La ville de Beauvais s’illustra brillamment au XVe siècle dans sa résistance face à la puissante et impitoyable armée du duc de Bourgogne, en guerre contre le roi Louis XI. Jeanne Hachette fut la plus célèbre instigatrice de cette glorieuse résistance.
L’armée royale affairée à défendre les frontières et la population du royaume
Vers le milieu du XVe siècle, le royaume de France était ruiné et affaibli par les nombreux conflits de la guerre de Cent Ans contre l’Angleterre et ses alliés. Cette guerre, longue suite de batailles, d’exactions et de trêves, prit fin en 1453, avec la victoire des Français sur les Anglais, à Castillon-la-Bataille dans l’actuelle Gironde. Néanmoins, l’armée du roi Louis XI dut encore affronter Bretons et Bourguignons pour maintenir ses frontières et protéger sa population.
Charles le Téméraire, duc de Bourgogne et cousin du roi, était en grande rivalité de pouvoir et de territoire avec Louis XI. Le roi était surtout soucieux de renforcer la puissance du royaume de France et d’en faire une nation de premier plan en Europe. Cependant, Charles était le plus puissant vassal du royaume de France où il possédait un gigantesque domaine, s’étendant jusque dans le Saint-Empire germanique. Le duc de Bourgogne avait alors comme première ambition de conquérir et d’agréger à son duché la Champagne et la Lorraine, pour constituer une nation indépendante entre la France et l’Empire germanique.

Voyant les relations s’envenimer rapidement avec son cousin, Louis XI chercha à négocier pour éviter la guerre. Louis XI devait aussi composer avec son jeune frère, Charles de Guyenne qui, allié à Charles le Téméraire, voulait le renverser. Cependant, en 1472, à la mort de son jeune frère malade, Louis XI s’empara rapidement des terres de celui-ci et rattacha au trône le duché de Guyenne, (une grande partie de l’actuelle Nouvelle Aquitaine) et le port stratégique de La Rochelle, qui lui revenaient de droit.
Charles le Téméraire entra alors dans une colère noire et, par vengeance, mobilisa et lança, au printemps 1972, une armée considérable de 80 000 hommes sur le nord du royaume. Le duc de Bourgogne, dans sa rage effrénée, fit route avec son armée sur la riche ville de Beauvais et ordonna qu’on pille et qu’on rase, au passage, tous les villages fidèles au roi de France. Il pratiqua une politique de la terreur, les soldats se livrèrent aux pires exactions et massacrèrent les populations.
Louis XI était, à cette période, mobilisé par le duc François II de Bretagne, qui tentait d’envahir l’Anjou. Il ne put donc contrer immédiatement l’avancée du duc de Bourgogne dans le nord du royaume.

La résistance surprenante des habitants de Beauvais
La ville de Beauvais allait cependant résister vaillamment aux attaques de l’armée bourguignonne. Le 27 juin 1472, à l’aube, des couvreurs qui travaillaient sur le toit de la cathédrale virent surgir au loin l’avant-garde de l’armée vengeresse. Ils sonnèrent l’alarme et en un instant, toute la ville fut à pied d’œuvre pour se défendre. La garnison de la ville ne se composait que d’une cinquantaine d’arbalétriers et une trentaine d’archers, de quelques compagnies bourgeoises mal armées et mal entraînées ainsi que de quelques rares pièces d’artillerie.
Des fuyards commencèrent à se presser aux portes, l’Evêque en tête, mais, selon certaines versions des commentateurs de l’épisode, une femme eut la hardiesse de saisir la bride de son cheval et lui fit rebrousser chemin. Cependant le peuple, dont beaucoup de femmes (c’est un fait avéré), et les bourgeois et bourgeoises de la ville firent preuve d’un courage remarquable.
L’avant-garde de la redoutable armée bourguignonne pensait que la ville n’opposerait pas de résistance. La ville avait néanmoins de puissants remparts et le premier assaut fut repoussé notamment grâce aux arbalétriers. Le second assaut fut vigoureusement repoussé lui aussi, puis tous les autres. La résistance des Beauvaisiens déstabilisa les assaillants.

Les femmes s’organisaient et aidaient les gardes des remparts en apportant des trousses de flèches, de la poudre, des fagots de bois pour allumer des brasiers, et maints autres matériaux ou éléments utiles à la bataille. Les hommes se battaient, pour beaucoup, avec des armes de fortune. Heureusement les habitants de Beauvais bénéficièrent, dans les jours suivants, de l’aide de 200 lanciers royaux venus rapidement en renfort depuis Noyon. Le siège allait durer près d’un mois.
Jeanne Hachette inspirée par Jeanne d’Arc ?
Une certaine Jeanne, munie de son arme de prédilection, une hachette, d’où son surnom, se distingua, lors de ce siège. Jeanne Laisne était née à Beauvais en 1454. Fille d’un bourgeois, ancien officier des armées de Louis XI, elle était cardeuse de laine. Elle fut initiée par son père au maniement des armes. Connaissant la vie et les faits de Jeanne d’Arc, elle lui vouait une profonde admiration.
Jeanne Hachette haranguait les femmes à se réunir à ses côtés et elles se regroupaient sur les remparts avec une détermination et une ardeur qui interpellaient les hommes. Toutes les personnes capables de se battre se joignaient alors à elles pour repousser les envahisseurs bourguignons. Les habitants de Beauvais faisaient preuve d’imagination et d’anticipation face aux assauts de l’ennemi.
Le 9 juillet 1472, Charles le Téméraire entreprit un assaut d’envergure sur la porte de Bresles. Jeanne Hachette et un groupe de femmes toutes armées escaladèrent une fois de plus les remparts pour aider les hommes à combattre les assaillants. Jeanne et ses compagnes repoussaient hardiment les soldats avec leurs armes ou en renversant les échelles. Les Bourguignons, ce jour-là, voulaient planter leur étendard en haut des remparts, Jeanne arracha l’étendard des mains de son porteur et fit tomber celui-ci dans la douve au pied de la muraille. Plus tard, elle porta l’étendard pris à l’église des Jacobins.

Cet acte intrépide et symbolique de Jeanne galvanisa les Beauvaisiens qui retrouvèrent un nouvel élan et de nouvelles forces pour défendre leur ville. La résistance exceptionnelle et la solidarité de tous les habitants pendant presque un mois, donnèrent assez de temps à Louis XI pour rejoindre Beauvais.
Louis XI soudoya les Anglais pour mettre fin à leur alliance avec les Bourguignons et empêcha le ravitaillement des assaillants. Ceci, conjugué à la défense impénétrable des Beauvaisiens, força le duc de Bourgogne à lever le siège, le 22 juillet 1472. Charles le Téméraire perdit 3 000 hommes dont une vingtaine de seigneurs dans ses offensives pour prendre la ville. Son prestige en ressortit très affaibli. La victorieuse défense de Beauvais porta un coup fatal à sa ligue contre le roi de France. Le duc retourna sur ses terres en Lorraine avant de mourir durant le siège de Nancy.
Les généreuses récompenses du roi de France
Le roi récompensa les Beauvaisiens par des mesures fiscales et sociales favorables à la bourgeoisie. Il récompensa particulièrement les femmes, qui furent les héroïnes de la résistance face aux Bourguignons. En leur honneur, il institua la Procession de l’Assaut, encore en vigueur au XXIe siècle, dans laquelle il imposa que les femmes soient en tête de cortège devant le clergé et les hommes.
Louis XI promulgua une ordonnance datée de juin 1473, qui, entre autres, conférait aux femmes de toutes conditions un privilège réservé aux femmes de la noblesse : « Toutes les femmes et filles qui sont à présent et seront à tout jamais en ladite ville se pourront le jour de leurs noces et toute fois que bon leur semblera, parer, vestir et couvrir de tels vêtements, parement joyaux et ornements que bon leur semblera, sans que, pour ce, elles puissent être aucunement notées, reprises ou blasmées, de quelques estat ou condition qu’elles soient ».

Le Roi de France ne se borna pas à cela. Il maria Jeanne à son prétendant Colin Pilon et la dota généreusement. Dans l’ordonnance du 22 février 1474, le roi justifia d’autres largesses concédées à Jeanne Hachette : « pour la considération de la bonne et vertueuse résistance qui fust faite l’année dernière passée, par nostre chère et aimée Jeanne Laisne, fille de Mathieu Laisne, demeurant en nostre ville de Beauvais, à l’encontre des Bourguignons, tellement qu’elle gagna et retira devant elle un étendard ou bannière audits bourguignons, ainsy que nous estant dernièrement en nostre dicte ville avons esté informé, nous avons pour ces causes, en faveur du mariage d’elle et de Colin Pilon, conclu et accordé que lesdits Colin Pilon et Jeanne, sa femme soient, leur vie durant francs, quiètes et exemps de toutes les tailles qui sont et seront d’ores en avant mises sus, et aussi de guet et de gardes fortes… »
Dès lors, après ces deux ordonnances du Roi, on organisa chaque année le Défilé de l’Assaut dans la ville. On y exhibait l’étendard pris aux Bourguignons et les femmes marchaient en tête. Le dernier week-end de juin à Beauvais est toujours consacré aux Fêtes Jeanne Hachette avec des défilés en costumes d’époque.
Après l’extraordinaire épopée de Jeanne d’Arc, quarante ans auparavant, cet épisode (sans doute moins décisif) de l’Histoire de France montra à nouveau que les femmes, portées par une foi secrète et invincible, étaient capables, autant et peut-être plus que les hommes, de courage, de résilience et de solidarité quand l’honneur du royaume de France était en jeu et quand son existence même était en danger.
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