La vielle à roue : instrument traditionnel, folklorique, toujours vivant aujourd’hui
Sébastien Tourny, luthier de son métier, au pays des Maîtres Sonneurs, semble avoir un nom de famille bien prédestiné. Non pas qu’il nous donne le « tournis », mais bien parce qu’il « tourne, tourne » la manivelle des vielles à roue qu’il conçoit très patiemment dans son atelier d’artisan d’art, ici dans la région Centre- Val de Loire, dans la petite ville de La Châtre.
C’est donc en toute simplicité, en compagnie de son chien et avec un grand sourire, que nous reçoit Sébastien Tourny, célèbre luthier de la région, facteur de vielles à roue.
Le luthier, une intelligence intuitive, une expérience solitaire
De fil en aiguille, tout s’est enchaîné. Lorsque Sébastien Tourny est arrivé chez Monsieur Kerboeuf en 1998, il n’avait qu’une idée en tête : faire comme les grands qu’il admirait, tels que Valentin Castrier et Gilles Chabenat, c’est-à-dire fabriquer des vielles contemporaines, avec des micros, de l’amplification…Jusqu’en 2 000 environ, il a fait tout ce qu’on lui avait appris…
Puis, un jour, lorsqu’il est rentré le soir après son travail de salarié, il s’est mis à continuer de lui-même à construire, concevoir, « seul » dans son atelier, fabriquer « seul » pour affiner sa compréhension de la lutherie, pour comprendre « seul », comment encore améliorer les choses. Il évoluait le soir « seul » dans son univers de luthier. Sébastien Tourny vit ainsi, dans l’amélioration personnelle constanteet se fixe des objectifs à atteindre, se perfectionne.
En parallèle, il faisait partie d’un groupe qui s’appelait De l’au-delà. Ils étaient neuf musiciens sur scène. Sébastien Tourny nous explique qu’il possédait deux vielles à roue, et que lorsque l’une était sur scène, l’autre était dans son atelier. Il essayait avec l’une de comprendre ce qui se passait alors sur scène lorsqu’il changeait une petite chose : un bois, une épaisseur, un matériau. Il affinait ainsi sa compréhension de la musique et de l’instrument lui-même. Le musicien qu’il était complétait le luthier qu’il était. Une véritable symbiose entre deux êtres vivants : le luthier et son instrument.
Sébastien Tourny, au fil du temps, avait constaté que lors de son apprentissage, certaines choses étaient logiques, mais d’autres non. Aussi, à tâtons et avec son intelligence intuitive, il a affiné son savoir personnel, son expérience propre. Il avait avait le réel souhait de s’auto-former par l’expérience, car pour lui les secrets professionnels n’existent pas.
Pour lui, le luthier apprend beaucoup de ses propres erreurs et des erreurs des autres. Pour lui, lorsque le luthier réussit, il ne se posera pas de question, inversement s’il rencontre un obstacle, il va s’en poser beaucoup, et là…le luthier apprendra énormément et fera de grandes avancées dans son métier, sa passion.
L’homme qui ne tente rien, ne se trompe qu’une fois. Lao Tseu
Sébastien Tourny nous explique d’ailleurs que pour lui, la période du confinement a été une vraie chance, si l’on peut dire, car le travail s’est ralenti. Il a pu se poser pour réfléchir sur certains projets de vielles à roue qui étaient de véritables petits défis de fabrication. Il nous raconte une petite anecdote très intéressante.
Pendant cette période du COVID, il s’est remis à la course à pied pour s’occuper l’esprit. Lorsqu’il courait, au calme, dans le silence, il réfléchissait beaucoup à une nouvelle lutherie. Ainsi, en courant, lui est venue une nouvelle technique de lutherie, de barrage. Il l’a mise en place et cela a fonctionné.
Plus tu deviens silencieux, plus tu es capable d’entendre. Lao Tseu
« Ce qui est rigolo dans l’histoire, c’est que quasiment au même moment, Fred Pons, un facteur de guitare, vivant en Bretagne, a trouvé une technique similaire. Je l’ai appris, car la guitare est plus médiatisée que la vielle à roue. Il a fait notamment des vidéos où il expliquait sa découverte …Je me suis dit : cela ressemble vraiment à ce que je viens de mettre en place pour la vielle. C’est rigolo quand même. Je l’ai donc contacté en lui expliquant que je fabriquais des vielles à roue, et il m’a dit qu’il me connaissait, car sa belle-sœur joue de la vielle à roue et se trouve être l’une de mes clientes. »
« Nous nous sommes donc échangés chacun nos processus et, en effet, c’était vraiment très proche. Nous avons essayé de comprendre comment nous avions pu faire la même découverte en même temps. En fait, nous avons tous les deux regardé une émission à la télévision qui parlait d’un tremblement de terre en Chine. Ils se sont aperçus que les bâtiments qui étaient faits en collage, en multi-collages avec du bambou et qu’au moment des vibrations , l’immeuble bouge, mais ne se casse pas. Il prend toute la vibration, mais il a une mémoire de forme, c’est comme cela que nous avons eu cette idée tous les deux, en même temps, pour nos fabrications d’instruments respectifs », complète Sébastien Tourny.
Le royaume des luthiers, un univers de coopération professionnelle
Sébastien Tourny adore son métier, car il est sans limites. Il a rencontré des jeunes facteurs de vielles qui ont très bien compris que complètement seul, cela ne peut pas fonctionner. Donc, les différents luthiers se passent beaucoup de choses, échangent, partagent leurs idées. Il s’agit d’une authentique coopération dans le travail, bien réelle et vraie, pour que chacun puisse optimiser et développer ses savoirs acquis par l’expérience. C’est en très bonne intelligence qu’ils travaillent.
Les luthiers ne sont donc pas en compétition, ni en concurrence, d’autant plus que chaque luthier a sa singularité particulière qui lui est propre et inimitable. De plus, les musiciens vont chez tel luthier, car ils aiment son « son ». Ainsi, le musicien va également faire progresser le luthier choisi. La différence pour les musiciens est importante, car si tous les luthiers faisaient exactement la même chose, il n’y aurait aucun intérêt, ni pour les musiciens, ni pour les luthiers. C’est donc comme cela que chacun avance, dans le respect mutuel de ses différences qui rendent si riches les métiers de la lutherie.
La fabrication de la vielle, c’est vraiment de l’artisanat, chacun y met son coup de pâte.
Un luthier serein
Sébastien Tourny fabrique des vielles à roue depuis vingt ans déjà et estime qu’il apprend encore toujours chaque jour, avec chaque nouveau défi qu’il rencontre, à chaque demande de ses clients. Son moteur personnel, c’est aussi vraiment le fait de relever ces défis de fabrication.
Sébastien Tourny est quelqu’un de passionné et calme. Il nous avoue d’ailleurs que chaque matin, avant de commencer son travail, il se pose et médite une trentaine de minutes environ pour bien débuter sa journée, s’ajuster et cela se ressent dans sa façon d’être, paisible, souriante, à l’écoute de l’autre.
Un luthier innovant et créatif
Sébastien Tourny mentionne... « Il y a toujours des nouveautés dans la lutherie, dans le son, dans les techniques. Et lorsque l’on me demande quelque chose qui n’a jamais été fait, il faut réfléchir. Comme par exemple, lorsque l’on m’a demandé de faire une copie du XVIIIe siècle. L’objectif, c’était d’avoir un instrument petit, bien décoré, avec le son de l’époque, mais aussi un son que l’on peut entendre aujourd’hui, c’est-à-dire pouvoir inclure des micros et pouvoir le brancher. »
Sébastien Tourny nous explique que lorsqu’il n’est pas sûr de la chose, il fait d’abord un prototype et ensuite il va travailler de concert, sans mauvais jeu de mots, avec le musicien pendant un an, voire deux ans s’il le faut, jusqu’à ce que tout soit réglé.
Pour Sébastien Tourny, il est impossible d’avoir exactement deux mêmes instruments identiques. Les vielles à roue sont uniques à chaque fois. Sébastien Tourny restaure également d’anciennes vielles à roue, ce sont aussi de beaux défis à accomplir dans ce domaine.
Sébastien Tourny utilise des bois comme l’érable, l’épicéa reconnu pour sa résonance, le noyer d’Amérique, le red ceddar (un bois plus rouge).
Il précise la différence entre les ébénistes et les luthiers : les ébénistes utilisent des planches de bois alors que les luthiers, eux, vont utiliser des veines de bois qui doivent être bien franches. Il n’y a qu’une seule scierie en France qui fait cela. Elle se nomme Les Bois de lutherie, dans le Jura, elle se situe dans les hauteurs… Savez-vous pourquoi ? Parce que les bois, plus ils sont dans les hauteurs, plus ils poussent lentement… et plus les fibres du bois sont serrées. Du coup, les fibres du bois vont moins bouger et le son sera meilleur, car mécaniquement, le bois est beaucoup plus résistant. Ainsi, le luthier peut travailler son bois plus finement au niveau de l’épaisseur.
Alors qu’en ébénisterie, avec des planches, ce serait impossible, car le bois serait sujet à des déformations. En lutherie, le tronc de l’arbre (de la hauteur d’une contrebasse) au lieu d’être découpé en tranches va d’abord être fendu en deux et ensuite sera découpé en portions de camembert. Les luthiers sont une quinzaine en France à fabriquer des vielles à roue et chacun a son « son » et sa propre méthode artisanale. Les cordes, elles, sont surtout faites de boyaux de bovins ou d’ovins. Sébastien Tourny incruste également des éléments de nacre sur ses instruments.
Pour Sébastien Tourny, « Plus l’instrument va jouer, plus l’instrument va se bonifier dans la vibration. L’instrument va évoluer ainsi avec le musicien. » L’instrument est donc un être vivant. Le bois bouge avec les vibrations, les réglages et la pâte du musicien. L’instrument peut être très bon, si le musicien est mauvais, il n’y aura pas d’osmose entre les deux. Et inversement, l’instrument peut être moyen, mais avec un bon musicien, cela va coller.
Les vielles se prêtent très rarement : car chaque musicien a sa façon de pratiquer qui lui est propre. Au début, pour Sébastien Tourny, c’était dur de laisser partir l’instrument qu’il venait de fabriquer. Il avait toujours un pincement au cœur. Maintenant, il y est presque habitué. Ce qui le rassure, c’est lorsqu’il sait que l’instrument est entre de bonnes mains et qu’il va vivre d’autres aventures et évoluer. Vivre sa vie d’instrument tout simplement.
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Collaboration Lu Malvino
Reportage Lu Malvino & Laurence Lefebvre
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