Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Histoire. Histoire. Wang Wei, poète-peintre de la dynastie Tang : De l’exil à l’héritage éternel (2/2)

CHINE ANCIENNE > Histoire

L’intégrité face à la corruption

En 737, le drame politique a frappé. Zhang Jiuling, le mentor intègre du poète, a été démis de ses fonctions et exilé par l’empereur, manipulé par le ministre corrompu Li Linfu (?-752) — un homme tristement célèbre pour son hypocrisie (« miel sur les lèvres, poignard dans le ventre », dit le proverbe chinois à son sujet). Tous les fonctionnaires de la cour ont immédiatement trahi Zhang Jiuling pour sauver leur carrière.

Sauf Wang Wei. Ce dernier a composé publiquement un poème, Lettre au gouverneur Zhang de Jingzhou, (寄荆州张丞相, jì jīng zhōu zhāng chéng xiàng) proclamant sa loyauté envers son mentor déchu :

举世无相识,终身思旧恩

Jǔ shì wú xiāng shí, zhōng shēn sī jiù ēn

Personne au monde ne me connaît, mais toute ma vie je pense à votre reconnaissance bienveillante

Dans une cour terrorisée, cet acte équivalait à un suicide politique. Li Linfu a immédiatement exilé le poète dans les régions désertiques de l’ouest, au quartier général militaire de Hexi, comme Censeur d’Inspection et Juge du commandement militaire.

Histoire. Wang Wei, poète-peintre de la dynastie Tang (2/2) : De l’exil à l’héritage éternel
L’intégrité de Wang Wei face à la corruption. (Image : Yi Ming, image générée par Perplexity / VisionTimes)

L’exil aux frontières : naissance des vers immortels

Mais l’exil s’est révélé bénéfique. Dans les vastes déserts de l’ouest, loin des intrigues de la cour, l’artiste a trouvé une inspiration grandiose. Il a composé plus de quarante poèmes sur les paysages désertiques, dont ce vers devenu légendaire :

大漠孤烟直,长河落日圆

Dà mò gū yān zhí, cháng hé luò rì yuán

Au grand désert monte, droite, la fumée solitaire ; sur le long fleuve descend, rond, le soleil couchant

Wang Guowei (1877-1927), grand critique littéraire chinois moderne, a qualifié ces vers de « spectacle grandiose de tous les temps ». Deux lignes, dix caractères : un paysage infini.

Durant cette période, Wang Wei a également composé le poème d’adieu le plus célèbre de la littérature chinoise, Au revoir à Yuan Er en mission à Anxi (送元二使安西, Sòng Yuán èr shǐ Ānxī):

渭城朝雨浥轻尘,客舍青青柳色新

Wèi chéng zhāo yǔ yì qīng chén, kè shè qīng qīng liǔ sè xīn

La pluie matinale à Weicheng apaise la fine poussière ; l’auberge se teinte de vert, les saules retrouvent leur fraîcheur nouvelle

劝君更尽一杯酒,西出阳关无故人

Quàn jūn gèng jìn yī bēi jiǔ, xī chū yáng guān wú gù rén

Je t’invite à vider ce dernier verre ; à l’ouest de la Passe Yang, tu ne trouveras plus d’anciens amis

Ce poème a été mis en musique et chanté pendant des siècles. Aujourd’hui encore, les Chinois le récitent lors des adieux.

Le chagrin d’une amitié perdue

Après 40 ans, le poète a assumé la fonction d’inspecteur des fonctionnaires dans le sud. En traversant Xiangyang, il a voulu rendre visite à son vieil ami Meng Haoran. Mais en arrivant, il a appris que Meng était mort. La douleur l’a submergé. Il a composé Pleurs pour Meng Haoran (哭孟浩然, Kū Mèng Hào Rán) :

故人不可见,汉水日东流

Gù rén bù kě jiàn, hàn shuǐ rì dōng liú

Mon ami, je ne te verrai plus jamais ; et la rivière Han coule toujours, jour et nuit, vers l’est

借问襄阳老,江山空蔡州

Jiè wèn Xiāng yáng lǎo, jiāng shān kōng Cài zhōu

Où est-il maintenant, l’ancien de Xiangyang ? Les montagnes demeurent, qui parcourra encore Caizhou ?

Histoire. Wang Wei, poète-peintre de la dynastie Tang (2/2) : De l’exil à l’héritage éternel
 La naissance d’un poème éternel en hommage de son ami perdu. (Image : Yi Ming, image générée par Perplexity / VisionTimes)

L’artiste a également peint un portrait de son ami disparu et l’a fait accrocher dans le pavillon du gouverneur. Ce pavillon a ensuite été rebaptisé « Pavillon Haoran » en hommage à leur amitié. Le critique Huang Zongxi (1610-1695) écrivit : « Les sentiments sincères peuvent transpercer le métal et la pierre, émouvoir les esprits comme les fantômes. » Dans sa simplicité même, ce poème touche profondément l’âme.

La retraite à Wangchuan : l’apogée spirituelle

À 44 ans, Wang Wei a acheté une propriété dans les montagnes de Zhongnan, près de la rivière Wangchuan. Il y a installé sa mère et a commencé une vie « mi-officielle, mi-ermite ». Après la mort de sa mère, il s’est retiré complètement pendant trois ans, selon le rite confucéen du deuil filial.

À Wangchuan, il a trouvé son paradis. Avec son ami Pei Di, il cultivait, peignait, composait. Ensemble, ils ont créé le Recueil de Wangchuan(辋川集), une collection de poèmes célébrant vingt sites naturels autour de sa propriété.

Son poème le plus célèbre, Habitation de montagne à l’automne (山居秋暝, Shānjū qiū míng), date de cette période :

空山新雨后,天气晚来秋

Kōng shān xīn yǔ hòu, tiān qì wǎn lái qiū

Montagne vide après la pluie nouvelle, le temps du soir amène l’automne

明月松间照,清泉石上流

Míng yuè sōng jiān zhào, qīng quán shí shàng liú

La lune claire brille entre les pins, la source limpide coule sur les pierres

竹喧归浣女,莲动下渔舟

Zhú xuān guī huàn nǚ, lián dòng xià yú zhōu

Le bambou bruisse au retour des laveuses, les fleurs de lotus s’agitent sous les barques de pêche

随意春芳歇,王孙自可留

Suí yì chūn fāng xiē, wáng sūn zì kě liú

Laisse les fleurs de printemps se faner à leur gré, le paysage automnal me donne envie de rester

Ce poème incarne parfaitement la philosophie de Wang Wei : acceptation sereine, fusion avec la nature, détachement joyeux. Chaque image fonctionne seule, mais ensemble elles créent un univers complet. Peinture et poésie fusionnent complètement.

Histoire. Wang Wei, poète-peintre de la dynastie Tang (2/2) : De l’exil à l’héritage éternel
La vie dans les montagnes, un paradis pour Wang Wei. Mille rochers et une myriade de ravins, peinture attribuée à Wang Wei. (Image : Musée National du Palais de Taïwan / @CC BY 4.0

L’épreuve finale : la rébellion d’An Lushan

En 755, l’empire Tang a basculé dans le chaos. An Lushan (703-757), un général rebelle, a lancé une insurrection qui a dévasté la Chine. Le poète, alors âgé de 55 ans, s’est retrouvé piégé à Chang’an quand la capitale est tombée. Pour échapper au service forcé sous les rebelles, il a avalé des médicaments pour simuler une maladie. Mais An Lushan l’a emprisonné et forcé à accepter un poste administratif dans le gouvernement rebelle.

Le lettré a accepté extérieurement, tout en restant loyal à la dynastie Tang dans son cœur. Quand il a appris que le musicien impérial Lei Haiqing avait maudit les rebelles devant An Lushan et avait été exécuté pour son courage, Wang Wei a composé secrètement L’Étang aux Eaux de Jade Émeraude (凝碧池, níng bì chí) :

万户伤心生野烟,百僚何日再朝天

Wàn hù shāng xīn shēng yě yān, bǎi liáo hé rì zài cháo tiān

Mille foyers en deuil, fumées errantes dans la désolation ; nos ministres, quand reverront-ils l’empereur ?

秋槐叶落空宫里,凝碧池头奏管弦

Qiū huái yè luò kōng gōng lǐ, níng bì chí tóu zòu guǎn xián

Dans le palais désert tombent les feuilles d’acacia d’automne ; sur l’Étang aux Eaux de Jade Émeraude résonnent les instruments.

Ce poème, apparemment innocent, cachait une protestation. Le vers « sur l’Étang aux Eaux de Jade Émeraude résonnent les instruments» faisait référence aux musiciens forcés de jouer pour les rebelles. L’artiste pleurait la chute de l’empire.

Le pardon impérial et les dernières années

En 757, la rébellion a été écrasée. L’empereur Tang Suzong (711-762, règne 756-762) est revenu au pouvoir et a jugé tous ceux qui avaient servi les rebelles. Le poète risquait l’exécution. Mais son poème L’Étang aux Eaux de Jade Émeraude a prouvé sa loyauté. Son ami Pei Di et de nombreux ministres ont témoigné en sa faveur. L’empereur, ému, lui a pardonné et l’a même promu au rang de Vice-ministre des Rites, un poste de troisième rang — l’un des plus élevés de l’empire.

Mais le sage avait dépassé les ambitions terrestres. Dans un mémorial à l’empereur, il a demandé que sa propriété de Wangchuan soit transformée en temple bouddhiste pour honorer sa défunte mère. L’empereur a accepté. Le domaine est devenu le temple Qingyuan, qui existe toujours aujourd’hui.

À 61 ans, Wang Wei a demandé à l’empereur de permettre à son frère cadet de revenir à la capitale pour une réunion familiale. Peu après avoir soumis cette requête, en 759 ou 761, Wang Wei meurt paisiblement. Il a été enterré près du temple Qingyuan, au pied des montagnes de Zhongnan.

L’héritage immortel

Wang Wei a laissé environ 400 poèmes, des dizaines de peintures (bien que la plupart soient perdues), et une influence qui traverse les siècles. Su Shi, quatre siècles plus tard, l’a couronné comme le maître absolu de la fusion entre peinture et poésie. Les peintres de la dynastie Song (960-1279) l’ont considéré comme le fondateur de la peinture de paysage à l’encre monochrome.

Mais au-delà de la technique, le poète-peintre a enseigné quelque chose de plus profond : comment vivre avec grâce face à l’adversité. Exilé, veuf, trahi, forcé de servir des rebelles — il a traversé presque toutes les tragédies possibles. Pourtant, ses poèmes respirent la paix, la sérénité, la joie tranquille.

Histoire. Wang Wei, poète-peintre de la dynastie Tang (2/2) : De l’exil à l’héritage éternel
Marcher jusqu’à la source de l’eau et s’asseoir pour contempler les nuages se lever. Mille rochers et une myriade de ravins, peinture attribuée à Wang Wei. (Image : Musée National du Palais de Taïwan / @CC BY 4.0

Son vers le plus célèbre résume sa philosophie :

行到水穷处,坐看云起时

Xíng dào shuǐ qióng chù, zuò kàn yún qǐ shí

Marcher jusqu’à la source de l’eau et s’asseoir pour contempler les nuages se lever.

Quand le chemin s’arrête, assieds-toi et regarde le ciel. Quand la vie te bloque, trouve la beauté dans l’instant. C’est la sagesse de Wang Wei. 

Le sage a prouvé qu’on peut naviguer dans le chaos du monde tout en préservant la pureté intérieure. Poète, peintre, musicien, calligraphe, cuisinier, fonctionnaire, bouddhiste — il a été tout cela, sans se perdre lui-même.

Plus de 1 260 ans après sa mort, ses poèmes continuent d’enchanter. Parce qu’au-delà des caractères chinois, au-delà des paysages décrits, l’artiste a capturé quelque chose d’universel : la quête humaine de sens, de beauté, de paix dans un monde impermanent.

Sans oublier cette dimension cachée qu’il tissait dans ses vers ? Ce n’était pas un artifice littéraire. C’était sa vision du réel : un univers où le visible et l’invisible dansent ensemble, où chaque instant contient l’éternité, où un poème peut ouvrir des portes vers des mondes parallèles.

Wang Wei n’a pas simplement écrit de la poésie. Il a peint des univers.

Rédacteur Yi Ming

Cliquez ici pour lire l’article N°1

Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.

Pour améliorer votre expérience, nous (et nos partenaires) stockons et/ou accédons à des informations sur votre terminal (cookie ou équivalent) avec votre accord pour tous nos sites et applications, sur vos terminaux connectés.
Accepter
Rejeter