Insolite. Le tour du monde à la voile contre vents et marées

Un vieux marin de 80 ans détient actuellement le record d'un tour du monde à la voile très particulier. Il aimerait bien, avant de « tirer sa révérence », aller féliciter à l'arrivée un de ces jeunes navigateurs qui rêvent de s'emparer du trophée. Ce sera peut-être dans l'hiver prochain, car un jeune passionné veut tenter l'aventure en cette fin d'année 2025.

Le tour du monde de la résilience pour des navigateurs hors pair

Faire le tour du monde à la voile à l'envers, c'est le faire d'est en ouest, contre les vents et contre les courants dominants. Toutes les courses à la voile autour du globe, comme The Ocean Race en équipage ou le Vendée Globe en solitaire, le font dans l'autre sens. Depuis le nord de l'Atlantique, après avoir navigué jusqu'au sud de l'océan, les voiliers passent habituellement le Cap de Bonne Espérance et continuent vers l'Océanie, profitant des vents et des courants venant majoritairement de l'ouest.

C'est par contre un énorme défi de passer d'abord par le Cap Horn au sud de l'Amérique et d'avancer contre les vents violents et les puissants courants. Le marin et son voilier sont mis à rude épreuve et il faut toujours rester vigilant, tenir et manoeuvrer pendant des jours et des jours dans les mers rugissantes. 

Le français Philippe Monnet a fait ce tour du monde en 2000 et a détenu le record pendant quatre ans. Il a certainement été le plus éprouvé par les éléments. Icebergs, ouragans, paludisme, éruption sous-marine, incendie, pannes et détériorations diverses sur son bateau : rien ne l'aura épargné pendant cette course. « Ce n’est pas festif comme tour du monde, il faut sans cesse tirer des bords, cela prend beaucoup plus de temps, c’est de l’endurance et de la patience », confie de son côté le navigateur Jean-Luc Van den Heede . 

C'est lui qui détient le record actuel de ce tour du monde très risqué, baptisé Global Challenge, en bouclant le tour en 122 jours en 2004. Avant de réussir, il avait déjà entrepris trois tentatives depuis 1999 sans terminer sa course, ce fut à chaque fois à cause d'avaries sur son voilier. Depuis 1970, seulement quatre autres marins, dont une femme, ont homologué leur course autour du monde d'est en ouest et sans escales, mais dans des temps plus longs. Van den Heede a pulvérisé le record de son prédécesseur en le réduisant de 29 jours.

Un vieux baroudeur des océans qui aime raconter ses aventures

A son arrivée en Bretagne, Van den Heede confia : « Le tour du monde à l'envers, sans escale, c'est l'épreuve la plus difficile en solitaire. Les mots ne suffisent pas pour dire ce que je ressens. Mon meilleur souvenir restera sur ce parcours le passage du Cap Horn, franchi d'une façon rêvée avec 40 nœuds de vent au portant, c'était bien pour l'entrée dans les mers du Sud. Le pire moment, c'est les 30 heures passées dans le Pot Au Noir pour faire 30 milles. Il a fallu barrer, barrer pour s'en sortir ». 

C'est un spécialiste des tours du monde à la voile. C'est le seul à avoir franchi 12 fois le Cap Horn dans ses courses à la voile. A son palmarès, il a 5 autres tours du monde, dans le sens habituel, dont un, le Golden Globe Race, très remarquable aussi puisque c'est une course « à l'ancienne », c'est à dire en solitaire sans escale, sans communication, et en se dirigeant uniquement au sextant et à la boussole. A 73 ans, il en fut le vainqueur en 2018 en 212 jours.

Une personne aussi expérimentée et aussi résiliente face aux épreuves, à l'angoisse et à la solitude, suscite l'admiration. Mais si Jean-Luc Van den Heede est un navigateur hors du commun, il prend aussi le temps d'observer le monde et de s'émerveiller. Il aime raconter ses voyages, partager ses connaissances, ses réflexions et en faire profiter les autres. « La voile est un moyen de faire rêver les gens », dit-il.

D'autres marins sauront-ils faire mieux ?

Depuis l'établissement de ce record, très peu de marins se sont lancés dans l'aventure. En 2017, le dernier à l'avoir tenté en solitaire, Yves Le Blevec, a coulé au large du Cap Horn et a dû être hélitreuillé. Son voilier trimaran avait complètement chaviré dans une mer de tempête et il a fini par sombrer. 

Les solides et stables voiliers monocoques, dans ce tour du monde d'est en ouest, affrontent les grosses tempêtes dans une trajectoire la plus au sud et la plus courte possible, proche de l'Antarctique. Cela permet au navigateur d'avancer relativement rapidement en « tirant des bords » dans un angle d'environ 45 degrés, en travers de l'axe d'un puissant vent contraire. 

Les voiliers multicoques, trimarans ou catamarans, avancent mal face au vent. Cependant, quand il est portant, il leur en faut peu pour avancer vite, et plus la vitesse augmente, plus ils surfent au-dessus de la mer. Ils sont alors très rapides, cependant ce sont des bateaux plus instables, et plus fragiles. Ainsi le navigateur d'un trimaran, s'il réussit à passer le Cap Horn, va aller beaucoup plus au nord dans l'Océan Pacfique et l'Océan Indien, rallongeant sa route pour profiter de vents portants, qui conviennent beaucoup mieux à son bateau. 

Il y a eu une autre tentative en duo sur un trimaran en 2021 par deux marins expérimentés, Romain Pilliard et Alex Pella, mais ils se sont échoués sur les côtes du Chili après avoir passé le Cap Horn. Ils ont dû faire appel à du secours extérieur, et donc, même si leur voilier a pu être réparé et a continué sa course, ce tour du monde n'a pas été validé. De toute façon, comme ils étaient en duo, ce n'était pas le même type de course.

Le jeune navigateur qui s'est pris d'amitié avec une poule

Le jeune navigateur Guirec Soudée a d'abord parcouru les mers, pendant plusieurs années, sur un voilier de dix mètres en acier, acheté avec ses économies grâce à des petits boulots. Il n'avait pas beaucoup de moyens financiers mais il avait ce grand rêve de vivre librement et de devenir un bon navigateur. Il a retapé lui-même ce bateau détérioré. 

Il s'est fait connaître d'un large public, en particulier grâce à sa relation d'amitié avec une poule qu'on lui a proposée et qu'il a embarquée lors d'une escale. Il en a beaucoup parlé, et il s'est beaucoup mis en scène avec elle sur les réseaux sociaux. 

Il l'a appelée Monique. Elle est devenue une fidèle compagne de voyage. Elle était tout sauf une poule mouillée, mais son adaptation à bord n'a pas été facile, elle était désorientée par le mouvement incessant du bateau. Cependant, Guirec a bien pris soin d'elle, il lui a aménagé un espace confortable. 

Ensemble, ils ont traversé l'Atlantique. En 2016, ils ont vécu 130 jours d'hivernage, le bateau volontairement emprisonné dans la banquise du Groenland. Là, son amie Monique a eu la générosité de pondre 106 œufs, enrichissant agréablement le menu de Guirec à base de riz. Cet hivernage fut éprouvant. Guirec confie en 2019 sur le site Côtes d'Armor le Département: « Cette expérience a été la plus dure, mais aussi la plus magique. On y a croisé des animaux qui me fascinent, phoques, rennes, renards polaires, et admiré des aurores boréales de folie ».

Il a la carrure, la persévérance et l'enthousiasme pour réussir ce tour du monde

L'été suivant, quand la fonte des glaces l'a permis, ils ont traversé en 32 jours de navigation le passage du Nord-Ouest en solitaire, reliant l'Atlantique au Pacifique par le nord du Canada. Puis ils ont navigué pendant 80 jours sur l'immense Pacifique jusqu'à l'Antarctique en passant par le Cap Horn. Il y eut des tempêtes et des creux vertigineux. « Mais il y a toujours une telle magie quand on aperçoit les côtes... Et puis nous avons été accueillis par les albatros et les manchots qui dansaient sur les icebergs », se souvient Guirec.

L'amie poule du navigateur est morte de vieillesse en 2023. Ce lien d'amitié insolite entre un homme et une poule est devenu un symbole de persévérance, d'adaptation, de respect et de confiance entre l'homme et l'animal. 

Guirec devrait être le prochain, à l'automne 2025, à affronter les vents violents et les courants à bord d'un trimaran qui fut le voilier du célèbre Olivier de Kersauson il y a une vingtaine d'années. Il fut le multicoque le plus fiable et le plus performant de son époque. Il a été entièrement rénové et selon le jeune marin, c'est un bateau bien adapté à cette course. 

Pourra-t-il battre le record ? Très optimiste, Guirec Soudée est impatient de partir et espère terminer la course en moins de 100 jours. Pourvu qu'il réussisse, même avec quelques jours de plus, et puisse être accueilli à l'arrivée par l’amical Jean-Luc Van den Heede !

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