pour lui pardonner, et le pardon qu'il lui donna fut la source des
Nouveaux bienfaits… » 

Cette lettre montre que Corneille veut mettre en exergue non seulement la clémence d’Auguste mais encore la clémence en général en tant que vertu impériale.

On peut dire que l’empereur Auguste a eu envers Cinna « un geste de clémence ».

Que signifie « geste de clémence » ? C’est le « fait de pardonner à un coupable pour une personne ayant la possibilité de la condamner ».

Quel est le message de Corneille ?

Par sa clémence, Auguste dépasse ses démons antérieurs. L’ancien tyran, poussé par l’ambition et la soif du pouvoir, accède à cette supériorité morale digne d’un dirigeant. Tiraillé entre son désir de vengeance et l’appel de la clémence, Auguste sort victorieux d’un dilemme suprême : « Je suis maître de moi comme de l’univers », conclut-il (Acte V, scène 3). Pierre Corneille, à travers sa tragédie, semble nous dire que la clémence, loin d’être une faiblesse, est une force indispensable pour les hommes de pouvoir.

Certains observateurs estiment qu’avec cette pièce dédiée à la clémence, Corneille envoie un message à Richelieu, ministre de Louis XIII. Confronté aux tensions politiques de l’époque, le célèbre cardinal gagnerait à faire preuve de clémence lui aussi à l’instar de l’empereur Auguste.

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