Histoire. Fidélité conjugale dans la Chine ancienne : quand l’amour défie la tyrannie

Durant la période des Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.), le royaume de Song a été le théâtre d’un drame qui allait inspirer l’une des plus célèbres légendes sur la fidélité conjugale dans la Chine ancienne : l’histoire de Han Ping et dame Xi, un couple confronté à la volonté d’un roi tout-puissant.

Le roi Kang de Song, un souverain sans limites

Dans le royaume de Song régnait un monarque nommé Kang. S’appuyant sur sa force, il avait évincé son frère aîné pour s’emparer du trône. Entraînant lui-même ses troupes, il disposait d’une armée de plus de cent mille soldats aguerris. Ses conquêtes se succédaient : à l’est contre Qi, au sud contre Chu, à l’ouest contre Wei. Multipliant les victoires, le souverain se croyait sans rival.

Dans son propre royaume, le roi exerçait un pouvoir absolu. Lors des audiences, ses ministres devaient clamer en chœur « Wàn suì ! » , souhaitant ainsi « dix mille ans » de vie au souverain, le cri se propageant de la salle du trône jusqu’aux portes du palais, s’entendant à plusieurs kilomètres.

Les banquets nocturnes du monarque étaient légendaires. Ses courtisans remplaçaient discrètement son alcool par de l’eau, permettant au roi de rester sobre tandis que ses invités s’effondraient. La cour murmurait alors qu’il pouvait boire « mille mesures sans faiblir ». Son harem comptait des dizaines de femmes, et des rumeurs circulaient sur sa vigueur exceptionnelle, entretenues par le palais lui-même.

Une rencontre aux conséquences tragiques

Lors d’une sortie à la campagne, le roi aperçut une cueilleuse de mûres d’une beauté saisissante. Il ordonna aussitôt la construction d’une tour, la Terrasse de Qingling, d’où il pouvait l’observer. Ses serviteurs découvrirent qu’elle se nommait Dame Xi et qu’elle était mariée à Han Ping, un fonctionnaire du palais.

Le roi fit transmettre à Han Ping qu’il souhaitait que sa femme devienne la concubine du roi. Rentré chez lui, l’homme demanda à son épouse ce qu’elle pensait de cette situation. 

Elle répondit par un poème :

南山有鸟，北山张罗； 
Nánshān yǒu niǎo, běishān zhāng luó; 
鸟自高飞，罗当奈何？ 
Niǎo zì gāo fēi, luó dāng nàihé?

Sur la montagne du Sud, il y a des oiseaux ; sur la montagne du Nord, on tend des filets. 

Les oiseaux volent très haut ; que peuvent les filets contre eux ?

Dame Xi ne se présenta pas au palais. Le roi envoya alors ses hommes la chercher de force. Han Ping, voyant sa femme emmenée contre son gré, choisit de mettre fin à ses jours.

Un exemple de fidélité conjugale dans la Chine, face au pouvoir

Le souverain tenta de raisonner la jeune femme : « Je suis le roi de Song ! Je peux enrichir qui je veux, comme je peux donner la mort. Ton mari est mort, où pourrais-tu aller ? Si tu acceptes, je ferai de toi ma reine. »

Dame Xi composa un second poème :

鸟有雌雄，不逐凤凰； 
Niǎo yǒu cí xióng, bù zhú fènghuáng; 
妾是庶人，不乐宋王。 
Qiè shì shùrén, bú yuè Sòng wáng.

Les oiseaux ordinaires ne suivent pas le pas des phénix prestigieux; 

Votre servante n’est qu’une roturière, elle ne cherche pas à plaire au roi.

Le monarque répondit : « Les choses en sont là, tu ne peux plus résister ! »

La jeune femme demanda : « Laissez-moi me baigner, changer de vêtements et rendre hommage à mon défunt mari. Ensuite, je viendrai vous servir. »

Le roi, satisfait, se retira.

Après sa toilette, dame Xi se prosterna face au ciel, puis se jeta du haut de la tour. Le roi ordonna qu’on la rattrape, mais trop tard. Dans sa ceinture se trouvait un message : « Après ma mort, accordez que ma dépouille soit enterrée auprès de Han Ping. »

Furieux, le roi ordonna deux tombes séparées, « pour qu’ils se regardent en face » sans jamais se rejoindre.

Quand la nature reprend ses droits

Trois jours plus tard, une nuit, des arbres Catalpa surgirent de chaque côté des deux sépultures. En dix jours, ils dépassèrent trois mètres, puis leurs branches s’enlacèrent naturellement pour former un seul arbre. Un couple de canards mandarins s’installa dans les branches, leurs cous entrelacés, poussant des cris plaintifs.

Les villageois murmurèrent : « Ce sont les âmes de Han Ping et de son épouse. » Ils nommèrent cet arbre xiangsi, l’arbre des amours languissantes. 

Un lettré écrivit ces vers :

相思树上两鸳鸯， 
Xiāngsī shù shàng liǎng yuānyāng, 
千古情魂事可伤； 
Qiāngǔ qínghún shì kě shāng; 
莫道威强能夺志， 
Mò dào wēiqiáng néng duó zhì, 
妇人执性抗君王。 
Fùrén zhí xìng kàng jūnwáng.

Sur l’arbre des amours languissantes, deux canards mandarins ; 
À travers les millénaires, cette histoire d’âmes brise le cœur. 
Ne dites pas que la force peut briser la volonté, 
Une femme, par son choix, a tenu tête à un roi.

Cette légende perdure encore aujourd’hui, témoignant d’une époque où même le pouvoir absolu ne pouvait contraindre certains choix personnels. Et leur histoire est devenue un exemple de fidélité conjugale dans la Chine ancienne.

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