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Société. Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle ?

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Constat et regard d’une enseignante

Pourquoi et comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle ? Ce sont deux questions que pourrait se poser tout enseignant qui se voit confier de jeunes vies. Cette responsabilité incombe à tout un chacun. Inclure la démarche du discours Socratique dès le plus jeune âge, et ce quel que soit le texte lu, ainsi que la lecture de plusieurs versions d’un même conte pourraient être en partie une réponse pour la sensibilisation de nos futurs citoyens.

Un constat sociétal

À l’heure où la société va mal, où les valeurs sont inversées, où il n’y a plus de respect pour les anciens, pour ceux qui soignent, pour ceux qui protègent, pour ceux qui aident, pour ceux qui transmettent et enseignent, pour ceux qui travaillent, où il n’y a plus de respect pour la famille, les lois, à l’heure où la société de surconsommation remplace insidieusement chez les jeunes , « l’être » par « l’avoir », où le matériel est plus précieux que l’humain, il est certainement temps de se poser certaines questions.

Pourquoi et comment la société en est-elle arrivée là ? Qui est responsable ? Comment éduquer les futurs citoyens ? Quelles valeurs apprendre dès le plus jeune âge ? Que signifie le mot « éducation » au sens le plus profond du terme ?

Citation de Platon : extrait de La République. (Image : Capture d’écran / pinterest.fr)

La passivité intellectuelle dans la lecture des contes en maternelle

Lors de lectures d’histoires, de contes en maternelle, les échanges entre l’enseignant et les élèves reposent généralement sur des questions de compréhension simples de l’enseignant. Il s’assure de cette manière que les élèves ont compris le texte. Mais le plus souvent, ces questions restent factuelles : en surface et peu profondes. Ces questions respectent la règle des 5 W en anglais, comme : Who, When, Where, What et Why, ou QQOQCP, en français (Quoi, Qui, Où, Quand, Comment, Pourquoi). Plus concrètement cela donne : quels sont les personnages ? Quand se déroule cette histoire ? Que fait le héros ? Que se passe-t-il dans l’histoire ? Où cela se passe-t-il ? Pourquoi le héros fait-il cela ? Comment va-t-il s’en sortir ? Les questions restent basiques et banales, vraiment factuelles. Les enfants savent répondre, l’enseignant est satisfait, ils ont compris l’histoire, mais cela s’arrête souvent là.

Cependant, lorsque nous lisons une histoire à un enfant, il y a plusieurs niveaux de lecture et de compréhensions. Il existe notamment les non-dits, les implicites, qu’ils absorbent passivement si nous ne leur expliquons pas : soit à travers les illustrations ou le texte, ou même l’absence de texte également. Ils sont ainsi éduqués passivement, un peu comme lorsqu’ils sont placés devant la télévision et qu’ils regardent les publicités ou autre chose : sans que les parents ou les éducateurs n’échangent ou n’expliquent quoique ce soit.

La passivité intellectuelle nourrit alors d’ignorance les cerveaux des enfants, futurs citoyens.
L’accompagnement intellectuel et les échanges humains resteront donc toujours nécessaires dans la compréhension du monde pour les enfants. Facile à dire mais comment faire me direz-vous ?

Citation de Margaret Mead (anthropologue américaine). (Image : Capture d’écran / citation-photo.fr)

D’un côté Margaret Mead insistait sur le fait qu’il est important d’apprendre aux enfants à penser. Mais pas à quoi penser. Aristote de son côté soulignait qu’« Éduquer l’esprit sans éduquer le cœur revient à n’avoir aucune éducation du tout ». Alors comment faire ? Comment aller plus loin dans l’éducation des jeunes enfants ? Comment allier les deux : le cœur et l’esprit ?

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
Citation d’Aristote sur éduquer le cœur. (Image : Capture d’écran / citation-photo.fr)

Comment éduquer l’esprit et le cœur ?

Il est important de se poser des questions chaque jour avant d’enseigner. Lorsque l’enseignant montre l’exemple, dit qu’il s’est trompé et qu’il rectifie son attitude devant les élèves, n’est-ce pas là une belle chose, une belle preuve d’éducation ? N’éduquons-nous pas ainsi de futurs citoyens ? Nous éduquons de futurs citoyens, l’éducation par l’exemple demeure la plus marquante chez les élèves et montre également l’humilité dont fait preuve l’enseignant ou l’éducateur. L’éducation est le ciment d’une société.

L’éducation est la base de toute société. Elle est sa force motrice. La toute première société que l’enfant rencontre dans sa vie est la « société » familiale, celle qui va poser les bases, les fondements, les premières règles ou lois. Puis l’enfant va élargir « sa » société en entrant à l’école. Ce sera la deuxième société qu’il rencontrera avec de nouvelles règles et de nouvelles lois. Si ces deux premières micro-sociétés ont failli à leur tâche, alors le futur citoyen qui en résultera prendra de mauvaises décisions dans le futur : dans la « vraie » grande société.

Les adultes ont la lourde responsabilité de construire des êtres autonomes, pensants, de les accompagner sur leur chemin du libre arbitre : mais le chemin du bien, pour le bien de tous, pour harmoniser la société future qui sera la leur.

L’adulte lui-même, lorsqu’il lit tout texte, histoire ou document, doit prendre conscience de ce qu’il lit, et anticiper en amont les compréhensions profondes implicites et les valeurs que véhicule chaque texte.

Enseigner avec la démarche Socratique dès la maternelle : un bienfait

Pourquoi alors ne pas amener les jeunes enfants le plus tôt possible à développer une compréhension plus profonde des histoires et des contes. Par exemple, en commençant par poser des questions beaucoup plus profondes de compréhension sur le texte, des questions finalement plus « morales », mais sans leur donner la réponse. Ce sont eux qui, en échangeant ensemble, font grandir la réflexion du groupe sur différents sujets.

Pourquoi ne pas revenir au discours Socratique. Celui qui fait se questionner les esprits, tous les esprits même les plus jeunes. Ainsi, naît l’esprit critique. Des échanges philosophiques éclosent alors entre les enfants. N’est-ce pas merveilleux de les éveiller au questionnement. Parfois, ils ont d’ailleurs des réflexions bien plus affutées et avisées sur certains sujets que certains adultes et ce dès leur plus jeune âge. Par voie de réciprocité, les élèves apportent ainsi énormément à leur enseignant.

Développer l’esprit critique dès la maternelle, éviter la pensée unique

S’écouter les uns, les autres, chacun délivrant « sa » vérité qu’il croit juste à cet instant précis, puis, parfois, certains en écoutant les autres changent d’opinion… ou pas, en découvrant d’autres compréhensions, d’autres façons de voir les choses, d’autres point de vue, si riches de nos diverses façons de penser. C’est un vrai partage.

Les partages des différentes compréhensions du monde à l’école font alors grandir. Souvent, des enfants discrets, timides que l’on entend à peine, peuvent avoir des compréhensions bien plus profondes du monde et de ce qui les entoure, des compréhensions bien plus élevées que la moyenne de leur âge et c’est une vraie chance pour un enseignant de faire émerger ces esprits critiques chez ces enfants. De même, les enfants qui manquent de cadre à la maison apprennent beaucoup des autres enfants et vont s’améliorer en modifiant leurs comportements ou façon de penser.

Dans ce contexte, la pensée unique ne s’installe plus insidieusement, et tranquillement dans le cerveau des enfants, il n’y a plus de place pour elle. Le rôle de l’enseignant n’est-il pas d’éviter à tout prix que ne s’installe cette pensée unique ?

N’était-ce pas Hannah Arendt qui soulignait, lorsqu’elle s’exprimait au sujet du totalitarisme : « Le grand isolement, c’est de s’entourer de personnes qui pensent comme vous ». Alors, le rôle de l’enseignant reste bien de développer l’esprit critique des enfants et ce dès le plus jeune âge, de les confronter le plus tôt possible aux avis différents de leurs pairs. Ainsi, l’enseignant peut éduquer réellement ses élèves et les préparer à se confronter à la réalité du monde qui les entoure.

Comparer différentes versions d’un même conte et débusquer l’implicite

Il est possible de prendre différentes versions du même conte pour développer l’esprit critique des jeunes enfants. Ils sont ainsi confrontés à des points de vue différents des auteurs ou des illustrateurs, des partis-pris différents, selon les illustrations, les éléments de textes enlevés ou ajoutés à l’histoire.

Ainsi, entrer dans une logique de comparaison de plusieurs versions est très enrichissant pour les enfants. Ceci est d’autant plus crucial à l’heure actuelle où souvent les jeunes sur les réseaux sociaux n’utilisent bien souvent qu’une seule source d’informations, sans forcément vérifier si elle est juste ou comment ce même sujet est traité par d’autres médias ou canaux d’informations. Aussi, il est crucial que dès le plus jeune âge, les enfants aient cette gymnastique intellectuelle et cette curiosité intellectuelle.

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
Citation d’Aristote sur la définition d’un esprit éduqué.(Image : Capture d’écran / Facebook)

Prenons l’exemple du conte Jack et le haricot magique, voici le type de questions qui pourraient être posées aux enfants.

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
Est-ce bien de voler un méchant ? Jack et le haricot magique Ribambelle Hatier. (Image : Capture d’écran / editions-hatier.fr)

Dans cette première version, Jacques semble cupide, sa mère également, l’argent paraît vital. Sa mère en colère exige de l’argent. À aucun moment, l’un d’eux ne songe à chercher du travail par exemple. Insidieusement, s’installe « la paresse » entre les lignes du texte si nous ne posons pas une question claire aux enfants du type : « Quelle autre solution auraient-ils pu envisager pour survivre ? ». Ce n’est pas clairement exprimé ou expliqué avec des mots, mais c’est bien là : Il faut de l’argent et vite. Tous deux manquent de patience. Jacques cherche alors la facilité : quelque chose de magique va l’aider : les haricots !

De plus, alors que l’ogresse est bienveillante, elle lui offre en effet, l’hospitalité, le nourrit et le protège de son mari, l’ogre, Jacques en vient tout de même à la voler !

Le texte dit que Jacques vole l’ogre, mais en même temps ne vole-t-il pas celle qui l’a aidé, l’ogresse qui a bon cœur, qui lui a ouvert sa porte ? De même, ce n’est pas écrit avec des mots. Mais c’est bien le cas.

Ainsi, est-il important de demander ici aux enfants : « Trouvez-vous cela juste ? Pourquoi Jacques agit-il de la sorte ? Est-ce sa façon de la remercier ? Pense-t-il aux autres avant lui-même ? Pourquoi ? Qu’en pensez-vous ? Et vous, comment auriez-vous agi à sa place ? »

Apprendre également aux enfants, dès le plus jeune âge, à se mettre à la place des autres peut être déterminant pour le futur. Examiner une situation sous tous ses angles, ouvre et élargit l’esprit de tous, petits et grands, c’est un processus et cela s’apprend. C’est une gymnastique intellectuelle à laquelle doivent se prêter le plus souvent possible les jeunes enfants, notamment aussi, dans les cours de récréation où les conflits peuvent naître pour un petit rien.

Puis, Jacques revient auprès de sa mère et lui donne les pièces volées. Celle-ci , au lieu de le gronder pour ce vol, loue le Ciel d’avoir un fils aussi habile ! L’enseignant peut ainsi questionner les enfants : « Est-ce correct de la part d’un parent ? Est-ce normal de laisser croire à son enfant que voler quelqu’un même de méchant est bien ? Pourquoi ? Est-ce mieux de voler un méchant qu’un gentil ? Pourquoi ? Qu’en pensez-vous ? Mais, un vol ne reste-t-il pas un vol ? Pourquoi ? » Et puis, la mère qui loue le Ciel. Demandons alors aux enfants : « Si le divin existe : est-ce que le Ciel validerait et encouragerait de tels actes répréhensibles ? Est-ce finalement bien ou mal ? Pourquoi ? »

Simultanément, évoquer la réalité quotidienne des enfants, faire des liens, ici et maintenant

L’enseignant peut faire consciemment le lien avec la réalité des enfants, en leur demandant par exemple : « Et vous ? Entreriez-vous comme cela chez les gens sans frapper ? Vous passeriez par la fenêtre ? Vous entreriez chez les gens sans y être invités, est-ce un comportement civilisé ? Pourquoi ? Aimeriez-vous que les gens entrent comme cela chez vous ? Fassent ce genre de choses chez vous ? Voler, vous priver de ce qui vous tient le plus à cœur ! ».

Quand Jacques revient avec la poule aux œufs d’or, la mère est encore insatisfaite : « N’as-tu volé que cette pauvre poule à dix sous ? ». Elle en veut toujours plus, et pousse ainsi inconsciemment encore plus son propre fils à voler toujours plus. Elle se plaint, toujours insatisfaite. « Est-ce normal de la part d’une mère ? Quelle attitude devrait avoir une mère dans une telle situation ? Qu’aurait pu dire ou faire Jacques ? ». Nous pouvons ici faire émerger le conflit de loyauté avec les enfants. « C’est sa mère, il l’aime malgré tout, mais pour autant a-t-il raison de l’écouter lorsqu’elle l’incite à voler plus ? »

Puis, Jacques est triste, vissé à son ennui, à sa paresse puisqu’il est désormais riche. L’enseignant devrait ici prendre conscience d’une mauvaise conception qui pourrait s’installer dans la tête des enfants : En effet, cela ne sous-entend-t-il insidieusement dans la tête des enfants que tous les riches sont des paresseux ?

Puis, Jacques coupe le haricot et l’ogre meurt.

Redécouvrir les notions du bien ou du mal : enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle

Il est alors possible de demander aux enfants : « Est-ce bien ou mal de faire la fête avec sa mère après avoir tué quelqu’un ? Qu’aurait-il dû faire dans cette situation ? Qu’aurait dû faire sa mère ? Comment Jacques aurait-il pu réparer ses erreurs, agir ? Quelles auraient pu être les autres solutions ? ».

En résumé, si l’enseignant n’est pas actif intellectuellement dans sa démarche pédagogique en amont, s’il n’a pas le projet de rendre plus vertueux ses élèves pour l’avenir de la nouvelle société et bien il va semer sans s’en rendre compte de très mauvaises valeurs dans la tête des enfants comme en lisant Jacques et le haricot magique :

  • C’est bien de voler pour être heureux.
  • Ce n’est pas grave de tuer quelqu’un de méchant.
  • Ce n’est pas grave de voler un riche.
  • Pas la peine de travailler etc.

Pourquoi redécouvrir les notions de bien et de mal en maternelle me direz-vous, quel intérêt ? Cela paraît évident désormais.

Voici une petite anecdote qui parle d’elle-même et qui s’est déroulée dans une classe de maternelle. Il y a quelques années, une petite fille, d’une très grande intelligence, avait fait une très grosse bêtise. Peu importe la bêtise, ce n’est pas ce qui est important ici, c’est la réponse qu’elle a donné lors de l’échange avec son enseignante qui pourrait surprendre.

Pour la confronter à son acte, l’enseignante lui a demandé : « C’est bien ou c’est mal ce que tu viens de faire ? » et là, l’enfant lui a répondu en haussant les épaules, le plus sincèrement du monde et le plus calmement du monde en regardant l’enseignante droit dans les yeux : « Je ne sais pas …On ne m’apprend pas. » Et là, l’enseignante a su qu’il était important d’inculquer de bonnes valeurs à ses petits élèves qui étaient perdus face à certaines situations, tout simplement parce que les adultes ne leur expliquaient plus ce qu’est le bien ou le mal et que par conséquent ils n’avaient plus de boussole pour les guider dans les choix de leurs actes dans la vie de tous les jours.

L’enseignant pourrait dès la maternelle choisir quelques mots-clefs simples, de belles valeurs universelles, riches de sens pour tous qu’il écrirait soit sur chacun des pétales d’une fleur géante ou sur une affiche visible de toute la classe. Ainsi, l’enseignant pourrait s’y référer lors d’échanges avec les enfants sur différents sujets abordés dans la classe.

Une fleur à cinq pétales comportant des mots tels que : « Vérité, Bienveillance, Patience, Tolérance, Bonté », serait une bonne base.

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
Voler aux riches est-ce normal ? Jacques et le haricot magique Magnard Jeunesse Petits contes classiques. (Image : Capture d’écran / magnard.fr)

Dans cette autre version, « la mère travaillait dur », nous le savons dès les premières pages, la paresse semble moins présente dans cette version. Jacques aidait d’ailleurs sa mère du mieux qu’il pouvait. Dans cette version, nous ne savons pas si la femme qui l’accueille est celle de l’ogre ou une simple servante apeurée.

Mais une phrase est à relever : « Il se disait que le géant possédait tellement de richesses que ce sac ne lui manquerait guère. » Finalement, l’enseignant pourrait demander aux enfants : « Est-ce donc bien ou pas de voler un riche ? Pourquoi selon vous ? Pourquoi ce ne serait pas considéré comme du vol ? Sait-on comment il a obtenu sa richesse dans l’histoire ?

Comment l’a-t-il obtenue à votre avis ? Si vous aviez, vous par exemple, travaillé dur pour être riche et que l’on vous vole ? Qu’en penseriez-vous ?»

Ainsi, à aucun moment l’enseignant n’émet de jugement sur les réponses des élèves mais en réfléchissant tous ensemble, en les mettant en situation, l’enseignant permet à chaque élève de développer son esprit critique et de trouver par lui-même la réponse la plus juste à son niveau.

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
L’enfant exige. L’enfant veut. Voler des gens laids et répugnants est-ce normal ? Jacques et le haricot magique du Père Castor. (Image : Capture d’écran / librairie-gallimard.com)

Dans cette version, Jacques ment, il dit : « Je me suis perdu. Donnez-moi à manger, j’ai très faim. » Aucune règle de politesse ne l’effleure, ni bonjour, ni s’il vous plaît, ni merci. Il exige de façon impérative, comme un enfant « Roi ». Demandons alors aux enfants : « Est-ce normal pour un enfant ? Comment demande-t-on lorsque l’on est poli ? Et vous ? Vous feriez cela en arrivant chez des personnes inconnues qui vous accueillent gentiment chez eux ? »

Dans cette version, l’ogre et sa vieille femme sont laids. Le lecteur non avisé excuserait presque Jacques de les voler. Mais l’enseignant doit rester vigilant : « Est-ce bien ou mal ? Est-ce un parti-pris de l’illustrateur de nous les présenter ainsi, moins sympathiques rendant l’acte de vol, du coup, moins répréhensible et par voie de conséquence rendre l’acte de voler moins " laid " quant à lui ? »

Dans cette version, la mère de Jacques a encore un fond de bon semble-t-il, aussi souhaite-t-elle se racheter de ses actes répréhensibles car elle offre l’hospitalité aux indigents… L’enseignant peut questionner les enfants en ce sens : « Est-ce que pour autant que cela efface le fait qu’elle et son fils restent des voleurs qui profitent de leur larcin ? Quelque part ne rendent-ils pas complices indirectement de leurs actes les indigents qu’ils invitent à manger chez eux ? Est-ce bien ? Est-ce correct ? Est-ce une façon de se faire pardonner ? Pourquoi ? Et par qui ? Qu’en pensez-vous ? »

De plus, la mère tombe malade. Elle souffre d’un mal inconnu. Peut-être paie-t-elle ses mauvaises actions (de vol et de recel) ?

Pourtant, elle est chanceuse : la musique émanant de la harpe la guérit.

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
Qui ne dit mot consent ? conte anglais Jacques et le haricot magique Grasset monsieur Chat. (Image : Capture d’écran / mediathequedepartementale.cg)

Dans cette version, Jacques loue le travail et le dit clairement avec ces mots : « Ne t’en fais pas maman. Je vais partir et je trouverai du travail. » Sa mère lui répond : « (…) nous allons vendre Blanchelait puis monter un commerce d’épicerie ».

Dans cette version, Jacques semble plus respectueux et poli. « -Bonjour Madame », lui dit Jacques. « Seriez-vous assez gentille pour me donner quelque chose à manger ? (…) S’il vous plaît », insiste Jacques.

Ici, lorsque Jacques montre les pièces d’or à sa mère, elle ne dit strictement rien. Alors, l’enseignant pourrait questionner à ce sujet les enfants : « Mais est-ce pour autant qu’elle est d’accord ou pas ? Qu’en pensez-vous ? » Un dicton dit : Qui ne dit mot consent. « Êtes-vous d’accord avec cela ? Pourquoi ? Qu’aurait-elle dû dire ou faire clairement ? »

Ici relevons ce passage dans le texte, l’ogre dit : « -Hé, femme, qu’as-tu fais de ma poule aux œufs d’or ? - Quoi ? Fit-elle. Jacques n’entendit rien de plus… et il s’enfuit. »

Jacques ne s’inquiète aucunement, après son vol, du sort réservé à la femme de l’ogre, des conséquences de son acte sur les autres, il ne pense qu’à lui et ses intérêts personnels : il n’a aucune empathie pour elle, alors qu’elle lui a donné à manger, et l’a protégé. Si l’enseignant arrête sa lecture ici, il pourrait éventuellement demander aux enfants : « A votre avis que pensez-vous qu’il va arriver à l’ogresse dans cette version ? Qu’aurait dû faire Jacques ? Pourquoi ? Qu’en pensez-vous ? ».

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
Le héros tire-t-il une leçon de ses actes ? Mini conte Jack et le haricot magique Hachette livre. (Image : Laurence Lefebvre / Vision Times)

Il est dit clairement dans cette version que Jack est paresseux, étourdi, il ne s’occupe pas du tout du jardin alors que sa mère est malade et bientôt ils n’ont plus rien à manger. Il rencontre un colporteur mais à aucun moment il ne lui dit que les haricots sont magiques. Jack semble attiré par leur couleur et leur brillance, par ce qui brille… L’enseignant pourrait alors interroger les enfants : « Pourquoi ? Avait-il pensé au jardin de sa mère à ce moment-là ? Pensez-vous qu’il souhaitait les planter pour se nourrir ou pas ? Pourquoi ? Que souhaitait-il faire alors avec ces belles graines ? »

Lorsqu’il est dit clairement en parlant de la femme de l’ogre : « (…)tremblant sa femme qui savait qu’elle aurait de sérieux ennuis si Jack était trouvé à l’intérieur du château ».

L’enseignant pourrait poursuivre avec les enfants à ce sujet : « Est-ce que Jack pense une seule seconde aux conséquences de ses actes sur ceux qui l’aident et le protègent ? Pourquoi agit-il ainsi ? Auriez-vous fait comme lui ? Pourquoi ? »

Dans cette version ce passage interpelle le lecteur : « Mais bientôt Jacques eut à nouveau envie de vivre des aventures et il décida de visiter à nouveau le château (…) Sa mère essaya bien de l’en dissuader, mais le lendemain, habillé d’un déguisement et la peau enduite de jus d’oignon, il escalada le haricot ».

Alors, l’enseignant peut demander aux enfants : « Jack obéit-il à sa mère ? Qu’aurait-elle du faire pour vraiment l’en empêcher ? Pourquoi ? Jack prémédite-t-il son coup, comment ? Qu’est-ce que la préméditation ? Choisit-il délibérément de faire une bonne chose ? A-t-il une bonne ou une mauvaise intention dès le départ ? Comment le sait le lecteur ? ».

Un autre passage à souligner également : « De plus, j’ai commis l’erreur de laisser entrer un garçon comme toi il y a quelques mois et cet ingrat s’est enfui avec la poule de mon mari. Depuis, il est de très mauvaise humeur et je ne veux pas m’attirer sa colère. Mais Jack ne céda pas ».

L’enseignant pourrait questionner les enfants ainsi : « Jack s’inquiète-t-il de ce qui pourrait arriver à la femme de l’ogre ? Pourquoi ? Est-ce bien ou mal ? Pourquoi ? Qu’est-ce que l’ingratitude ? Pourquoi l’ogresse dit-elle cela ? Dans cette version, sa mère semble honnête, mais arrive-t-elle à se faire respecter par son enfant ? Qu’est ce qui est le plus important pour elle ? Pourquoi ? Pourquoi n’arrive-t-elle pas à se faire obéir de son enfant ? Qu’aurait-elle dû faire ? Que feriez-vous à sa place ? Et vous y a-t-il des situations où vous avez été ingrats ? Comment pourriez-vous arranger les choses ? ».

Opérer des allers-retours entre le sens profond de l’histoire et la vie propre et réelle du monde quotidien de l’enfant, est fondamental, car cela l’apprendra également à réfléchir consciemment sur lui-même et ses propres actes et par conséquent le guidera vers l’amélioration de lui-même.

« Sa mère fut très heureuse de le retrouver et lui dit qu’elle préférait vivre dans la pauvreté le restant de ses jours plutôt que de risquer de perdre son cher fils à nouveau. »

Malgré les gémissements de sa mère, Jack ne lui obéit pas et repart une nouvelle fois là-haut.

Finalement, à la fin de cette histoire Jack tire une leçon de toute cela : celle de ne plus être jamais paresseux ! Car à la fin sa mère et lui ont eu si peur de mourir que cela leur a remis les idées en place.

C’est bien la seule version où il est possible de constater une remise en question du héros qui tire une vraie leçon de morale de ses actes et de ses conséquences. Il est important pour l’enseignant, il est de sa responsabilité de montrer aux enfants que tout cela aurait pu être plus lourd de conséquence encore. L’enseignant pourrait questionner ainsi : « A-t-il mis sa mère, sa propre famille en danger ? Pourquoi ? Et est- ce que cela en valait vraiment la peine ? Que se serait-il passé si l’ogre avait réussi à descendre sur terre vivant ? ».

En échangeant les uns avec les autres, les enfants constatent que chaque acte a des conséquences, d’ailleurs chacun s’enrichit des expériences des autres car souvent les enfants aiment relater des événements ou situations qu’ils ont eux-mêmes vécus et les drames qu’ils ont pu éviter par chance. Ainsi, l’enseignant peut-il leur apprendre à tirer des leçons de leurs erreurs plutôt que de les juger ou les blâmer et de leur demander comment ils feront si cela se reproduisait à nouveau.

Si l’enseignant évalue le rapport à cette question avec des valeurs telles que l’authenticité, la compassion et la patience des questions peuvent être formulées ainsi : « Qui est bienveillant finalement dans cette histoire ? Qui est malveillant ? Pourquoi ? Qu’auraient dû faire les personnages après chaque épreuve de la vie ? Plus de vache ? Que faire ? Plus d’argent que fait-on ? Pourquoi ? N’y a-t-il que les apparences qui comptent dans ce monde ? Être riche, laid ou méchant sont-ils des excuses pour autoriser à voler ? Un enfant doit obéir à ses parents mais jusqu’à quelles limites ? Pourquoi ? Est-ce bien ou mal de voler ? Est-ce bien ou mal de tuer ? Qu’aurait-il fallu faire ? ».

Finalement, de nombreuses questions d’ordre moral émergent ici, et c’est ce qui manque le plus à l’heure actuelle dans l’éducation dès la maternelle. Notre société va mal parce qu’il n’y a plus de vraies valeurs pour guider les actes de chacun et les adultes ne communiquent plus profondément avec les enfants, n’échangent plus sur les histoires, sur leur sens caché profond. Il fut un temps où à la fin des fables ou des contes, il y avait une petite leçon de morale. Celle-ci était loin d’être inutile et innocente, elle permettait au moins au lecteur d’y réfléchir.

L’éducation étant la base de la société, il semble crucial de la remettre au cœur de toutes les réflexions des adultes entourant les enfants de près : enseignant, parent, animateur, assistante maternelle, grands-parents, famille, mais aussi… Finalement, l’éducation n’incombe-t-elle pas à l’ensemble des adultes qui constituent la société ? C’est une lourde responsabilité dont chacun devrait prendre conscience dans chacun de ses actes et de ses mots.

L’essentiel bien sûr, n’est surtout pas de mettre les enfants sous cloche, de les protéger du monde, mais bel et bien de les amener à s’armer face à celui-ci, à affronter sa complexité, sa multiplicité. Chaque adulte est donc responsable de les amener à exercer leur libre arbitre, de choisir après avoir réfléchi sur ce que le monde leur propose…De les amener à penser par eux-mêmes, et non comme certains souhaiteraient qu’ils pensent.

Ainsi, l’éducation retrouvera toutes ses lettres de noblesse et restera à jamais « l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde » comme nous le signifiait déjà Nelson Mandela.

Comment enseigner de bonnes valeurs dès la maternelle
Citation de Nelson Mandela. (Image : Capture d’écran / citation-photo.fr)

Le fait également, de choisir divers textes complexes, diverses versions d’un même conte avec un vocabulaire de plus en plus riche, varié et différent, enrichit naturellement le cerveau des enfants qui auront dès lors les mots les plus fins et les plus précis pour s’exprimer et non plus leurs poings. La violence disparaîtra peut-être alors définitivement de notre société ?

Il apparaît donc urgent de nourrir les enfants avec de belles valeurs universelles, dès leur plus jeune âge, et ce quel que soit leur milieu socio-culturel, ainsi, il y aura toujours de l’espoir pour le futur.

Comme le disait Victor Hugo dans son poème Écrit après la visite d’un bagne, « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. (…) Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut planer là-haut où l’âme en liberté se meut ».

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