Dans les dramas chinois, le divorce semble simple : un mari en colère rédige une lettre de répudiation et renvoie son épouse dans sa famille. Pourtant, les lois du divorce dans la Chine impériale révèlent un système bien plus complexe, où ni l’homme ni la femme ne pouvaient rompre leur union à leur guise. Entre protections juridiques et contraintes sociales, ce cadre légal reflétait une conception du mariage radicalement différente de notre époque.
Un système centré sur la famille, non sur l’individu
Globalement, les lois du divorce dans la Chine impériale reposaient sur l’éthique confucéenne du système patrilinéaire et plaçaient les intérêts du clan au centre de toute considération. Les sentiments personnels n’entraient pratiquement pas en ligne de compte.
Bien que les hommes disposaient manifestement de privilèges, ces derniers s’exerçaient dans le cadre strict des principes éthiques de la société clanique. Même pour les hommes, la véritable liberté de divorcer demeurait largement inaccessible.
La famille, un lieu de cultivation spirituelle

La société chinoise ancienne accordait une place centrale à la foi en les divinités bouddhistes et taoïstes. Au quotidien, elle vivait selon les principes confucéens, imprégnés de la philosophie taoïste de la cultivation personnelle, et s’efforçait de cultiver la vertu à tous les niveaux : individuel, familial, national et universel. Le concept de « gouverner sa famille » (qijia, 齐家) occupait une place fondamentale dans cette vision.
Dans cette société agricole traditionnelle, où la vertu et les rites structuraient la vie sociale, chaque membre de la famille se cultivait au sein du foyer. Le confucianisme enseignait ainsi les principes régissant « la voie des époux », « la voie du père et du fils », « la voie de la mère et de la fille », ou encore « la voie du clan familial ».
Pour les jeunes fiancées, trois mois avant leur mariage, elles suivaient un enseignement spécifique dans le temple ancestral de la famille ou au temple du clan.
On lui enseignait les quatre vertus féminines : la vertu morale (fude, 妇德), la parole juste (fuyan, 妇言), le maintien convenable (furong, 妇容) et les travaux domestiques (fugong, 妇功). À l’issue de cette formation, un rituel marquait l’accomplissement de son devoir d’harmonie conjugale.
En respectant ces principes, une femme pouvait non seulement gagner le respect de sa belle-famille, mais aussi contribuer à l’harmonie du foyer, assurer une éducation vertueuse à ses enfants et leur permettre de servir la cour ou la société. Elle évitait ainsi que des comportements répréhensibles n’attirent le malheur sur toute la famille.
Alors, dans cette Chine ancienne si différente de notre société moderne, quelles fautes pouvaient conduire à la répudiation d’une épouse par sa belle-famille ?
Les « Trois interdictions de répudiation » : une protection pour les épouses

Avant d’examiner les motifs de divorce, il convient de comprendre les protections dont bénéficiaient les femmes. Car même lorsqu’un mari souhaitait répudier son épouse, trois conditions pouvaient l’en empêcher – sauf en cas d’adultère ou de maladie contagieuse grave.
Ces « Trois interdictions » (san bu qu, 三不去), véritables garde-fous juridiques de l’époque, stipulaient qu’un homme ne pouvait répudier son épouse si :
1. Elle avait observé le deuil de trois ans pour les parents de son mari
Cette première protection reconnaissait l’investissement émotionnel et le dévouement de l’épouse envers sa belle-famille. Avoir accompli ce devoir filial majeur lui conférait une légitimité impossible à ignorer.
2. Le mari l’avait épousée dans la pauvreté et avait ensuite prospéré
Cette disposition protégeait les femmes qui avaient partagé les années difficiles de leur mari. Elle interdisait à celui-ci de les répudier une fois la fortune acquise.
3. Elle n’avait plus de famille où retourner
Si les parents de l’épouse étaient décédés ou si sa famille d’origine n’existait plus, la répudiation l’aurait condamnée à la misère. Cette protection lui garantissait un toit.
Ces dispositions, que l’on pourrait qualifier de « loi de protection des droits des femmes de l’époque », révèlent une certaine conscience juridique des vulnérabilités féminines. Elles encadraient strictement le pouvoir de répudiation masculine et reconnaissaient, dans une certaine mesure, la contribution des épouses au sein du mariage.
Ainsi, contrairement à l’image véhiculée par les dramas, un mari ne pouvait pas simplement répudier son épouse sur un coup de colère. Les lois du divorce dans la Chine impériale imposaient des limites strictes au pouvoir masculin.
Les « Sept motifs de répudiation » : quand le divorce s’imposait

Le système de répudiation (qi chu, 七出) constituait la forme de divorce la plus courante dans la Chine ancienne. Sept motifs pouvaient justifier qu’un homme renvoie son épouse – toujours sous réserve des « Trois interdictions » évoquées précédemment.
1. Manquer au devoir d’harmonie envers la belle-famille
Dans la Chine ancienne, les jeunes couples vivaient chez les parents du mari et la belle-fille devait servir ses beaux-parents. qui étaient désignés par le terme jiugu (舅姑). Le manquement à ce devoir, appelé aussi « ne pas servir ses beaux-parents » (bu shi jiugu, 不事舅姑), était considéré comme le plus grave des sept motifs de divorce.
Le Livre des Rites(Liji, 礼记) précise dans le chapitre Sens du mariage (Hunyi, 昏义) : « Les rites nuptiaux établissent le devoir d’harmonie de l’épouse (fushun, 妇顺), transmis de génération en génération tant on y attache d’importance. Ce devoir consiste à entretenir de bonnes relations avec ses beaux-parents, vivre en paix avec les membres du foyer, puis s’accorder avec son époux, afin d’accomplir les tâches domestiques – tissus et étoffes – et de gérer avec soin les provisions familiales. Lorsque ce devoir est pleinement accompli, l’ordre règne dans le foyer ; et lorsque l’ordre intérieur est établi, la famille peut prospérer durablement. C’est pourquoi les rois sages y accordaient tant d’importance ».
Dans le mariage traditionnel chinois, la première responsabilité de l’épouse consistait donc à vivre en harmonie avec la famille de son mari. Si les beaux-parents jugeaient leur belle-fille insuffisamment respectueuse, le mari devait la répudier, même à contrecœur.
C’est ce drame qui se joue dans le célèbre poème narratif Le Paon vole vers le Sud-Est (Kongque dongnan fei, 孔雀东南飞). Mais cette répudiation forcée ne concernait pas que les récits littéraires.
Le grand poète Lu You (陆游, 1125-1210), de la dynastie Song, en fit lui-même l’amère expérience. Uni par un amour profond à son épouse Tang Wan (唐婉), il dut divorcer sous la pression de sa mère, qui craignait que son fils, trop épris, ne néglige sa carrière de lettré. De cette séparation naquirent deux poèmes L’Épingle-phoenix(Chatoufeng, 钗头凤), témoignages poignants d’une tragédie amoureuse devenue célèbre.
2. L’absence de descendance et cas exceptionnel
Dans la société confucéenne régie par le système patrilinéaire, « assurer la continuité de la lignée » constituait l’un des buts principaux du mariage. L’adage : Parmi les trois manquements à la piété filiale, ne pas avoir de descendance est le plus grave, illustre cette préoccupation centrale.
Bien que la médecine moderne ait démontré que l’infertilité d’un couple ne relève pas nécessairement de la femme, l’époque ancienne considérait l’absence d’héritier comme une défaillance de l’épouse. Toutefois, les codes juridiques encadraient strictement ce motif. Selon le Commentaire du Code des Tang (Tang lü shuyi, 唐律疏议), seule une femme de plus de cinquante ans sans enfant pouvait légalement être répudiée pour ce motif.
3. L’adultère
Ce motif concernait le comportement de l’épouse au sein du mariage. Dans la logique patrilinéaire de l’époque, l’adultère féminin constituait une faute gravissime, car il mettait en péril la certitude de la filiation – préoccupation centrale dans une société où la transmission du nom et du culte ancestral structurait l’ordre social.
4. La jalousie excessive
Cette disposition visait principalement la famille des empereurs ou les familles aisées pratiquant la polygamie. Elle concernait le mécontentement de l’épouse face aux concubines de son mari. Dans la Chine ancienne, les concubines permettaient non seulement d’assurer la descendance familiale, mais aussi de garantir l’essor démographique du clan. Une épouse « excessivement jalouse » était perçue comme un obstacle à la prospérité familiale, justifiant ainsi la répudiation.
5. La médisance
Ce motif encadrait la parole de l’épouse au sein de sa belle-famille. Pour préserver l’ordre familial et éviter les conflits internes, une femme devait parler peu et s’abstenir de commérages. Une épouse bavarde était considérée comme une source de troubles pour le clan, autorisant sa répudiation.
6. Les maladies graves et cas exceptionnel
Ce motif désignait deux catégories d’affections : les maladies incurables et les maladies contagieuses. Au-delà des préoccupations sanitaires, une maladie grave empêchait l’épouse de participer aux rites ancestraux, devoir fondamental de chaque membre du clan. Dans la société traditionnelle chinoise, où le culte des ancêtres constituait un pilier de la cohésion familiale, cette incapacité perturbait gravement le fonctionnement du foyer
L’inconvénient causé par la maladie de l’épouse justifiait donc la répudiation – sauf si elle relevait des « Trois interdictions » évoquées précédemment, auquel cas elle demeurait protégée
7. Le vol
Dans les foyers des temps anciens, l’épouse ne disposait de droits de propriété que sur sa dot personnelle, apportée lors du mariage. En revanche, elle n’avait aucun droit sur les biens de sa belle-famille. Si elle utilisait le patrimoine familial sans autorisation, cela constituait un « vol » aux yeux de la loi et pouvait justifier sa répudiation. Cette disposition reflète la stricte séparation des patrimoines et le statut juridique limité des femmes mariées dans la gestion des affaires familiales.
Les lois du divorce dans la Chine impériale concernant le divorce obligatoire

Le système juridique prévoyait également des cas où le divorce s’imposait indépendamment de la volonté des conjoints paraît plus difficile à concevoir. Pourtant, ce système existait bel et bien : le yijue (义绝), le divorce obligatoire pour violation grave des principes éthiques.
Le yijue constituait un divorce obligatoire imposé par la loi dès lors que certaines conditions étaient remplies. Ce système évolua au fil des dynasties, et l’on distingue généralement deux périodes.
1. Première période : des Han aux Song (206 av. J.-C. - 1279)
Selon le classique Han Discussions au Pavillon du Tigre Blanc (Baihu tong, 白虎通), en cas de violation grave des principes éthiques fondamentaux, les époux devaient obligatoirement divorcer.
Les codes juridiques des Tang et des Song précisaient ces situations, toutes liées à des conflits graves entre les deux familles :
- L’un des conjoints frappait un ascendant direct de l’autre, ou tuait un proche parent
- Des meurtres se produisaient entre membres des deux familles
- L’épouse commettait l’adultère avec un parent du mari, ou le mari avec la mère de l’épouse
- L’épouse tentait d’assassiner son mari
2. Seconde période : Yuan, Ming et Qing (1271-1912)
Les conditions du yijue furent élargies : un beau-père harcelant ou violant sa belle-fille, un mari forçant son épouse à la prostitution, ou la vendant à autrui, constituaient désormais des motifs de divorce obligatoire.
Ces dispositions offraient une protection minimale à certaines femmes et témoignaient d’un effort, certes limité, du droit ancien pour protéger les plus vulnérables.
L’analyse des conditions du yijue révèle qu’en Chine ancienne, le mariage ne scellait pas « l’union de deux personnes » mais « l’union de deux lignées ». Dès qu’un conflit majeur opposait les deux clans, les époux devaient divorcer, quels que soient leurs sentiments. Ce divorce imposé par les circonstances constituait une réalité difficile mais inévitable.
Divorce à l’amiable et divorce par procès : une certaine flexibilité
Si l’épouse n’avait commis aucune des « Sept fautes » et qu’aucun motif de yijuen’existait, le divorce était-il impossible ? Pas nécessairement.
Lorsque l’entente conjugale se détériorait au point de rendre la vie commune insupportable, deux solutions existaient : le divorce à l’amiable (heli, 和离) et le divorce par procès (chensu, 呈诉).
1. Le divorce à l’amiable
Souvent comparé au « divorce par consentement mutuel » moderne, le heliapparaît pour la première fois dans le Commentaire du Code des Tang. Si les époux ne s’entendaient vraiment plus et souhaitaient tous deux divorcer, ils pouvaient recourir au heli.
Contrairement à la répudiation, le divorce à l’amiable exigeait le consentement de l’épouse et suivait une procédure juridique précise. Généralement considéré comme une manière de rompre le mariage sans nuire aux relations entre les deux familles, le heli suivait un protocole préservant la réputation de chacun.
L’acte de divorce était généralement rédigé par le mari, la procédure supervisée par les proches des deux parties, et les termes employés demeuraient courtois. Le document mentionnait les torts de chacun tout en exprimant le souhait d’apaiser les rancœurs et de se séparer en bons termes, avec des vœux de bonheur pour l’avenir de la femme.
Certaines recherches suggèrent toutefois que le heliconstituait en réalité une forme euphémisée de répudiation, puisque la femme ne pouvait initier la procédure, mais seulement l’accepter ou la refuser.
L’existence de cette institution permettait néanmoins aux deux familles de préserver leurs relations, évitant une rupture complète entre les deux lignées.
2. Le divorce par procès
Dans la plupart des cas, une femme pouvait difficilement obtenir le divorce. Il existait cependant une exception : le chensu, unique moyen pour une femme d’initier une séparation.
Le chensus’apparentait au « divorce contentieux » moderne. Dès lors que certaines conditions étaient remplies, chaque conjoint pouvait saisir les autorités pour demander le divorce. Un homme pouvait invoquer la fuite de son épouse, l’adultère de celle-ci avec le père du mari, le meurtre par l’épouse d’un enfant né d’une concubine, ou des malédictions proférées contre l’enfant.
Une femme pouvait demander le divorce si son mari avait disparu depuis trois ans, s’il la forçait ou permettait qu’elle commette l’adultère, s’il la mettait en gage comme un bien matériel, ou si son beau-père la violait.
Une fois le chensu déposé et les faits vérifiés par les autorités, le divorce était prononcé conformément à la loi.
Les actes de divorce de la dynastie Tang : exemple de tendresse et d’élégance

En 1900, des documents de la dynastie Tang furent découverts dans les grottes de Mogao à Dunhuang, parmi lesquels plusieurs « lettres de libération de l’épouse » (fang qi shu, 放妻书), des actes de divorce dont voici un exemple.
« Le destin qui unit mari et femme se noue trois vies avant la présente existence. Unis comme des canards mandarins volant côte à côte, partageant beauté et vertus, l’amour le plus profond et deux corps ne formant qu’un cœur. Si trois années de vie commune créent l’harmonie conjugale, trois années de ressentiment engendrent la discorde.
Si cette union ne convient pas, c’est que nous étions ennemis dans une vie antérieure. Disputes et rancœurs nous opposent désormais. L’épouse multiplie les reproches, le mari détourne le regard avec déplaisir. Tels le chat et le rat qui se détestent, tels le loup et l’agneau réunis. Puisque nos deux cœurs divergent et qu’une seule volonté est impossible, réunissons nos proches pour sceller notre séparation. Que chacun reprenne son chemin.
Puisse mon épouse, après notre séparation, recoiffer ses cheveux en chignon de cigale, redessiner ses sourcils délicats, déployer sa grâce élégante et choisir un noble époux de haut rang. Qu’elle danse devant son nouveau foyer, formant avec son nouvel époux l’harmonie d’une d’une cithare et d’un luth jouant à l’unisson. Apaisons nos rancœurs, ne nous détestons plus. Séparons-nous avec sérénité, que chacun trouve le bonheur. Je lui offre trois années de subsistance, remises immédiatement. Je lui souhaite mille automnes et dix mille printemps. »
Ces actes de divorce témoignent d’une séparation apaisée, au ton doux et aux formulations élégantes. Après avoir évoqué le lien conjugal et l’amour passé, puis constaté la mésentente actuelle – « sans doute ennemis d’une vie antérieure » –, le texte conclut à la nécessité du divorce. Il souhaite ensuite à l’épouse de retrouver beauté et élégance pour trouver un mari fortuné, lui assure trois ans de subsistance payés immédiatement, et termine par des vœux de longévité.
Lire ces « lettres de libération », datant de la dynastie Tang, mot après mot, provoque un sourire attendri. Même s’il s’agissait d’une formule rituelle de l’époque, on y perçoit la tolérance et l’apaisement, la tendresse et l’humour des gens de la dynastie Tang.
Collaborateur Yasmine Dif
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