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Histoire. Fan Li : l’homme d’État qui sauva un royaume

CHINE ANCIENNE > Histoire

Au cours des cinq siècles que durèrent les Périodes des Printemps et Automnes et des Royaumes combattants (771–221 av. J.-C.), la Chine a vu naître une extraordinaire constellation de penseurs, de stratèges et d’hommes d’État. Parmi eux, une histoire n’a jamais perdu de son éclat : le moment où Goujian, Fan Li et Wen Zhong se sont retrouvés ensemble dans le palais délabré de Yue, déterminés à faire renaître un royaume au bord de l’extinction.

L’endurance légendaire de Goujian : dormant sur des branchages et goûtant du fiel pour se souvenir de son humiliation, menant trois mille soldats à la chute de Wu, continue d’inspirer. Mais derrière cette renaissance spectaculaire se cachait Fan Li, un homme qui non seulement guida le royaume de Yue de la ruine au pouvoir, mais qui, par la suite, bâtit trois fortunes grâce au commerce, les légua entièrement, et finit par disparaître au-delà des Cinq Lacs, devenant l’une des figures les plus admirées de Chine.

L’histoire et le folklore se souviennent de lui sous de nombreux traits : homme d’État, économiste, penseur militaire, philosophe et, surtout, « marchand sage ».

Natif de Nanyang, terre de sages

Fan Li : l’homme d’État qui sauva un royaume
Fan Li, né en 536 av. J.-C. dans la région de Wan, dans le royaume de Chu (l’actuelle Nanyang, dans le Henan), était originaire d’une région réputée pour avoir produit des esprits remarquables.. Il devint célèbre sous le nom de « Sage du Commerce », l’un des Cinq Sages de Nanyang. (Image : Public domaine, via Wikimedia Commons)

Fan Li, né en 536 av. J.-C. dans la région de Wan, dans le royaume de Chu (l’actuelle Nanyang, dans le Henan), était originaire d’une région réputée pour avoir produit des esprits remarquables. Cette région avait vu naître Jiang Ziya, stratège de Zhou, Zhang Heng, polymathe de la dynastie des Han orientaux, Zhang Zhongjing, le « Sage de la Médecine », et Zhuge Liang, le célèbre chancelier du royaume de Shu. Fan Li devint célèbre sous le nom de « Sage du Commerce », l’un des Cinq Sages de Nanyang.

Le poète Li Bai lui-même, dans son Voyage vers la capitale du Sud, plaçait Fan Li avant Zhuge Liang parmi les figures les plus illustres de la région.

Le royaume de Chu avait jadis été une puissance dominante, mais la corruption interne poussa Fan Li et son collègue Wen Zhong à chercher à servir ailleurs. Ils choisirent le petit mais ambitieux royaume de Yue, dont le souverain, Yunchang, était depuis longtemps en guerre contre le royaume voisin de Wu.

Lorsque Goujian, fils de Yunchang, accéda au trône, il attaqua imprudemment le royaume de Wu en 494 avant notre ère, subissant une défaite catastrophique. Son armée anéantie et le royaume effondré, Goujian se replia sur le mont Kuaiji. Les forces de Wu le poursuivirent et l’encerclèrent. La survie semblait impossible.

À ce moment-là, Fan Li proposa une stratégie qui allait façonner le destin de Yue pour la décennie suivante. Il dit à Goujian :

« Maintenir sa force, c’est s’aligner sur le Ciel,
stabiliser le déclin dépend de l’Homme,
gérer les affaires, c’est se conformer à la Terre. »

Cette philosophie guida le roi à travers la crise :

● La force doit être tempérée par l’humilité.
● Le déclin doit être inversé par une compréhension profonde de la nature humaine.
● La gouvernance doit se conformer aux réalités pratiques et terrestres.

Trois années d’esclavage et le chemin de la survie

La proposition la plus audacieuse de Fan Li vint ensuite : se soumettre à Wu en tant que serviteurs. Goujian, désespéré, accepta.

Fan Li : l’homme d’État qui sauva un royaume
Ils apportèrent des tributs et de belles femmes au royaume de Wu et se rendirent. Le roi Fuchai méprisait Goujian, mais admirait le talent de Fan Li. Il tenta à plusieurs reprises de de recruter ce dernier, mais le stratège refusa, préférant partager l’humiliation de Goujian. (Image : wikimedia / Qiu Ying / Domaine public)

Ils apportèrent des tributs et de belles femmes au royaume de Wu et se rendirent. Le roi Fuchai méprisait Goujian, mais admirait le talent de Fan Li. Il tenta à plusieurs reprises de de recruter ce dernier, mais le stratège refusa, préférant partager l’humiliation de Goujian.

Pendant trois ans, ils vécurent comme des esclaves : dormant près des écuries, se nourrissant de mets grossiers et subissant des railleries constantes. Goujian courait aux côtés du char de Fuchai, prenait soin de ses chevaux les plus précieux et accomplissait les tâches les plus dégradantes. Lorsque Fuchai tomba malade, Goujian, sur les conseils de Fan Li, alla jusqu’à lécher les excréments du roi pour prouver sa loyauté.

Leur survie dépendait de ces actes. Et avec le temps, Fuchai les libéra.

Dix ans de patience avant de riposter

De retour à Yue, Goujian brûlait d’un désir de vengeance. Fan Li l’en dissuada. Le royaume était affaibli, le peuple était épuisé.

Fan Li lui conseilla la patience :

● Relancer l’agriculture et le tissage,
● Accroître la population,
● Reconstruire la puissance économique.

Lorsque Fuchai fit assassiner le fidèle ministre Wu Zixu, déstabilisant ainsi le pouvoir du Wu, Goujian demanda à nouveau l’autorisation d’attaquer. Fan Li l’en dissuada une seconde fois. Jugeant le moment inopportun.

Sept années passèrent. Goujian renouvela sa demande. Fan Li refusa.

Ce n’est qu’une décennie après son retour de Wu que Fan Li déclara enfin : « Le moment voulu par le Ciel, les conditions terrestres et la maturité humaine se sont alignées ».

Fan Li : l’homme d’État qui sauva un royaume
Le royaume de Wu était affaibli par les guerres contre le royaume de Jin et dévasté par des catastrophes naturelles. Yue frappa, et Wu s’effondra. Goujian devint le seul souverain de l’histoire chinoise à avoir enduré l’humiliation, reconstruit sa nation et détruit l’ennemi qui l’avait jadis écrasé. (Image : wikimedia / Dong Qichang, CC0)

Le royaume de Wu était affaibli par les guerres contre le royaume de Jin et dévasté par des catastrophes naturelles. Yue frappa, et Wu s’effondra. Goujian devint le seul souverain de l’histoire chinoise à avoir enduré l’humiliation, reconstruit sa nation et détruit l’ennemi qui l’avait jadis écrasé.

Quitter le pouvoir à son apogée

Après la destruction du royaume de Wu, le royaume de Yue devint une puissance majeure. Goujian nomma Fan Li son général en chef. Mais Fan Li connaissait le danger que représentait le fait que « le mérite éclipse le souverain ». Il connaissait également le caractère de Goujian : reconnaissant dans l’adversité, impitoyable dans le succès.

Avant de partir, il écrivit une lettre à Wen Zhong :

« Lorsque les oiseaux sont partis, le bon archer est mis de côté ;
Quand le lièvre rusé meurt, le lévrier est fichu.
Le roi de Yue peut partager les épreuves, mais pas la gloire.
Pourquoi ne pars-tu pas immédiatement ?
Quand l’ennemi est parti, le stratège périt. »

Wen Zhong resta. Goujian le força par la suite à se suicider.

Fan Li, qui avait tout prévu, embarqua sur un petit bateau et s’éloigna au fil des Cinq Lacs.

Trois fortunes et la sagesse de se retirer

Dans le royaume de Qi, Fan Li vécut sous un nouveau nom et travailla la terre avec sa famille, pratiquant l’agriculture, la pêche et la production de sel. Sa méthode commerciale était d’une simplicité trompeuse : « Prends ce que les autres abandonnent, donne ce que les autres recherchent, suis la nature, agis au bon moment ».

Fan Li : l’homme d’État qui sauva un royaume
Le roi de Qi le nomma ministre. Mais, après trois années prospères, Fan Li sentit à nouveau le danger. Il démissionna, rendit ses sceaux, fit don de toute sa fortune et, une fois de plus, partit les mains vides. À deux reprises, il atteignit le sommet. À deux reprises, il s’en éloigna sans rien emporter. (Image : wikimedia / Mandavi / Domaine public)

Il devint riche en quelques années. Lorsqu’une catastrophe survint, des réfugiés venus de contrées lointaines sollicitèrent son aide. Sa générosité lui valut d’être salué comme un homme qui « utilisait sa richesse pour pratiquer la vertu ».

Le roi de Qi le nomma ministre. Mais, après trois années prospères, Fan Li sentit à nouveau le danger. Il démissionna, rendit ses sceaux, fit don de toute sa fortune et, une fois de plus, partit les mains vides.

À deux reprises, il atteignit le sommet. À deux reprises, il s’en éloigna sans rien emporter.

Fan Li : une vie marquée par la sagesse, et non par le pouvoir

Fan Li : l’homme d’État qui sauva un royaume
L’historien Sima Qian a résumé Fan Li ainsi : « Loyal dans son service à l’État, sage dans la préservation de lui-même, riche grâce au commerce, renommé dans le monde entier ». (Image : wikimedia / 歷代聖賢半身像 冊 司馬遷. 故宮典藏資料檢索. National Palace Museum., CC BY 4.0)

L’historien Sima Qian a résumé Fan Li ainsi : « Loyal dans son service au royaume, sage dans la préservation de lui-même, riche grâce au commerce, renommé dans le monde entier. »

Su Shi, un homme politique de la dynastie des Song du Nord mais aussi un homme de lettres accompli, et un leader dévoué, l’a loué comme le plus grand maître de l’avance et du retrait depuis l’Antiquité.

Fan Li comprenait que les extrêmes mènent au renversement :


● La grandeur engendre le danger, 
● La richesse engendre le risque,
● La renommée conduit à la chute.

C’est pourquoi il évitait les marchés bondés, privilégiait la circulation à la thésaurisation et se contentait de profits modestes, une philosophie qui rappelle les premières théories des cycles économiques.

Ayant atteint les sommets du pouvoir et du commerce, Fan Li ne s’est jamais attaché à l’un ni à l’autre.

Rédacteur Yasmine Dif

Source : Fan Li: The Statesman Who Saved a Kingdom

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