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Histoire. Comment la reine Ingeburge personnifia l’indéfectibilité des liens du mariage

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Les liens du mariage peuvent-ils résister devant le désir ou la colère d'un puissant monarque ? Une princesse danoise, Ingeburge, en fit l'expérience jusqu'à l'extrême pendant près de vingt ans. Elle en ressortit victorieuse, sauvant sa dignité et son amour pour le roi.

Philippe II Auguste, fils de Louis VII, fut roi de France à l'âge de 15 ans. Durant son long règne, de 1180 à 1223, il se maria trois fois. Isabelle de Hainaut, sa première épouse, n'avait que 10 ans quand elle devint reine de France. Elle était tellement jeune : la conception de son premier enfant se fit attendre plusieurs années. 

Le roi Philippe Auguste, plus soucieux de conquêtes territoriales que du bien-être de son épouse

A peine devenu roi, Philippe Auguste était déjà soucieux d'agrandir le territoire du royaume de France et si la reine enfantait d'un héritier mâle, la région de l'Artois qu'elle avait apporté en dot, pourrait être réuni au domaine royal. En 1184, toujours sans enfant, le roi, impatient et indifférent au sort de la reine, voulu la répudier. Le chroniqueur médiéval Gilbert de Mons rapporta qu'Isabelle, pieds nus, habillée en pénitente, fit le tour des églises de la ville et implora Dieu, accompagnée du peuple qui l'aimait et défendait sa cause. Les conseillers du roi parvinrent finalement à convaincre le roi d'abandonner ce désir de répudiation.

Comment la reine Ingeburge personnifia l'indéfectibilité des liens du mariage
Toujours sans enfant, le roi, impatient et indifférent au sort de la reine Isabelle, décida de la répudier. (Image : wikimedia / Rambures Master / Domaine public)

En 1187, la reine Isabelle donna naissance à un fils qui allait être le futur Louis VIII. Malheureusement en 1190, quatre jours après son accouchement de deux jumeaux qui ne survécurent pas, la reine Isabelle mourut à son tour.

Cette année-là, le roi de France partit pour la troisième croisade, accompagné de plusieurs grands barons. Cependant, avec l'autorisation du pape, il en revint l'année suivante par prudence, son fils ayant traversé une grave maladie et frôlé la mort, lui-même étant dans un état de santé assez critique. Ces événements alarmants le poussèrent à se remarier rapidement pour mieux assurer sa succession royale.

Le choix de la princesse Ingeburge pour sa beauté, et pour des raisons d'alliance stratégique

Il hésita sur les différentes propositions de mariage qui lui étaient faites. Il réfléchissait aux avantages et inconvénients que pouvait lui apporter telle ou telle alliance. L'évêque de Hambourg lui fit un portrait encourageant de la séduisante princesse du Danemark, Ingeburge. Les Danois étaient depuis longtemps en froid avec les Saxons et Philippe Auguste y vit la possibilité d'une alliance contre l'Angleterre. C'était aussi l'opportunité d'étendre son influence en Europe du Nord.

Comment la reine Ingeburge personnifia l'indéfectibilité des liens du mariage
L'évêque de Hambourg lui fit un portrait encourageant de la séduisante princesse du Danemark, Ingeburge. (Image : wikimedia / Abel Hugo / Domaine public)

Le roi du Danemark était Kanut VI, le frère d'Ingeburge. Selon l'article Ingeburge de Danemark sur le site internet France Pittoresque, il dit à l'évêque et aux comtes venus demander la main de la princesse, au nom du roi Philippe Auguste : «Je confierai volontiers ma sœur à vos soins pour être conduite au roi, mais il faut que votre Seigneur s’engage à l’épouser, à ne jamais la renvoyer, et que, pour garants de sa promesse, il laisse en otage plusieurs barons et évêques » 

Le roi attendit la princesse à Amiens et peu avant qu'elle n'arrive, monté sur son cheval, il courut avec empressement à sa rencontre. Il la trouva belle, et selon les témoins et chroniqueurs, c'était visiblement un sentiment réciproque. Ils se marièrent dans la cathédrale d'Amiens où tout le peuple joyeux s'était rassemblé. Après la bénédiction nuptiale, Philippe Auguste annonça que la nouvelle reine serait couronnée le lendemain. Le soir-même, il rejoignit Ingeburge dans la chambre nuptiale.

Comment la reine Ingeburge personnifia l'indéfectibilité des liens du mariage
Le roi attendit sa princesse à Amiens et peu avant qu'elle n'arrive, monté sur son cheval, il courut avec empressement à sa rencontre. (Image : wikimedia / Luclaf / CC BY-SA 3.0)

Au lendemain du mariage et de la nuit nuptiale, la décision du roi resta incompréhensible et inexpliquée

Le lendemain, pendant la cérémonie du couronnement de la reine, on vit le roi se sentir soudain très mal à l'aise. Il tremblait, les yeux écarquillés, agitant les mains. Quelques ecclésiastiques l'emmenèrent rapidement dans un endroit isolé. Plus tard, il avoua à l'archevêque une violente répulsion envers Ingeburge, mais les véritables raisons restèrent inexpliquées. Il ne put y avoir que des suppositions sans confirmation. 

Fut-il victime d'une défaillance due à une maladie contractée lors de la croisade ? Ou fut-il victime d'une sorte d'ensorcellement ? Quelle puissante contrariété pouvait amener le roi dans ce état de fébrilité ? Car tous les témoignages concordaient pour louer la grâce, la vertu et la beauté d'Ingeburge.

Comment la reine Ingeburge personnifia l'indéfectibilité des liens du mariage
Le roi fut-il victime d'une défaillance due à une maladie contractée lors de la croisade ? (Image : wikimedia / Mahiet, Master of the Cambrai Missal  / Domaine public)

Le roi demanda aux émissaires du Danemark de repartir avec Ingeburge. Ils quittèrent rapidement le royaume de France mais refusèrent d'emmener la reine. On la conduisit alors au prieuré de Saint-Maur-des-Fossés. Des chevaliers poussèrent le roi à tenter de vaincre une nouvelle fois cette répugnance et retrouver Ingeburge au prieuré. Celle-ci reçut Philippe Auguste comme son époux qu'elle aimait, mais le roi fut pris à nouveau de tremblements et de sueurs.

Un motif de répudiation fictif et un jugement inéquitable envers Ingeburge 

Dès lors, il ne put supporter de garder Ingeburge comme épouse. Il enjoignit à ses clercs de chercher un moyen de dissoudre le mariage. Ils cherchèrent une lointaine parenté et ils en trouvèrent une si lointaine qu'elle ne pouvait normalement pas motiver la séparation. Cependant les clercs n'eurent pas assez de courage pour aller contre la volonté du roi, et tous adoptèrent cet invraisemblable motif de répudiation.

Comment la reine Ingeburge personnifia l'indéfectibilité des liens du mariage
Le roi du Danemark, Kanut VI, le frère d'Ingeburge avait pourtant déclaré: «Je confierai volontiers ma sœur à vos soins pour être conduite au roi, mais il faut que votre Seigneur s’engage à l’épouser, à ne jamais la renvoyer ». (Image : wikimedia / Orf3us / CC BY 3.0)

Une assemblée se réunit à Compiègne présidée par l'archevêque de Reims. On y appela la reine, mais sans ses serviteurs et sans défenseur. Ne parlant pas français, elle assista à la réunion sans comprendre ce qui se disait. Un interprète, en fin de séance, lui traduisit la sentence de répudiation. Elle fondit en larmes et s'écria dans le peu de latin qu'elle connaissait : « Mala Francia ! » (mauvaise France). Se levant, elle dit avec force : « Roma ! Roma ! », signifiant qu'elle allait demander un recours au pape.

Après ce jugement inéquitable, Philippe Auguste se hâta d'ordonner le départ de la reine, mais elle refusa. Le roi fut alors cruel et la fit enfermer dans différents lieux, sans se soucier de son confort, de sa santé ou de sa solitude. Finalement confinée dans un château à Cysoing, elle put voir et parler avec l'évêque Etienne de Tournai. 

La résilience et la force morale inébranlable d'Ingeburge

Celui-ci écrivit en sa faveur à l'archevêque de Reims, comme rapporté dans l'article Ingeburge de Danemark du site France Pittoresque : « Son occupation journalière est la prière, la lecture ou le travail des mains. Elle ignore ce que sont les jeux et les amusements : depuis le matin jusqu’à neuf heures, elle prie, agenouillée dans son oratoire ; elle répand devant le seigneur des larmes et des gémissements, moins pour elle que pour son époux (...) »

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Le pape Célestin III ne put faire plier ou excommunier le roi, car s'il tenait Ingeburge éloignée, du moins n'avait-il pas cherché une autre épouse. (Image : wikimedia / Unknown author / Domaine public)

 Etienne de Tournai alla à Rome défendre la cause d'Ingeburge. Le roi du Danemark y envoya deux légats quand il apprit la situation dans laquelle vivait sa sœur. Ils voulurent réunir un concile, mais les menaces de Philippe Auguste en empêchèrent la réalisation, car les clercs et les abbés « furent tous comme des chiens muets, et nul n’osa japper, tant ils craignaient pour leur peau ! » écrivit en ce temps-là le chroniqueur Rigord.

Touché par les lettres que lui envoyait Ingeburge, le pape annula en 1195 la sentence de divorce. Tandis que les prélats danois retournaient dans leur pays, le roi de France les fit arrêter à Dijon et jeter en prison. Les protestations du roi du Danemark et du pape Célestin III ne purent faire plier ou excommunier Philippe Auguste, car s'il tenait Ingeburge éloignée, du moins n'avait-il pas cherché une autre épouse. 

La transgression de l'autorité de l'Eglise et l'interdit sur le royaume de France

Pourtant c'est ce qu'il entreprit bientôt : rechercher une nouvelle épouse. La plupart des nobles dames ne répondirent pas aux avances du roi de France, se méfiant maintenant d'être renvoyées ou répudiées. Cependant Agnès , fille du duc de Méranie, consentit à honorer sa demande, après qu'il l'eut assurée de la validité de son divorce. Cette fois-ci, il y eut une grande affinité entre les deux époux. 

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Cette fois-ci, il y eut une grande affinité entre les deux époux. (Image : wikimedia / Raphael / Domaine public)

Toutefois, l'intransigeant pape Innocent III, successeur de Célestin III, avait pris l'affaire Ingeburge en main. Il exigea, pour valider le nouveau mariage de Philippe Auguste avec Agnès de Méranie, que le motif de parenté de Ingeburge soit mieux prouvé. Le roi ne répondit pas à cette demande, en conséquence Innocent III jeta l'interdit (privation d'offices et de sacrements religieux) sur tout le royaume de France en janvier 1200.

Comme le pape l'avait prévu, le peuple français prit parti contre le roi. Les cadavres, qui ne pouvaient être enterrés sans sacrements, empuantaient les villes et les campagnes. Le roi, voyant ce que devaient endurer ses sujets, céda enfin et envoya des émissaires devant le pape pour qu'il lève l'interdit et réunisse un concile pour étudier et se prononcer sur sa parenté et la possibilité de son union avec Ingeburge. Cependant, Innocent III exigea avant toute chose que le roi renvoie Agnès de Méranie et reprenne près de lui Ingeburge. Le roi dut là aussi obtempérer, et l'interdit fut finalement levé.

Le retour d'Ingeburge dans la maison royale après deux décennies d'errances, de confinements et d'humiliations

Agnès de Méranie décéda en juillet 1201, en accouchant de son troisième enfant de Philippe Auguste, qui ne survécut pas. Plus tard, alors que le concile était en cours, en vue de reconsidérer le lien de parenté, un beau jeune homme inconnu témoigna avec éloquence et douceur en faveur d'Ingeburge et fit impression sur l'assemblée, y compris sur le roi. Peu de temps après, le roi annonça qu'il acceptait à nouveau Ingeburge comme son épouse et reine de France.

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Le pape Innocent III prit l'affaire en main et exigea avant toute chose que le roi renvoie Agnès de Méranie et reprenne près de lui Ingeburge. (Image : wikimedia / Merry-Joseph Blondel / Domaine public)

Ce brusque retournement de situation ne mit pas fin pour autant à l'aversion du roi envers la reine. Elle s'était au contraire chargée d'accusations et de ressentiment. Philippe Auguste la renvoya à nouveau de château en château, durant plusieurs années, lui rendant la vie très dure pour qu'elle demande elle-même le divorce. Mais elle résista à tous les ennuis, à la solitude et à toutes les souffrances, trouvant une force admirable dans la lecture des textes religieux et dans ses prières. 

Ingeburge espérait toujours revenir près du roi. Cela advint en 1208. Sa réhabilitation fut nécessaire quand Philippe Auguste eut besoin de négocier le soutien du royaume de Danemark pour contrer les attaques de l'Angleterre et de ses alliés, qui réagissaient aux nouvelles conquêtes territoriales du roi de France. Il le fit aussi sans doute par lassitude des remontrances de l'Eglise romaine. On a peine à croire qu'il le fit même un peu par amour ou par compassion, mais sait-on jamais ?

Les liens du mariage plus forts que la volonté du roi

Selon l'article de France Pittoresque : « Ingeburge était une compagne reconnue lorsque le roi de France atteignit, par la victoire de Bouvines (27 juillet 1214) la plénitude de sa majesté. Elle survécut à Philippe-Auguste, dont elle ferma les yeux quand il mourut (1223), et qui lui réserva dans son testament des terres et des biens. Ingeburge se retira près de Corbeil, dans une île de l’Essonne, au prieuré de Saint-Jean-en-l’Ile qu’elle avait fondé ». La reine Ingeburge, discrètement, vécut encore le court règne de Louis VIII et les dix premières années du règne de Saint-Louis, avant de quitter ce monde en 1236.

Comment la reine Ingeburge personnifia l'indéfectibilité des liens du mariage
L'évêque de Tournai écrivit à propos d'Ingeburge emprisonnée: « Depuis le matin jusqu’à neuf heures, elle prie, agenouillée dans son oratoire ; elle répand devant le seigneur des larmes et des gémissements, moins pour elle que pour son époux (...) ». (Image : wikimedia / Anonymous / Domaine public)

Cette histoire révéle la puissance et l'indissolubilité des liens du mariage au Moyen-âge dans la religion catholique. Face à une épouse déterminée, sûre de son droit, de son amour et de sa foi, même un redoutable roi tel que Philippe Auguste, ayant épuisé toutes les entraves, toutes les humiliations et tous les recours possibles, ne put que s'incliner devant tant d'intégrité et de force morale.

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