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Tradition. Poésie de la fête de Chongyang : Meng Haoran et la mélancolie automnale du lettré ermite

CHINE ANCIENNE > Tradition

Au cœur de la poésie Tang, Meng Haoran (689-740) occupe une place singulière par sa capacité à transformer les émotions les plus intimes en tableaux naturels d’une rare délicatesse. Son poème Ascension automnale du mont Wan, message à mon ami Zhang le cinquième illustre parfaitement l’art de l’évocation dans la tradition littéraire chinoise, où le paysage devient le miroir de l’âme. Cette poésie de la fête de Chongyang (qui tombe le 29 octobre cette année) nous plonge dans l’univers des lettrés ermites qui, en ce jour d’ascension traditionnelle, cultivent l’amitié par-delà les montagnes.

Un poème d’amitié contemplative

北山白云里,隐者自怡悦。 
Běi shān bái yún lǐ, yǐn zhě zì yí yuè. 
« Sur la montagne du Nord, parmi les nuages blancs, en ermite, je trouve ma joie. »

相望始登高,心随雁飞灭。 
Xiāng wàng shǐ dēng gāo, xīn suí yàn fēi miè. 
« Je gravis les hauteurs pour contempler au loin, mon cœur s’envole avec les oies sauvages jusqu’à disparaître. »

愁因薄暮起,兴是清秋发。 
Chóu yīn bó mù qǐ, xìng shì qīng qiū fā. 
« La mélancolie naît au crépuscule, l’inspiration jaillit de la clarté automnale. »

时见归村人,平沙渡头歇。
Shí jiàn guī cūn rén, píng shā dù tóu xiē. 
« Parfois j’aperçois des villageois rentrant chez eux, qui se reposent au bord de l’eau ou près du débarcadère. »

天边树若荠,江畔洲如月。 
Tiān biān shù ruò jì, jiāng pàn zhōu rú yuè. 
« À l’horizon, les arbres semblent minuscules comme des brins de cresson, les bancs de sable au bord du fleuve brillent comme la lune. »

何当载酒来,共醉重阳节。 
Hé dāng zài jiǔ lái, gòng zuì chóng yáng jié. 
« Quand viendras-tu avec de l’alcool, pour nous enivrer ensemble à la fête de Chongyang ? »

Poésie de la fête de Chongyang : Meng Haoran et la mélancolie automnale du lettré ermite
Longévité à l'égal des pins majestueux, Huang Yue (dynastie Qing), album Signes propices et célébrations harmonieuses ((Image : Musée National du Palais de Taïwan / @CC BY 4.0)

Meng Haoran, maître de la sobriété poétique

Meng Haoran (689-740) figure parmi les plus grands noms de la dynastie Tang (618-907), cette période d’or de la civilisation chinoise. Aux côtés de Wang Wei (699-759), avec qui il forme le célèbre duo « Wang-Meng », il incarne l’école pastorale de la poésie Tang. 

Son œuvre se distingue par une apparente simplicité qui dissimule une profondeur remarquable : chaque vers, épuré et naturel, résonne longtemps dans l’esprit du lecteur. Cette économie de moyens pour une richesse d’évocation fait de lui un créateur au style unique dans le panorama poétique de son époque.

Le lettré a choisi la voie de l’ermitage, se retirant dans les monts près de Xiangyang, dans l’actuelle province du Hubei, au centre de la Chine, traversée par le fleuve Yangzi. Ce choix de vie, loin des intrigues de la cour impériale, nourrit son inspiration et donne à sa poésie cette tonalité particulière, empreinte de quiétude et de contemplation.

Un dialogue poétique entre deux ermites

Ce poème s’inscrit dans la tradition du message poétique adressé à un ami. Zhang Zirong, surnommé ici « Zhang le cinquième » * selon l’usage chinois de désigner quelqu’un par son rang dans la fratrie, vivait lui aussi en ermite sur le mont de la Grue blanche. Les deux hommes, séparés par une distance de quelques kilomètres seulement, partageaient cette existence retirée du monde.

En ce jour d’automne, Meng Haoran gravit le mont Wan, situé en face de sa propre demeure, pour diriger son regard vers la résidence de son ami. Ce geste apparemment simple revêt une dimension profonde : il s’agit d’un acte de communion spirituelle à travers l’espace. Le mont devient le lieu d’où s’élance la pensée, où le cœur voyage au-delà des distances physiques.

Les images convoquées par Meng Haoran dessinent un tableau d’une grande poésie visuelle. Les villageois qui rentrent au crépuscule, les arbres lointains réduits à la taille du cresson, les bancs de sable lumineux comme des croissants de lune : chaque élément compose une scène d’une tranquillité exquise. Ces notations, apparemment banales, créent une atmosphère de paix méditative qui reflète l’état d’esprit de l’ermite.

Poésie de la fête de Chongyang et tradition contemplative

Le critique Shen Deqian (1673-1769), de la dynastie Qing (1644-1912), a parfaitement cerné l’essence de l’art de Meng Haoran en écrivant que dans sa poésie, le langage reste léger tandis que la saveur perdure. Cette observation s’applique magistralement à ce poème. Les quatre vers centraux — ceux qui décrivent les villageois au bord de l’eau et les arbres à l’horizon — illustrent cette esthétique du dépouillement : l’auteur ne force ni l’action ni les couleurs, il se contente de noter ce qu’il voit avec des mots simples et directs.

Pourtant, derrière cette simplicité se révèle tout un univers. L’atmosphère paisible du village, la beauté sereine du paysage naturel émergent naturellement de ces vers sans artifice. Le lettré crée ainsi un domaine poétique d’une limpidité méditative, caractéristique majeure de son style dans la poésie Tang.

Ce qui rend ce poème particulièrement remarquable, c’est la fusion parfaite entre sentiment et paysage. Meng Haoran et Zhang Zirong sont tous deux des hommes qui ont tourné le dos au monde. En ce jour de fête traditionnelle propice aux ascensions, l’auteur monte sur les hauteurs pour contempler la demeure de son ami. Son regard embrasse ensuite l’ensemble du paysage, proche et lointain. Tout ce qu’il observe — êtres et choses — se teinte de ses émotions personnelles et de la splendeur particulière de la saison automnale.

Poésie de la fête de Chongyang : Meng Haoran et la mélancolie automnale du lettré ermite
Porter l’alcool et gravir les hauteurs , Huang Yue (dynastie Qing), album Réjouissances au village. (Image : Musée National du Palais de Taïwan / @CC BY 4.0)

Sans jamais l’exprimer directement, Meng Haoran révèle combien la sensibilité des ermites diffère de celle du commun des mortels. La manière dont il entrelace sentiment et paysage, les nuances qu’il insuffle à son poème manifestent clairement cet esprit de détachement serein et cette vision singulière du monde qui caractérisent celui qui a choisi la voie de la retraite.

L’invitation finale exprime un désir de partage authentique. Cette poésie de la fête de Chongyang célèbre l’amitié entre ermites : le souhait ardent de voir l’ami venir avec de l’alcool pour partager ensemble ce jour du neuvième mois lunaire, traditionnellement dédié aux ascensions. Les deux hommes ont certainement beaucoup à se dire, de nombreuses pensées et émotions à échanger. Bien que l’auteur n’en dise rien, le lecteur devine aisément que leurs conversations ressembleront à ce poème lui-même : empreintes de cette même pureté élevée, dépourvues de toute vulgarité mondaine.

Ainsi, dans la tradition de la poésie Tang, Meng Haoran nous offre bien plus qu’un simple paysage d’automne : il nous ouvre la porte d’un monde intérieur où la nature et l’esprit humain dialoguent dans une harmonie parfaite, où l’amitié transcende la distance par la seule force de la contemplation et du souvenir partagé.

*Certains disent aussi que Zhang Zirong était le huitième parmi ses frères.

Rédacteur Yi Ming

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