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Opinion. Hung Fook Court : l’incendie meurtrier de Hong Kong révèle des défaillances systémiques

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L’incendie meurtrier de Hong Kong survenu le 26 novembre a coûté la vie à au moins 128 personnes dans la résidence de Hung Fook Court. Cette tragédie met en lumière un système de sécurité gangrené par la corruption et l’usage de matériaux de construction défectueux importés de Chine continentale.

Sept tours embrasées, un bilan catastrophique

Ce mercredi 26 novembre en fin d’après-midi, le quartier de Tai Po bascule dans l’horreur. Sept des huit tours de la résidence Hung Fook Court, construite en 1983, s’embrasent en quelques minutes. Le feu se propage à une vitesse foudroyante le long des échafaudages en bambou recouverts de filets de protection verts qui enveloppent ces immeubles de quarante étages en pleine rénovation. Des colonnes de fumée noire s’élèvent dans le ciel. Les images font le tour du monde.

Le bilan provisoire du 28 novembre fait état de 128 morts confirmés. Parmi les victimes figurent un pompier et deux employées de maison indonésiennes. On dénombre également 76 blessés. Près de 200 personnes demeurent portées disparues. Pour 89 d’entre elles, l’identification des corps reste impossible. Les équipes de secours ont déployé 2 311 pompiers pour venir à bout de ce brasier classé au niveau 5, le degré d’urgence maximal du territoire.

Des filets de protection transformés en pièges mortels

Les enquêteurs se penchent rapidement sur un élément troublant : les filets de protection verts qui recouvraient les échafaudages. Ces équipements auraient dû être ignifuges, c’est-à-dire résistants au feu. C’est ce qu’exige la directive technique APP070 du département des bâtiments. L’ingénieur Pan Cheuk-hung le confirme sans ambiguïté. Pourtant, ces filets se sont révélés hautement inflammables.

L’ingénieur avait tiré la sonnette d’alarme dès l’année précédente. Il a prélevé des échantillons sur plusieurs chantiers de rénovation, dont celui de Hung Fook Court. Les matériaux ne respectaient pas les normes de sécurité. « J’ai effectué des tests en allumant ces filets », raconte-t-il. « La vidéo montre qu’ils brûlent très rapidement. » Pan Cheuk-hung a multiplié les démarches auprès de cinq départements gouvernementaux différents : le département du travail, l’Autorité du logement, le département des bâtiments et les services d’incendie. Il leur a envoyé des centaines de courriels d’alerte.

La réponse du directeur du département du travail illustre le déni des autorités. Les documents fournis aux médias en témoignent. « Notre inspection du site de Hung Fook Court nous amène à une conclusion », écrit-il. « Puisque les travaux n’impliquent ni flammes nues ni matériaux inflammables, le risque d’incendie est très faible. Les filets de protection doivent uniquement prévenir les chutes. Ils n’ont pas besoin d’être ignifuges. »

Matériaux chinois : quand les certifications masquent la réalité

L’enquête révèle l’origine des filets incriminés. Ils proviendraient de la société Shandong Chenxu Huaxian Rope Net Company Limited. Cette entreprise est basée dans la province du Shandong, en Chine continentale. Fondée en 2019, elle affiche un capital de 300 000 yuans seulement. Elle présente tous les signes d’une société écran : zéro employé enregistré et une adresse dans un village rural où des dizaines d’entreprises similaires sont domiciliées.

La certification des filets a été délivrée par un laboratoire de Binzhou, également situé dans le Shandong. Il est certifié CNAS (China National Accreditation Service, service national chinois d’accréditation). Ce système d’accréditation continental a progressivement remplacé le standard HOKLAS traditionnel utilisé à Hong Kong. L’objectif ? Réduire les coûts. Le résultat ? Des garanties de sécurité considérablement affaiblies.

Jiang Jiawei ne mâche pas ses mots. Ce président du Parlement de Hong Kong en exil analyse la catastrophe sans détour. « Le véritable problème ne réside pas dans la source d’ignition », explique-t-il. « Il s’agit d’une défaillance structurelle du système tout entier. C’est le résultat d’une accumulation de choix humains irresponsables. »

Ces filets en nylon sont des dérivés du pétrole. Ils ne devraient être utilisés que sur des chantiers inhabités, loin de toute zone résidentielle. « Une fois qu’ils brûlent, ils dégagent des fumées toxiques », martèle Jiang. « Placer ce type d’équipement dans un ensemble résidentiel constitue une violation flagrante de la loi. »

L’incendie meurtrier de Hong Kong expose des façades défaillantes

Le revêtement extérieur constitue un autre maillon faible révélé par l’incendie meurtrier de Hong Kong. Les « pierres de papier » ornaient les façades des tours. Ces revêtements céramiques décoratifs se sont consumés avec une rapidité alarmante. Jiang Jiawei établit un contraste saisissant avec les standards de l’époque coloniale britannique.

« Les pierres de papier installées sous l’administration britannique possédaient d’excellentes propriétés ignifuges », rappelle-t-il. « Aujourd’hui, les murs extérieurs se sont consumés comme du papier. Ces nouveaux matériaux viennent de Chine continentale. Ils brûlent de bas en haut sans la moindre résistance au feu. »

Cette dégradation illustre un phénomène plus large : la mainmise progressive d’entreprises liées au Parti communiste chinois sur le secteur de la construction. Wong Tak-man vit au Canada depuis plusieurs années. Cet ancien résident ne laisse planer aucun doute. « Les produits chinois et leurs certifications ne méritent pas la moindre confiance », affirme-t-il. « Les vendeurs falsifient les certifications. Les acheteurs le savent. Mais ils ferment les yeux parce que c’est moins cher. »

Quand la politique verrouille le système

Une question demeure : comment des entreprises aux pratiques aussi douteuses ont-elles pu remporter ces contrats de rénovation ? Jiang Jiawei apporte un éclairage sans détour. « Aujourd’hui, les comités de gestion des copropriétés sont contrôlés par des personnes pro-Pékin », constate-t-il. « Ils favorisent naturellement ces entreprises chinoises. Résultat ? Elles facturent plus cher pour un travail de qualité inférieure. »

Les fonds utilisés proviennent des charges de copropriété. Les résidents les ont accumulées sur de longues années. Celui qui contrôle cet argent détermine l’orientation des projets. Lorsque les comités de gestion tombent sous influence politique, la qualité des travaux devient une variable d’ajustement.

Wong Koon-ling préside l’Association canadienne de Hong Kong. Il établit un parallèle troublant avec la situation en Chine continentale. « Cet incident montre que la région administrative spéciale ressemble de plus en plus à la Chine continentale », observe-t-il. « Corruption dans les appels d’offres. Matériaux de qualité inférieure. Recherche de profits scandaleux. »

Il poursuit son analyse. « Les députés démocrates combattaient ces pratiques frauduleuses avec acharnement. Aujourd’hui, les figures de l’opposition sont soit emprisonnées comme prisonniers politiques, soit en exil. Les médias indépendants ont disparu. Ceux qui osent poser des questions deviennent des cibles. La loi sur la sécurité nationale plane sur tous. Tout semble calme en surface. Mais chaque incident se transforme en tragédie massive. »

L’entreprise Hung Yip Construction était responsable des travaux de Hung Fook Court. Elle n’en est pas à son premier scandale. L’un de ses anciens actionnaires, Cho Tak-kwong, a été condamné en 2009 à dix-huit mois de prison pour avoir soudoyé des fonctionnaires de la Société du logement. L’objectif ? Obtenir des contrats de rénovation. Le 27 novembre, la Commission indépendante contre la corruption (ICAC, Independent Commission Against Corruption) est passée à l’action. Elle a arrêté huit personnes. Parmi elles figurent deux directeurs de Hung Yip, deux chefs de projet et trois sous-traitants spécialisés dans les échafaudages.

Des alertes ignorées pendant dix ans

Pan Cheuk-hung insiste sur un point troublant : les signaux d’alarme ne datent pas d’hier. « Il y a dix ans déjà, M. Poon Cheuk-wan dénonçait les problèmes liés aux filets de protection », rappelle-t-il. « Des résidents ont également envoyé des vidéos aux services concernés. Aucune suite n’a été donnée. »

Un mois avant la tragédie de Hung Fook Court, un incendie s’était déclaré sur l’échafaudage de l’immeuble Chinachem à Central, le quartier d’affaires. « Les filets brûlaient déjà à cette occasion », déplore l’ingénieur. « Mais le gouvernement n’a tiré aucune leçon. »

Pour Jiang Jiawei, cette inertie s’explique clairement. La collusion entre les sphères politique et économique en est la cause. « La région administrative spéciale a perdu son âme », constate-t-il. « Tous les départements ne tournent plus qu’autour d’un seul objectif : la stabilité à tout prix. »

Il relève également des anomalies troublantes dans la gestion de la crise. L’alarme incendie n’a pas retenti au début du sinistre. Les hélicoptères du service aérien n’ont pas largué de bombes à eau. Ils ont uniquement assuré l’éclairage. Des véhicules de secours venus de Chine continentale étaient inexplicablement présents sur place.

« Pourquoi trouve-t-on des camions de pompiers et des ambulances de Chine continentale lors de cet incident ? » interroge Jiang. « La région administrative spéciale et la Chine continentale n’utilisent pas les mêmes systèmes de communication. Leurs procédures d’enregistrement diffèrent également. À quoi peuvent-ils servir ? Où vont-ils transporter les blessés ? »

Cette présence alimente les craintes. Un possible trafic d’organes inquiète particulièrement. Ce sujet reste sensible dans le contexte des relations entre le territoire et la Chine continentale.

Le bambou désigné comme bouc émissaire

Les médias officiels chinois et locaux orientent leurs critiques vers les échafaudages en bambou traditionnels dans les jours qui suivent. Jiang Jiawei dénonce cette stratégie de diversion. « Les échafaudages en bambou sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO », rappelle-t-il. « Leur flexibilité et leur résistance au feu sont excellentes. Regardez après l’incendie. Les immeubles sont calcinés. Mais les structures en bambou tiennent encore debout. Ils cherchent simplement un bouc émissaire. »

Il soulève une question embarrassante. Si les échafaudages en bambou venaient à être interdits, qui fournirait les structures métalliques de remplacement ? « Encore une fois des entreprises continentales », répond-il. Cette offensive contre le bambou constituerait ainsi une nouvelle opportunité. Les intérêts économiques chinois pourraient pénétrer davantage le marché local.

Un deuil national qui ne suffit pas

Le chef de l’exécutif John Lee Ka-chiu a décrété trois jours de deuil national. Du 29 novembre au 1er décembre, les drapeaux sont mis en berne dans tous les bâtiments gouvernementaux. Des registres de condoléances ont été ouverts dans les dix-huit districts. Le 29 novembre à huit heures du matin, les hauts fonctionnaires ont observé trois minutes de silence au siège du gouvernement.

Cette commémoration officielle peine à masquer les interrogations qui traversent toute la société. Les résidents veulent des réponses. Pourquoi des matériaux de qualité inférieure ont-ils pu être utilisés dans des zones résidentielles ? Pourquoi les alertes répétées ont-elles été ignorées pendant des années ? Pourquoi les alarmes incendie ne se sont-elles pas déclenchées ? Pourquoi les procédures de secours ont-elles été modifiées ?

Pour les expatriés, cette tragédie ravive un traumatisme ancien. On estime leur nombre à 300 000 au Canada. L’incendie de l’immeuble Garley en 1996 avait fait 41 morts. L’ancien député territorial Chan Wai-yip vit à Vancouver. Il confie avoir regardé les images avec un profond sentiment d’accablement. « Les immeubles de grande hauteur manquent depuis des années de systèmes d’extinction automatique par aspersion », déplore-t-il. « Cette vulnérabilité n’a jamais été corrigée. »

L’avenir en question

Jiang Jiawei appelle le gouvernement à publier le nombre réel de victimes. Des citoyens ont tenté de comptabiliser les décès en observant les « fourgons noirs », ces véhicules qui transportent les dépouilles. Le président du Parlement en exil exhorte la population à documenter les faits pour les présenter à la communauté internationale.

« Si cette tragédie devient un point de bascule pour l’éveil de la population, la communauté internationale y prête déjà une grande attention », affirme-t-il. « Si les habitants sont prêts à se soulever, la cause serait légitime. Il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle mais d’un désastre purement humain. » Il souligne toutefois un point crucial. « La question est de savoir s’ils sont prêts. Sans préparation, cela ne deviendra qu’une blessure collective. »

L’enquête officielle se poursuit. Mais la confiance dans les institutions s’est effondrée. Les habitants exigent bien plus que des statistiques froides. Ils réclament des comptes clairs et des responsabilités assumées. La capacité du territoire à maintenir ses standards de sécurité interroge. Peut-il encore préserver l’intégrité de ses institutions ? Cette question préoccupe tant les résidents que la communauté internationale qui observe avec attention l’évolution de la situation.

Jiang Jiawei résume la situation en une formule percutante. « Cette catastrophe n’est pas un accident. C’est le résultat d’un choix collectif d’irresponsabilité. » Une déclaration qui pose la question de l’avenir d’une ville jadis réputée pour sa rigueur et son respect des normes.

Rédacteur Yi Ming

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