Dans les palais de la Chine impériale comme à la cour des rois de France, la couleur n’est jamais anodine. Le jaune était réservé aux empereurs chinois, tandis que, côté français, les vêtements de cérémonie royaux furent d’abord rouges pourpres, avant de devenir bleus fleurdelisés. Deux civilisations où la couleur devient langage, symbole et autorité. Cet article explore la fonction symbolique des couleurs dans les dynasties chinoises et françaises.
Les couleurs reflètent l’état de la société. En temps de paix et de prospérité, elles sont nombreuses et lumineuses. Lorsque la société décline, sur le plan matériel ou moral, elles s’effacent au profit de teintes ternes : noir, blanc ou couleurs sombres. Le noir et le blanc, bien qu’opposés, partagent souvent la même fonction symbolique, celle du deuil. Le noir en Occident, le blanc en Orient. D’autres couleurs, elles aussi, changent de signification selon les cultures. Cet article examine notamment les cinq couleurs fondamentales de la cosmologie chinoise et leur écho ou leur absence dans la tradition française.

Les cinq couleurs et les éléments en Chine
En Chine, cinq couleurs sont associées aux cinq éléments, piliers de la pensée antique chinoise. La première est le bleu-vert (qing), rattaché à l’élément bois. Le bois symbolise l’énergie de la naissance, la croissance, le renouveau. Son dragon est bleu azur, figure de fertilité, de vitalité, de sagesse et de pouvoir transformateur. C’est un élément de nature yang. Chaque dynastie est liée à un élément, souvent en opposition ou en succession à celui de la dynastie précédente. Ainsi, Yu le Grand, qui vainquit de terribles inondations en canalisant les eaux dans les champs, fut considéré comme porteur de l’élément bois. Il succéda à l’empereur Shun, vêtu de noir, symbole de l’eau. Yu le Grand, vêtu de vert, incarne la régénération.
Le vert en Égypte, en Chine et en Europe
Dans l’ Antiquité égyptienne, le vert est la couleur de l’immortalité. En Occident, il est lié à la nature, au printemps, à la fertilité et à la vie. Mais tout dépend de sa nuance : un vert sombre évoque la richesse mais aussi les zones d’ombre de l’âme humaine, un vert lumineux évoque la santé, la paix, l’aspiration spirituelle. Le vert n’a cependant jamais été une couleur royale en Europe, où il reste associé au monde profane, parfois même à l’instabilité ou à la marginalité.

Le blanc et le rouge : pureté, pouvoir et ambivalence
En Chine, le blanc, lié à l’élément métal, est une couleur ambivalente. Il symbolise la rigueur, la droiture, mais aussi la mort. Le blanc est la couleur du deuil, rarement utilisée comme couleur impériale, à l’exception de la dynastie Shang. Elle fut renversée par le roi Wen, fondateur de la dynastie Zhou, associée au feu, à la lumière et à la vertu.
En Occident, le blanc est symbole de pureté, de lumière et de spiritualité. Il n’a jamais été officiellement royal, mais dès le XIVe siècle, il est utilisé dans les drapeaux de l’armée royale, puis devient le symbole des royalistes durant la Révolution française.
Le rouge, en revanche, est historiquement lié au pouvoir. Dans l’Empire romain, il symbolise l’autorité et la majesté. Il reste associé à la royauté jusqu’au XIIe siècle, incarnant la puissance sacrée, le sang du Christ et l’ordre divin. Mais c’est aussi une couleur ambivalente. Entre passion, désir et interdits, voire révolte. Après la Révolution française, le rouge devient la couleur du sang versé et de la lutte révolutionnaire, puis de la gauche communiste. Pourtant, les couleurs du drapeau français, bleu-blanc-rouge, remontent à l’Ancien Régime

Le bleu, du sacré marial au pouvoir royal
Le bleu devient une couleur royale en France à partir du XIIe siècle. Jadis perçu comme une teinte secondaire ou barbare, il acquiert un statut sacré en devenant la couleur du vêtement de la Vierge Marie dans les vitraux et les enluminures. Saint Louis (Louis IX) choisit une cape bleue semée de fleurs de lys or et le bleu devient alors l’emblème royal. Sa valorisation est renforcée par l’amélioration des teintures (pastel puis indigo), qui offrent des bleus profonds et stables. À la Renaissance, il devient la couleur d’élégance, du calme et de la dignité.
En Chine ancienne, le bleu est lié à la mort et à l’au-delà. Mais pour Lao Zi, il symbolise l’insaisissable, le Tao. Dans le bouddhisme tibétain, il évoque la vacuité, la sagesse transcendante, l’infini. Associé à l’eau et au yin, le bleu est aussi une couleur d’introspection. Dans l’opéra traditionnel chinois, le bleu peut même incarner la ruse ou la perfidie. Un contraste marquant avec sa noblesse occidentale.
Le noir, couleur de la rigueur et de la gravité
En Chine, le noir est la couleur de l’eau, associée à la rigueur, à la volonté, au sacrifice. Il évoque la profondeur, mais aussi la capacité à affronter les épreuves. La tortue noire enlacée d’un serpent est un être spirituel capable de conjurer les catastrophes et de prolonger la vie. La puissante dynastie des Qin adopte le noir comme couleur impériale. Qin Shi Huang, premier empereur de Chine, impose le noir partout : vêtements, drapeaux, chars de guerre. Le noir devient la couleur de l’ordre centralisé et de la loi.
En France, le noir est depuis longtemps lié au deuil, à la pénitence et à la mort. À partir du XIVe siècle, les progrès de la teinture en font une couleur prisée par la noblesse. Au XVe siècle, la cour de Bourgogne en fait sa couleur de prestige pour sa sobriété, l'autorité et la dignité qu'elle dégage. Le noir devient aussi la couleur des magistrats, des juges et des prêtres, renforçant son image de sérieux et de pouvoir moral.

Le jaune, symbole de majesté en Chine et de trahison en France
En Chine, le jaune occupe une place unique. Associé à la Terre, au centre cosmique, à la lumière solaire et à la prospérité, il devient couleur impériale sous la dynastie Tang. Le Fils du Ciel, garant de l’harmonie cosmique, se tient au centre des quatre directions. Sous les dynasties Song et Ming, l’usage du jaune impérial est strictement réglementé. Sous les Qing, les toits de la Cité interdite, les vêtements officiels, les étendards impériaux, tout est jaune, orné de dragons à cinq griffes.
Aujourd’hui encore, le jaune reste une couleur porte-bonheur en Chine, symbole de richesse, de réussite et d’élévation sociale. Cette symbolique plonge ses racines dans les origines mêmes de la civilisation chinoise, avec Huangdi, l’Empereur Jaune, considéré comme le fondateur mythique de la Chine en 2697 av. J.-C.
En France, le jaune a une trajectoire très différente. Bien qu’associé au soleil, à l’or et à la lumière, il a longtemps été mal vu. Au Moyen Âge, on l’utilise pour marquer les traîtres, les faussaires, les réprouvés. Le jaune devient la couleur du mensonge, de la trahison, de la jalousie. Seul le jaune doré conserve une connotation positive, liée à la richesse et à la lumière divine.
En collaboration avec Evelyne Boileve
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.
