On les croit protecteurs, mais ils ne minimisent en rien les dommages du tabac. Les filtres de cigarettes auraient même potentiellement des effets nocifs pour la santé, en plus, bien sûr, d’être une immense source de pollution.
Les filtres de cigarette ont commencé à inonder le marché dans les années 1950, officiellement pour rendre le tabagisme moins nocif. Face à l’inquiétude croissante du public concernant le cancer du poumon et d’autres maladies liées au tabagisme, l’industrie du tabac a réagi non pas en rendant les cigarettes plus sûres, mais en les faisant paraître plus sûres. Les filtres étaient l’innovation parfaite, non pas pour la santé, mais pour les relations publiques.
Plus de soixante-dix ans plus tard, nous savons en effet que les filtres ne réduisent pas les risques. En réalité, ils peuvent même aggraver certains risques. En adoucissant la fumée et en facilitant son inhalation profonde, les filtres peuvent, de fait, augmenter le risque de cancer du poumon. Au début des années 1950, un type de filtre très populaire contenait même de l’amiante. Malgré cela, la plupart des fumeurs d’aujourd’hui continuent de croire que les filtres rendent les cigarettes plus sûres.
Au-delà des risques pour la santé, les filtres de cigarettes sont aussi une catastrophe pour l’environnement. Ils sont faits d’un plastique appelé « acétate de cellulose ». Ils ne se dégradent pas naturellement, mais se désagrègent en microplastiques qui polluent nos rivières et nos océans.
Donc, ils sont nombreux. Les mégots de cigarette sont les déchets les plus répandus sur la planète. On estime que 4,5 billions (soit 4 500 milliards) sont jetés chaque année, et environ 800 000 tonnes de ces déchets plastiques se retrouvent dans l’environnement annuellement. Alors que, à travers le monde, de nombreuses législations ont restreint l’utilisation d’autres plastiques à usage unique, tels que les bouteilles, les sacs et les pailles, les filtres de cigarettes ont largement échappé à cette réglementation.
Sous pression, certaines entreprises de tabac commercialisent désormais des filtres dits « biodégradables », fabriqués à partir de nouveaux matériaux. Mais il s’agit là d’une fausse solution. Même ces filtres n’offrent aucun avantage pour la santé et continuent de polluer les écosystèmes. Ils servent les intérêts de l’industrie du tabac, en créant une illusion de responsabilité environnementale tout en entretenant la fausse perception que les filtres eux-mêmes sont inoffensifs ou nécessaires.
Interdire les filtres de cigarettes pour dissiper les illusions
Les filtres de cigarettes font ainsi partie des plastiques à usage unique les plus nocifs encore en circulation dans le monde. Et contrairement à de nombreux autres polluants, ils ne remplissent aucune fonction essentielle. Or la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac déconseille déjà les mesures qui entretiennent l’idée d’une réduction des risques, et les filtres de cigarettes entrent clairement dans cette catégorie.
L’interdiction des filtres de cigarettes permettrait de dissiper l’illusion de sécurité qu’ils véhiculent. Elle pourrait également réduire la prévalence du tabagisme, car les cigarettes non filtrées sont généralement plus âpres et moins agréables au goût. Une telle mesure, enfin, éliminerait également l’une des sources les plus répandues de pollution plastique, évitant ainsi la production de centaines de milliers de tonnes de déchets plastiques chaque année.
Si nous pouvons interdire les pailles en plastique, comme les pays membres de l’Union européenne l’ont fait en 2021, nous pouvons certainement interdire les filtres de cigarettes. En fait, cela a déjà été fait. Le comté de Santa Cruz (Californie) a voté en faveur de l’interdiction des filtres à cigarette en 2024.

Il est grand temps de lui emboîter le pas, alors que la pollution plastique est dans l’esprit de tout le monde, après la tenue, en août dernier, à Genève (Suisse), d’un sommet où les dirigeants mondiaux ont tâché de négocier ce qui pourrait devenir le premier traité juridiquement contraignant des Nations unies traitant de la pollution plastique, de la production à l’élimination. Le projet de traité constitue une occasion rare de s’attaquer aux causes profondes des déchets plastiques à l’échelle mondiale.
Le projet actuel du traité mentionne les filtres de cigarettes. Ils sont évoqués dans l’annexe X, une catégorie qui concerne les restrictions volontaires ou obligatoires, ce qui laisse la possibilité de continuer à les utiliser, y compris les filtres dits « écologiques », et n’impose pas leur élimination totale. Si tous les filtres de cigarettes (et pas seulement ceux en plastique) étaient répertoriés dans l’annexe Y, ils seraient soumis à une interdiction totale et obligatoire.
Les négociations du mois d’août n’ont pas permis d’aboutir à un accord final, et elles se poursuivront à une date ultérieure, ce qui signifie qu’il est encore temps d’agir.
Des groupes de défense de la santé et de l’environnement, notamment l’Organisation mondiale de la santé, Action on Smoking and Health et Stop Tobacco Pollution Alliance, réclament des engagements fermes en matière de filtres de cigarettes. Qu’est-ce qui pourrait être plus ferme qu’une interdiction pure et simple ?
Certes, la prohibition des filtres ne mettra pas fin au tabagisme du jour au lendemain et n’éliminera pas la pollution plastique. Mais ce serait une mesure significative et symbolique pour aligner les objectifs environnementaux et sanitaires. Elle permettrait de retirer du marché un produit nocif et trompeur, de réduire la pollution et de rendre les cigarettes plus honnêtes.
Rédacteur Fetty Adler
Collaborateur Jo Ann
Auteurs : Jonathan Livingstone-Banks, maître de conférences et chercheur principal en soins de santé fondés sur des données probantes, Université d’Oxford.
Jamie Hartmann-Boyce, Professeur adjoint de promotion et de politique de santé, Université du Massachusetts à Amherst. Cet article est republié du site The Conversation, sous licence Creative Commons.
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