Le chevalier de Saint George, bien plus qu’un violoniste et un compositeur virtuose, fut un escrimeur hors pair, le meilleur de son temps, dit-on, doublé d’un danseur et d’un patineur sur glace. Bref, un homme doté de capacités physiques et intellectuelles hors normes. Voyons comment il a su évoluer à travers les soubresauts de la France des Lumières.
Les origines antillaises du chevalier de Saint-George
Joseph Bologne de Saint -George, plus connu sous le nom du Chevalier de Saint-George, est né en 1745 à Baillif, près de Basse-Terre, ville située sur l’île de Guadeloupe, colonie française à cette époque. Fils de George Bologne, un propriétaire d’esclaves descendant d’une famille hollandaise et de son esclave Nanon, il va atteindre des sommets dans de multiples domaines.
L’historien Frédéric Régent précise au micro de Cécile Baquey pour Outre-mer 1ère, lors d’ un reportage publié le 31 mars 2024 : « Nous avons des certitudes sur sa date et son lieu de naissance. Il serait né à la fin de 1745. On le sait par une date de naissance qui est mentionnée dans des documents. Et d’autre part, il apparaît dans un registre de passagers accompagné de son père et de sa mère. Donc un registre de passagers de 1747 dans lequel il est mentionné qu’il a deux ans. Donc cela signifie qu’il est né deux ans auparavant, en 1745 ».
L’historien, spécialiste de l’esclavage de l’Ancien Régime poursuit : « Les esclaves sont enregistrés dans les registres paroissiaux. Le seul problème, c’est que la plupart des registres paroissiaux de l’époque, ceux concernant les esclaves, ont été détruits ».

Une éducation raffinée pour un escrimeur hors pair
Contraint de quitter la Guadeloupe, George Bologne s’installe à Paris avec son fils qui recevra une éducation aristocratique. Il le reconnaît comme son fils. En vertu de l’article 19 du code noir en vigueur, « les affranchis ont les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ». Joseph Bologne, désormais affranchi, « mulâtre » comme on disait à l’époque est surtout fils de gentilhomme. Son père, plus tard, lui achètera une charge. La situation de notre chevalier reste assez atypique : quoique noir, il bénéficie des privilèges dues à la noblesse du XVIIIe siècle. Le jeune Joseph Bologne s’initie très tôt au maniement de l’épée, discipline réservée à la noblesse par essence.
Confié aux bons soins du maître d’armes Nicolas Benjamin Texier de La Boëssière, dès l’âge de treize ans, le chevalier de Saint-George révèle des aptitudes remarquables pour l’escrime. Il se lie d’amitié avec le fils Antoine de La Boëssière et devient un escrimeur de génie.
« On l’occupait le matin à son éducation et le reste de la journée était employé à la salle d’armes. À quinze ans, ses progrès avaient été si rapides qu’il battait les plus forts tireurs. À dix-sept ans, il avait acquis la plus grande vitesse. Avec le temps, il joignit encore à sa prompte exécution, des connaissances qui achevèrent de le rendre inimitable. » Nous avons cité un passage de : Extrait de la notice historique sur Saint-George d’Antoine de La Boëssière.
Les plus grands épéistes d’Europe se sont mesurés à lui. Picard, un éminent maître d’armes de Rouen, promit qu’il allait vaincre « le mulâtre arriviste de La Boëssière ». Alain Guédé, auteur d’une biographie de Saint George développe : « On sait que Saint-George l’a battu à plate couture et que Picard a ensuite fait ses excuses ». Deux grands duels ont fait sensation : celui qui opposa le chevalier d’origine antillaise au plus grand escrimeur de l’Italie, Gian Faldoni, et un autre où Saint George s’opposait au chevalier d’Eon, un espion souvent travesti. Le combat qui eut lieu en présence du Prince de Galles fut immortalisé par un tableau d’Alexandre-Auguste Robineau.

Un musicien virtuose apprécié à la Cour
La musique faisait partie de la formation aristocratique que George Bologne destinait à son fils. Le violoniste Jean-Marie Leclair, tout comme le compositeur François-Joseph Gossec, se sont consacrés à l’éducation musicale du chevalier de Saint-George. Très tôt, ses talents hors normes de violoniste se dévoilent. En 1769, Gossec créateur du Concert des Amateurs, le nomme premier violon puis chef d’orchestre. Son talent de musicien et son expertise font de l’orchestre symphonique l’un des meilleurs de Paris, voire d’Europe.
Il se met à composer à partir de 1774, plus de 200 œuvres d’après l’historien Alain Guédé cité plus haut. Il a composé des sonates, des symphonies, des concertos. Malheureusement, la plupart de ces œuvres d’une qualité indéniable ont disparu.
Toutes ces prouesses n’échappent pas à la Cour : le chevalier de Saint-George est particulièrement apprécié par la reine Marie-Antoinette et le roi Louis XVI. Il passe pour un musicien favori à la Cour. Personnage charismatique aux talents multiples, il serait considéré comme une « star » de nos jours. Il se murmure que le chevalier serait devenu le professeur de clavecin de la reine.
Une figure qui fascine et qui dérange
Le succès du chevalier de Saint-Georges était tel que la jeune reine, faisant valoir les prouesses réalisées par le chevalier, songea à présenter sa candidature en tant que directeur de l’Opéra, lui que les cours européennes réclamaient.
La proposition déclencha un tollé sans précédent. Deux sopranos et une danseuse adressèrent à la reine une pétition dont la teneur disait en substance que « leur honneur et la délicatesse de leur conscience ne leur permettraient jamais de se soumettre aux ordres d’un mulâtre ». La reine dut renoncer à son idée. Saint-George ne fut jamais nommé directeur de l’Opéra.
L’événement mettait en lumière la situation ambigüe de Joseph Bologne. Il prenait ainsi conscience des limites et des contradictions de son statut social : à la fois ennobli et affranchi, tour à tour adulé et méprisé, il avait peine à trouver sa place dans une société hiérarchisée où le préjugé de couleur prédominait.
Ami de la Révolution, le premier colonel noir
Conquis par les idées d’une révolution promettant égalité et fraternité, il s’enrôla avec un certain nombre d’affranchis et de métis comme lui, dont le père d’Alexandre Dumas. Ainsi, se distinguant de nouveau, le chevalier de Saint-George devint le premier colonel noir de l’armée française. Cependant, la période révolutionnaire apporta à Joseph plus de revers que la précédente où la musique et l’escrime étaient sources d’estime et de renommée. Destitué, emprisonné pendant près d’ un an, il ne fut jamais réintégré dans ses fonctions malgré ses nombreuses requêtes. Emporté par la maladie, le brillant Joseph Bologne s’éteint à Paris en 1799 dans un certain dénuement.
Comment expliquer le silence et l’oubli dont s’est entouré ce personnage si flamboyant, ayant connu tant de succès et de gloire ?
Le XIXe et le XXe siècles ont quasiment occulté ses œuvres ou même son simple souvenir. Depuis quelques décennies, toutefois, les qualités de ce grand musicien commencent à sortir de l’ombre. Biographies, films, pièces de théâtre, festivals consacrés à ses compositions rendent hommage à un être d’exception. Des rues, des établissements scolaires portent son nom : chevalier de Saint-George.
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