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Histoire. Réflexions sur l’engagement de l’abbé Pierre, infatigable défenseur des plus démunis 

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Un béret, une barbe, une cape noire et une canne : ce sont les quatre traits distinctifs de l’abbé Pierre, le plus célèbre des prêtres français. Associé aux sans-logis, il représentait « la voix des sans voix ». L’engagement de l’abbé Pierre, son parcours de toute une vie vont retenir quelques instants notre attention.

Réflexions sur l’engagement de l’abbé Pierre, infatigable défenseur des plus démunis
Selon l’abbé Pierre, son côté « méditatif » se serait développé suite à un voyage en Italie où il découvrit l’œuvre de Saint François d’Assise. (Image : wikimedia / Cimabue / Domaine public)

De Henri Grouès à l’abbé Pierre

Cinquième d’une fratrie de 8 enfants, né à Lyon en 1912 dans une famille bourgeoise, l’abbé Pierre de son vrai nom Henri Grouès baignait dans un univers très pieux. Son père, un riche industriel du textile très investi dans les œuvres caritatives n’hésitait pas à secourir les plus démunis, à les raser ou les coiffer sous les yeux du jeune Henri qui, dès l’âge de 12 ans l’accompagnait. « J’ai vu mon père, tablier serré à la taille, occupé à couper les cheveux d’un pauvre gars », racontait le célèbre abbé.

En tant que chef de patrouille des scouts, Henri fut dénommé « castor méditatif », nom prémonitoire attribué à celui qui allait tant bâtir pour les autres. À ses dires, son côté « méditatif » se serait développé suite à un voyage en Italie où il découvrit l’œuvre de Saint François d’Assise. Ce fut la révélation. En 1930, il rejoint l’ordre franciscain le plus pauvre et le plus austère, celui des Capucins qu’il dut abandonner sept ans plus tard pour raison de santé. « Si je n’avais pas eu ces années de désert, je n’aurais pu faire face à 50 ans de tourbillon et d’action », avait-il expliqué à la fin de sa vie.

Ordonné prêtre en 1938, il sera nommé aumônier. La guerre éclate. Membre actif de la Résistance, il aide et cache des Juifs sous le pseudonyme de « abbé Pierre ». Ce nom ne le quittera jamais. Ainsi Henri Grougès est-il devenu l’abbé Pierre.

L’engagement de l’abbé Pierre prend forme

Après la guerre, l’engagement de l’abbé Pierre s’affirme sur le plan social et politique. En 1945 il est élu député de la Meurthe-et-Moselle sous l’étiquette du Mouvement républicain populaire (MRP). Se désignant lui-même comme indépendant, il se reconnaît comme « un prêtre devenu député par accident de la guerre ». Il n’est pas réélu en 1951. Entretemps, il intervient sur plusieurs fronts. En 1948, il participe à la Déclaration universelle des droits de l’homme et en 1949, il fonde la communauté Emmaüs, à Neuilly-Plaisance, où il accueille le premier expulsé dans une maison transformée en auberge de jeunesse. L’idée est d’héberger des déshérités, de leur rendre une dignité par le travail afin qu’à leur tour ils puissent venir en aide aux autres

L’appel du 1er février 1954

Au cours de l’hiver 1954 extrêmement rigoureux, l’abbé Pierre va lancer à la radio un appel mémorable qui va le propulser au rang d’icône. Indigné par la mort d’un bébé puis celle d’une femme découverte gelée, il appelle la population à la générosité : « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! (….) Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre " centre fraternel de dépannage ", ces simples mots : " Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime. " »

Cet appel vibrant va susciter un immense élan de solidarité populaire, qualifié par la presse d’ « insurrection de la bonté ». L’abbé Pierre préfère parler d’« insurrection de l’intelligence contre l’absurde et pour la justice ». Par millions les gens de toutes conditions se sont mobilisés. Parmi tant d’autres, Charlie Chaplin ayant donné 2 millions de francs a ajouté : « Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j’ai été, que j’ai incarné. » Avec l’argent récolté, l’abbé Pierre a pu faire construire des hébergements en urgence tandis que l’État français a construit plus de 10 000 logements. L’engagement de l’abbé Pierre se poursuivra sans relâche. Il deviendra l’emblème de la guerre contre la misère et l’injustice aux côtés des grands de ce monde. Après avoir reçu les insignes de grand officier de la Légion d’honneur en 2001, il fut promu grand-croix de l’ordre de la Légion d’honneur en 2004. L’abbé Pierre s’éteint à Paris le 22 janvier 2007. Un hommage national lui est rendu.

Réflexions sur l’engagement de l’abbé Pierre, infatigable défenseur des plus démunis
Les communautés Emmaüs se sont multipliées en France et à l’internationale. (Image : wikimedia / Cjp24 / CC BY-SA 4.0)

Que reste-t-il de l’engagement de l’abbé Pierre ?

Soixante-dix ans après l’appel de l’abbé Pierre, dix-sept ans après sa disparition quel héritage garder de son existence combative ?

L’appel de l’hiver 1954 a conduit au vote de la loi du 3 décembre 1956, appelée aussi « trêve hivernale » interdisant les expulsions des locataires du 1er novembre au 31 mars. Les institutions créées par l’abbé Pierre perdurent. Les communautés Emmaüs se sont multipliées en France et à l’internationale tandis que la fondation Abbé Pierre créée en 1990 s’ingénie à financer et soutenir la création de logements. Elle continue à interpeller les pouvoirs publics sur la situation du mal logement. Chaque année les rapports de la fondation tiennent lieu de références. Le dernier en date, celui de 2023, fait état de 4 millions de mal logés et de 14 millions de Français touchés par la crise du logement.

Des chiffres préoccupants qui mettent en lumière l’engagement de l’abbé Pierre, l’homme qui fut plusieurs années durant la personnalité préférée des Français.

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