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Monde. L’accès aux terres rares, un enjeu pour le XXIe siècle, selon Guillaume Pitron

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Face au monopole de la Chine, les pays occidentaux cherchent à réduire leur dépendance aux réserves chinoises de terres rares, minéraux essentiels aux technologies du XXIe siècle.

Contrairement à ce que leur appellation laisse entendre, les «terres rares» ne sont ni des «terres» ni « rares ». Il s’agit en effet d’un groupe de 17 éléments métalliques présents naturellement dans l’écorce terrestre, dont les réserves connues à ce jour sont estimées à 120 millions de tonnes, soit environ 700 années d’approvisionnement, selon l’Institut américain d'études géologiques United States Geological Survey (USGS), si l’on se base sur la consommation mondiale de 2018.

Bien que les réserves de terres rares soient relativement abondantes, les gisements exploitables sont plutôt rares en raison des difficultés à les extraire et à les purifier. La plupart des gisements ne sont en effet pas suffisamment concentrés en minéraux et leur extraction est généralement très destructive et toxique pour l’environnement.

Les terres rares sont des matériaux « stratégiques » et « critiques »

Ces métaux «rares» sont aussi des matériaux «stratégiques» pour les nouvelles technologies et «critiques» au regard du risque d’approvisionnement qui peut résulter d’une tension entre l’offre et de la demande, a expliqué Guillaume Pitron, journaliste et auteur du livre « La guerre des métaux rares », lors de la conférence organisée par CIRCOLAB (Association pour la promotion de l’économie circulaire dans l’immobilier) le 15 octobre 2019. « Ces métaux ont des propriétés chimiques absolument extraordinaires dont raffolent les industriels de technologies vertes. Si l’on se passe de ces métaux on fait des technologies moins efficientes et plus volumineuses » a-t-il ajouté.

En raison de leurs propriétés chimiques remarquables, les nombreux métaux du groupe des terres rares ont une large gamme d’application dans les domaines de l’électronique, de l’automatisation industrielle, des alliages métallurgiques, du verre et du polissage, des catalyseurs, des aimants... Les terres rares sont utilisées dans de nombreuses applications du secteur de la défense, telles que les composants de moteurs à réaction, les satellites et les systèmes de communication.

« Nous avons tous des métaux rares dans notre poche » a lancé G.Pitron en faisant référence aux téléphones portables. « La  miniaturisation est faite grâce aux métaux rares » et les « objets plus désirables » dépendent des alliages de ces métaux. L’indium, un élément chimique rare, « recouvre la surface des téléphones et lui confère ses qualités tactiles » a-t-il précisé.

Guillaume Pitron, journaliste spécialiste de la géopolitique des matières premières, réalisateur de documentaires et auteur du livre « La guerre des métaux rares », primé à plusieurs reprises. (Image: twitter Guillaume Pitron)
Guillaume Pitron, journaliste spécialiste de la géopolitique des matières premières, réalisateur de documentaires et auteur du livre La guerre des métaux rares, primé à plusieurs reprises. (Image : twitter Guillaume Pitron)

 

 

Les aimants permanents représentent plus d’un tiers de la demande

Les secteurs d’utilisation des terres rares sont en constante évolution. Depuis 2011, la plus forte baisse de volume concerne l’éclairage où « les ampoules fluo-compactes utilisant des luminophores à terres rares ont été supplantées par l’éclairage LED », selon www.mineralinfo.com. Un secteur en forte hausse est celui des aimants permanents composés d’un alliage néodyme-fer-bore, qui développent une puissance jusqu’à dix fois supérieure aux aimants traditionnels, d’après www.ecoinfo.cnrs.fr. Ils représentent actuellement plus d’un tiers de la demande de terres rares et devraient connaître une croissance soutenue tirée par la production de moteurs électriques.

La dépendance des occidentaux à l’offre chinoise

La Chine représente environ 37% des réserves mondiales, mais elle a produit 70% des terres rares en 2018, suivie par l’Australie avec 10% de la production et les Etats-Unis à 8%, selon l’USGS. C’est à la fin des années 1980 que la Chine a commencé à exploiter ses gisements de terres rares et a rapidement pris le contrôle de la production mondiale et du raffinage. Cette  dominance résulte des mesures prises à l’époque de Deng Xiaoping qui « voulait réindustrialiser son pays et rattraper le retard chinois sur l’occident » a expliqué G.Pitron.

Jusqu’au début des années 1990, les Etats-Unis étaient le plus grand pays producteur de terres rares, provenant essentiellement de la mine de Mountain Pass en Californie. Sa production minière a cessé en 2002, face à la concurrence chinoise et au renforcement de la réglementation environnementale californienne, car l’extraction de ces matières premières est très polluante. De 2011 à octobre 2015, la production minière a cependant repris à Mountain Pass avec la société Molycorp, et fut transférée en janvier 2018, après la faillite de Molycorp, à la société MP Mine Operations, qui est détenue à 90 % par des fonds d’investissement et 10% par un groupe chinois.

En France le groupe Rhodia/Rhône Poulenc, aujourd’hui Solvay, avait des usines qui raffinaient la majorité de terres rares pour le reste du monde jusqu’au milieu des années 1990. L’usine de la Rochelle, connue pour la fabrication des pierres à briquer, a du fermer sa branche de raffinage de terres rares en raison des craintes de la population locale en matière d’environnement.

Les dégâts environnementaux liés aux activités minières en Chine

« C’est une grande erreur du Parti communiste chinois d’avoir négligé la partie environnementale ces 30-40 dernières années », a admis G.Pitron. « Il y a une mine, puis il y a le raffinage, il faut transformer le minerai en métal et ce processus de raffinage est très compliqué… ». Il a expliqué que dans ce processus l’eau se charge des produits chimiques et des métaux lourds, nocifs et toxiques comme le mercure, le plomb, le nickel…, puis l’eau rejetée dans la nature s’accumule dans un gigantesque lac qui s’infiltre dans la nappe phréatique et rejoint les fleuves. Pour cela on utilise de l’électricité qui pour 75% vient du charbon, ce qui crée une pollution en termes d’émission de gaz à effet de serre.

Depuis le début des années 2000, la Chine a commencé à restreindre l’exportation de ses ressources et remonter vers l’aval industriel des terres rares. « La Chine dit : Vous les français vous ne vendez pas du raisin, vous vendez du vin., Nous ne vendrons plus de terres rares, mais nous allons vous vendre des téléphones portables, des éoliennes, des batteries électriques… » a expliqué G.Pitron. Les pays occidentaux sont partis en Chine pour avoir accès à ces ressources à bon marché, ce qui a permis d’accélérer le transfert de technologies vers la Chine et a permis à la Chine de fabriquer des produits à haute valeur ajoutée, d’innover et de déposer ses propres brevets. « Dans le secteur des batteries électriques, la Chine représente 62% de la production mondiale » a précisé G.Pitron. Il a relevé que la France n’a quasiment pas de producteurs de batteries électriques. Au regard de l’importance stratégique de la filière des voitures électriques en France et en Europe, pour basculer du thermique vers l’électrique, il faudra bien « produire de la matière première et fabriquer les composants nous-mêmes ».

Quelques terres rares : (dans le sens des aiguilles d'une montre à partir d'en haut à gauche) gadolinium, praséodyme, cérium, lanthane, néodyme et samarium.
Quelques terres rares (dans le sens des aiguilles d’une montre à partir d’en haut à gauche) : gadolinium, praséodyme, cérium, lanthane, néodyme et samarium. (Image : Petty Grab / www.ars.usda.gov)

 

 

Comment sécuriser l’approvisionnement en terres rares ?

« Il faut que nous sécurisions ces ressources. La question de raréfaction de ces ressources et de leur pénurie se pose » a affirmé G.Pitron. Il a écarté une pénurie à court terme sur un matériau en particulier, car elle pourra être résolue par la substitution des matériaux ou le recyclage. La question ultime est à quel coût écologique, énergétique, économique et social le pays est prêt à chercher ces métaux rares pour assurer l’approvisionnement. « L’exploitation de ces matières premières n’est peut-être pas rentable économiquement à court terme, mais génère une vraie valeur économique sur l’aval de la filière 30 ans plus tard » a confié G.Pitron à Vision Times.

Les marchés de terres rares sont très médiatisés, car ce sont des métaux « d’influence … et de crise », comme l’écrit G.Pitron dans son livre, et la Chine fait pression sur l’ensemble des pays y compris les Etats-Unis. Le monopole de la Chine inquiète les pays dont l’industrie repose sur l’utilisation des terres rares. L’avenir de l’approvisionnement en terres rares pourra se réaliser par l’ouverture de mines à l’extérieur de la Chine. La récupération des éléments de terres rares à partir de produits finis représente moins de 1% des produits, donc la filière de récupération n’est pas envisageable pour les utilisateurs de terres rares.

Plusieurs projets miniers de terres rares sont en projet en Australie, en Inde, aux Etats-Unis, au Groenland, en Afrique du Sud, au Brésil, en Suède ou au Vietnam. Le Japon, en attendant l’exploitation d’importantes ressources de terres rares sous-marines, dont les gisements se situent entre 3500 et 5500 mètres de profondeur, s’est tourné vers l’Australie pour ne pas dépendre de la Chine. Les Etats-Unis ont réouvert leurs mines, mais ils ne peuvent pas raffiner leurs minerais, donc ce raffinage s’effectue toujours en Chine.

« Il faut énormément de matières premières pour fabriquer les nouvelles technologies. Le XIXe siècle c’était le siècle du charbon, le XXe siècle était celui du pétrole, et le XXIe siècle sera celui du métal » a conclu Guillaume Pitron.

Pour plus d'information concernant CIRCOLAB : http://circolab.eu

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