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Culture. L’amitié, un beau cadeau du Ciel à l’humanité

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Le philosophe romain Cicéron nous parle de l'amitié à la faveur d'un dialogue entre Lélius, consul et sénateur romain et ses deux gendres Scévola et Fannius. Il met en lumière l'origine, la nature et les exigences relationnelles de l'amitié.

Ce que Lélius (IIe siècle av. J.-C.) dit de l'amitié fut rapporté par Scévola, un augure que vénérait Cicéron pour « ses lumières et sa sagesse ». Se basant sur la mémoire de Scévola, le dialogue fut écrit par Cicéron dans Lélius ou De l'amitié. Cicéron (1er siècle av. J.-C.) fut aussi  un célèbre avocat et homme politique romain.  

La peine quand un ami disparaît

Lélius, considéré lui aussi comme un sage dans la Rome antique, venait de perdre son meilleur ami Scipion (IIe siècle av. J.-C.), illustre général et homme politique. Ses gendres lui demandèrent d'abord comment il supportait la perte d'un ami d'une telle valeur.

Il répondit : « Oui, je suis vivement touché de la perte d’un tel ami (..). Mais je n’ai besoin des consolations de personne ; j’en trouve assez en moi-même, et la plus grande me vient de ce que je suis exempt d’une erreur qui en tourmente tant d’autres, lorsqu’ils viennent à perdre leurs amis. Je ne pense point que la mort soit un mal pour Scipion : s’il y en a, ce n’est que pour moi. Or, s’affliger de ses propres maux est amour de soi, et non pas amitié. Qui osera dire que Scipion ait eu à se plaindre de sa destinée ? » 

Lélius mettait en lumière un fait essentiel dans notre ressenti face à la mort. Quand un être qui nous est cher quitte ce monde, quel est notre état d'esprit à ce moment-là? Même si nous croyons à l'immortalité de l'âme, l'absence d'un être que nous aimions nous est pénible, au moins dans les premiers moments, car notre cœur humain est imprégné de sentiment envers lui. De plus, toute forme de communication s'est arrêtée brusquement. Quel choc émotionnel ! 

L'amitié, un beau cadeau du Ciel à l'humanité
Les gendres de Lélius lui demandèrent comment il supportait la perte de Scipion, un ami d'une telle valeur et d'une vie aussi illustre. (Image : wikimedia / Sailko / CC BY 3.0)

Si nous croyons que tout de nous, âme ou conscience, périt avec le corps, peut-être que notre peine ne faiblira que très lentement, avec le temps et l'éloignement. Nous penserons parfois encore à notre ami avec regret et aux bons moments que nous aurions pu encore passer ensemble.

Lélius ne croyait pas que la mort terrestre détruisait tout de l'homme. Les anciens qui rendaient des honneurs religieux aux morts témoignaient de leur assurance en l'immortalité de l'âme. Lélius disait aussi : « ... on ne voyait point Socrate hésiter et varier sur ce point comme sur la plupart des autres ; mais il soutenait constamment que nos âmes sont des substances divines ; qu’en sortant des corps, elles prennent leur essor vers le ciel, et que cet essor est d’autant plus rapide, qu’elles ont été plus justes et plus pures ».

Une amitié d'un haut niveau moral

Puis Fannius et Scévola lui demandèrent de leur parler de ses idées et de ses principes sur l'amitié, comme il le faisait habituellement sur beaucoup de capacités et de comportements des hommes. Il leur dit que l'amitié était préférable à tout dans la vie, que rien n'était plus utile dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Mais la vraie amitié était réservée à « tous ceux qui, dans leurs actions et toute leur conduite, ne montrent que bonne foi, intégrité, justice, générosité, sans mélange de cupidité, de passions honteuses ou violentes, qui sont invariables dans leurs principes ». 

Lélius expliqua à ses gendres que la relation d'amitié l'emportait en qualité sur la relation de parenté entre membres d'une même famille. En effet, la bienveillance est essentielle à l'une, alors qu'elle ne l'est pas à l'autre. «Ôtez la bienveillance, la parenté reste, mais l’amitié disparaît », disait-il . Les liens de parenté sont  indéfectibles et la plupart des personnes parentes aiment à se retrouver ensemble pour parler de leur vécu familial commun, ou pour échanger sur leurs vécus respectifs. Cependant, certaines relations familiales peuvent être agressives, ou même violentes. Cela ne peut pas exister dans les relations entre amis, car la bienveillance et l'empathie sont à la base même de l'amitié.  

L'amitié, un beau cadeau du Ciel à l'humanité
Lélius leur dit que l'amitié était préférable à tout dans la vie, que rien n'était plus utile dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. (Image : wikimedia / Quercus montana / CC BY-SA 4.0)

L'amitié dont parle Lélius grâce à la plume de Cicéron est une amitié très pure, d'un haut niveau moral. Ce n'est souvent plus ainsi que nous la concevons de nos jours. Avec l'accroissement considérable de la population depuis deux millénaires et les nombreux moyens auxiliaires de communication, il semble qu'il y ait beaucoup plus d'occasions de se faire des amis, mais la qualité des relations n'est plus la même. Bien des amitiés d'aujourd'hui n'auraient sans doute pas été qualifiées par ce nom, au temps de Lélius. Nous avons certainement beaucoup gagné en quantité et en vitesse de communication, mais qu'en est-il maintenant de la qualité d'échange et de compréhension entre les hommes ?   

« L’amitié n’est autre chose que le parfait accord de deux âmes sur les choses divines et humaines, avec une bienveillance et une affection mutuelles. Je la regarde, après la sagesse, comme le plus beau présent que l’homme ait reçu des dieux », disait Lélius et il ajoutait qu'il était doux d'avoir un ami avec qui on pouvait s'entretenir comme avec un autre soi-même. De plus l'amitié, en partageant, donnait de l'éclat à la prospérité et rendait plus faibles les maux de l'adversité. Certains préféraient les richesses, d'autres la bonne santé, d'autres encore les honneurs ou le pouvoir. Mais c'étaient toutes des choses périssables, incertaines et dépendantes du caprice de la fortune. « Ceux-là sont les plus sages, qui placent le souverain bien dans la vertu ; mais c’est elle qui fait naître et entretient l’amitié ; car, sans la vertu, il ne peut être d’amitié véritable. »

L'origine et la nature de l'amitié

Suite à la demande pressante de Fannius et Scévola de poursuivre cette investigation sur l'amitié, Lélius se contraignit à approfondir encore ses réflexions. Une question importante lui apparaissait de savoir si l'amitié devait son origine à la faiblesse ou au besoin. Les hommes n'y cherchaient-ils qu'à trouver chez l'autre ce qu'ils ne pouvaient avoir par eux-mêmes, les payant en retour par des services et bienfaits semblables ?

Ou bien alors, si ces bons offices étaient regardés seulement comme une suite de l'amitié, cette amitié avait-elle réellement une origine plus noble et naturelle ? Lélius répondait simplement à sa propre question : « Je crois que parmi les raisons qui peuvent faire qu’on se veuille du bien l’un à l’autre, la principale est de s’aimer ; et c’est d’aimer que vient le mot d’amitié ». Et il continuait : «... la véritable amitié n’a rien de feint, rien de simulé ; tout en elle est vrai, tout part du cœur ».

Lélius disait le voir clairement dans « le sentiment d'affection que nous éprouvons lorsque nous venons à rencontrer un homme dont le caractère et les mœurs nous conviennent, parce qu’il nous semble voir comme reluire en lui la probité et la vertu. Rien n’est, en effet, plus aimable que la vertu ; rien n’attire davantage l’amour des hommes, puisque nous chérissons, en quelque sorte, pour leur vertu et leur probité, ceux même que nous n’avons jamais vus. »

L'amitié, un beau cadeau du Ciel à l'humanité
«... la véritable amitié n’a rien de feint, rien de simulé ; tout en elle est vrai, tout part du cœur ». (Image : wikimedia / Fritz Cohen / Domaine public)

Lélius admettait toutefois que l'amitié se fortifiait par les services rendus, par les preuves de zèle et par l'habitude. Tout cela, conjugué au premier élan de sympathie, engendrait une joie et une bienveillance profondes. 

L'origine de l'amitié ne pouvait être dans la faiblesse ou la misère. Sinon plus un homme aurait été faible ou misérable, et plus il aurait été sujet à l'amitié ? C'était loin d'être vrai, selon Lélius, au contraire un homme fort, sage et vertueux, pouvant trouver toutes ressources en lui, n'ayant besoin de personne, excellait pourtant à découvrir et cultiver l'amitié. Lélius prit exemple sur son amitié avec le défunt Scipion : il l'aimait car il admirait sa vertu et sans doute Scipion l'aimait-il par la bonne opinion qu'il avait de son caractère. Bien qu'ils trouvèrent de grands avantages à leur amitié, ce qui la fit naître ne fut pas une recherche d'intérêt, mais bien une admiration réciproque.

Lélius affirma qu'il « s’établit ainsi entre eux un combat de générosité », en étant plus enclins à rendre des services qu'à en réclamer. C'est ainsi que l'amitié procurait les avantages les plus précieux.

Des comportements à l'encontre de l'amitié

Lélius et Scipion parlaient souvent de l'amitié ensemble. Ces deux célèbres amis évoluaient dans la société de l'élite romaine,  une société liée au pouvoir, à la notoriété et à la richesse matérielle. Ainsi, l'amitié entre de telles personnes devait se confronter à toutes sortes d'écueils. 

Scipion soutenait « que le poison le plus funeste à l’amitié, c’est la passion de l’argent dans la plupart des hommes ; et, dans les caractères plus élevés, la rivalité des honneurs et de la gloire ». Un autre sujet de rupture était d'exiger de ses amis des comportements  allant à l'encontre de l'honnêteté, comme d'être les ministres de leur libertinage ou les complices de leur injustice. Pour de telles causes, d'anciennes amitiés pouvaient même se transformer en haine. La vertu étant le fondement de l'amitié, rien ne pouvait excuser le mal qu'on pouvait être tenté de faire pour elle.

L'amitié, un beau cadeau du Ciel à l'humanité
« Aussi est-il bien difficile de trouver de vrais amis dans ceux qui se livrent aux affaires publiques, et qui courent la carrière des honneurs. » (Image : wikimedia / Cesare Maccari / Domaine public)

Lélius soulignait ce point de vue, de ne demander aux amis et ne faire pour eux que ce qui était honnête et de leur conseiller le bien avec autorité et franchise, voire avec force si nécessaire. Mais dans les élites romaines ayant accès à un certain pouvoir, combien sacrifiaient leurs amis pour satisfaire à leur ambition ? Le sage confia alors : « Aussi est-il bien difficile de trouver de vrais amis dans ceux qui se livrent aux affaires publiques, et qui courent la carrière des honneurs. Où trouver celui qui préfère l’élévation de son ami à la sienne propre ? Mais quoi ! sans parler de ces rivalités, combien peu sont capables de partager avec un ami le poids de ses malheurs ! »

Lélius conseillait encore de choisir un ami simple, communicatif, qui pense et qui sente comme soi-même. Tout cela tenait à la fidélité. Un esprit tortueux, qui prend toutes les formes, ne peut être fidèle. De même pour celui qui n'est pas touché par les mêmes choses que soi-même.

Les deux plus grands écueils de la constance en amitié, selon Lélius, étaient la prospérité et l'adversité : « Il faut donc regarder comme un homme d’une espèce rare et presque divine, l’ami solide qui ne varie point avec la fortune ». La vertu est à la source de l'amitié et c'est aussi ce qui la nourrit et ce qui garantit sa durée. Aimer n'est rien d'autre que chérir quelqu'un pour lui-même, sans chercher quelconque intérêt ou utilité. Cependant cette utilité vient de l’amitié même ; on n’y songeait pas, on ne la recherchait pas, mais elle en est inséparable.

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