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Tradition. L’empereur Xuanzong et la grue taoïste de la fête de Chongyang

CHINE ANCIENNE > Tradition

La grue taoïste de la fête de Chongyang incarne l’une des légendes les plus fascinantes de la dynastie Tang (618-907). En ce jour sacré de l’an 754, l’empereur Xuanzong (685-762, règne 712-756) ne se doutait pas qu’en tirant sur une grue, il toucherait un immortel. Cette extraordinaire histoire, où l’oiseau céleste finit par rendre sa flèche à l’empereur, illustre la richesse des croyances taoïstes et la fascination millénaire des Chinois pour ces messagers entre ciel et terre.

Une chasse impériale à la fête de Chongyang

La treizième année de l’ère Tianbao, au neuvième jour du neuvième mois — cette fête de Chongyang où l’on gravit les hauteurs pour éloigner les mauvais présages —, l’empereur Xuanzong organise une grande chasse à Shayuan. Le souverain Tang, alors au sommet de sa gloire, aime ces expéditions cynégétiques qui manifestent sa vigueur impériale.

Soudain, dans le ciel d’automne, une grue aux plumes immaculées apparaît. L’oiseau ne se contente pas de passer : il vole en cercles, planant avec une élégance presque délibérée, comme s’il observait la scène terrestre. Intrigué par ce spectacle inhabituel, le monarque saisit son arc. La flèche siffle dans l’air et atteint sa cible.

Mais voilà que l’oiseau blessé ne s’effondre pas. Portant la flèche impériale fichée dans son corps, la grue descend lentement, majestueusement. À environ une toise du sol — au moment où chacun s’attend à ce qu’elle s’écrase —, elle déploie brusquement ses ailes dans un battement puissant et s’envole vers le sud-ouest. Les spectateurs suivent du regard cette silhouette blanche qui s’éloigne, jusqu’à ce qu’elle disparaisse à l’horizon. Personne ne comprend ce prodige.

Le taoïste énigmatique du temple de Yizhou

À quinze li à l’ouest de Yizhou — l’actuelle Chengdu, capitale du Sichuan —, se dresse un temple taoïste d’une beauté saisissante. Niché entre montagnes et cours d’eau, entouré de pins et d’osmanthus, le sanctuaire respire la quiétude. Seuls les adeptes les plus dévoués de l’alchimie intérieure peuvent y résider. Le pavillon oriental, particulièrement isolé, demeure généralement inoccupé.

L’empereur Xuanzong et la grue taoïste de la fête de Chongyang
Une grue auspicieuse favorisant la longévité de Huang Yue, dynastie Qing. (Image : Musée National du Palais de Taïwan / @CC BY 4.0

Pourtant, les anciens du temple réservent toujours la salle principale de ce pavillon pour un visiteur particulier : un certain Xu Zuoqing, qui se présente comme taoïste du mont Qingcheng. Cet homme à l’allure pure et ancienne vient trois ou quatre fois par année, séjourne quelques jours ou quelques semaines, puis repart vers sa montagne sacrée. Tous les pratiquants le tiennent en haute estime, frappés par son aura exceptionnelle.

Un jour, Xu Zuoqing revient au temple, le visage inhabituellement sombre. Il confie aux résidents : « Alors que je marchais dans la montagne, j’ai été atteint par une flèche errante. La blessure a guéri rapidement, mais cette flèche n’appartient pas au monde des hommes ordinaires. Je la laisse ici, suspendue au mur. Dans deux ans, son propriétaire viendra en ces lieux. Vous la lui rendrez alors. Surtout, ne la perdez pas. »

Il inscrit ensuite au pinceau sur le mur : « Flèche déposée le neuvième jour du neuvième mois de la treizième année Tianbao. »

Les mois passent, puis les années. Personne ne comprend ces paroles énigmatiques. Le mystérieux visiteur continue ses apparitions sporadiques, sans jamais évoquer l’incident.

L’exil impérial et la découverte miraculeuse

En 755, la rébellion d’An Lushan ébranle l’empire. L’année suivante, contraint de fuir sa capitale Chang’an, Xuanzong se réfugie au Sichuan. Le souverain jadis tout-puissant connaît l’humiliation de l’exil. Durant ces jours d’incertitude, il cherche quelque réconfort dans la contemplation des paysages.

L’empereur Xuanzong et la grue taoïste de la fête de Chongyang
 Portrait de Xuanzong. (Image : wikimedia / See page for author, / Domaine public)

Un jour, lors d’une promenade en char, le monarque déchu découvre par hasard le temple taoïste à l’ouest de Yizhou. Séduit par l’harmonie des lieux, il décide de visiter toutes les cellules. Parvenu à la salle principale du pavillon oriental, son regard tombe sur une flèche accrochée au mur.

Il demande qu’on la lui apporte. Stupéfaction : c’est une flèche impériale, reconnaissable entre toutes ! Interloqué, l’empereur interroge les taoïstes, qui lui racontent l’histoire de Xu Zuoqing et de son étrange prophétie.

La révélation de la grue taoïste de la fête de Chongyang

Xuanzong examine alors l’inscription murale. Le neuvième jour du neuvième mois de la treizième année Tianbao — exactement deux ans plus tôt ! C’était le jour de cette chasse à Shayuan, le jour où il avait tiré sur cette grue mystérieuse qui s’était envolée vers le sud-ouest...

La vérité éclate soudain : Xu Zuoqing n’était autre que la grue blessée. Transformé en forme humaine — ou peut-être était-ce l’inverse, un immortel prenant momentanément une apparence d’oiseau ? — il avait parcouru en quelques heures la distance entre Shayuan et le Sichuan, malgré sa blessure. Puis, comprenant le lien karmique qui l’unissait au souverain, il avait préservé la flèche en attendant le moment propice pour la restituer.

Le monarque, profondément ému, conserve précieusement cette flèche comme un trésor. Quant à Xu Zuoqing, il ne réapparut plus jamais au temple. Les habitants du Sichuan n’entendent plus parler de lui. L’immortel avait accompli sa mission et repris sa place dans le monde céleste.

Entre légende et sagesse : les leçons d’une rencontre extraordinaire

Selon l’auteur du Grand Recueil de l’ère de la Grande Paix (太平广记, Taiping guangji), recueil encyclopédique du Xe siècle qui préserve cette histoire, Xu Zuoqing était devenu un immortel (神, shen). Les immortels, dans la pensée taoïste, comprennent les liens subtils du destin. En rendant la flèche à Xuanzong, l’être transcendant accomplissait et concluait une rencontre karmique, transformant un simple accident de chasse en récit édifiant.

L’empereur Xuanzong et la grue taoïste de la fête de Chongyang
Les immortels taoïstes comprennent les liens subtils du destin. (Image : Musée National du Palais de Taïwan / @CC BY 4.0

Cette légende de la grue taoïste de la fête de Chongyang illustre plusieurs thèmes chers à la culture chinoise traditionnelle : la métamorphose entre formes humaine et animale, la capacité des êtres éveillés à prévoir l’avenir, le respect des liens entre les êtres même à travers le temps et l’espace, et surtout, l’idée que rien n’arrive par hasard.

Dans le taoïsme, la grue occupe une place particulière. Symbole de longévité et de transcendance, elle est souvent associée aux immortels qui, selon la tradition, chevauchent ces oiseaux célestes pour voyager entre les mondes. Le fait que la rencontre se produise lors de la fête de Chongyang — moment où le yang atteint son apogée et où l’on cherche à s’élever spirituellement — ajoute une dimension symbolique à l’événement. Ce jour, consacré à la contemplation de la nature et à l’évitement des influences néfastes, devient le théâtre d’une rencontre entre le pouvoir terrestre et la sagesse céleste.

Pour Xuanzong, qui vécut les sommets de la gloire puis l’amertume de l’exil, cette flèche retrouvée a dû prendre une signification particulière. Au moment où il avait perdu son empire et dû fuir devant la rébellion, la Providence lui offrait ce rappel : derrière les apparences du monde visible se cache une réalité plus profonde, où les immortels taoïstes veillent et où chaque acte trouve sa résolution. La flèche, instrument de destruction devenu objet de mémoire et de sagesse, symbolise peut-être aussi la transformation nécessaire du souverain, contraint de passer de la puissance guerrière à l’humilité contemplative.

Cette histoire nous enseigne également la patience et le respect des cycles naturels. Xu Zuoqing aurait pu rendre la flèche immédiatement, mais il a attendu deux ans — le temps nécessaire pour que l’empereur, transformé par l’épreuve de l’exil, soit prêt à recevoir cette leçon spirituelle. Le destin, dans sa sagesse, orchestre les rencontres au moment opportun.

Rédacteur Yi Ming

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