La mort du pape François, le 21 avril 2025, entraîne la tenue d'un conclave pour choisir son successeur. Ce système très codifié, tenu à huis clos, a été mis en place au Moyen Âge pour éviter bagarres, intrigues politiques et… pillages des affaires du pape.
« Conclave » est formé des mots latins cum clave qui signifient « avec clé », en référence à l’isolement des cardinaux lors de l’élection papale. Elle se déroulait autrefois dans le lieu où le pape était mort. Désormais c’est toujours au Vatican. Pourquoi cet isolement ? Parce qu’il fallut des siècles à l’Église pour élaborer un système électoral à l’abri des manipulations et de la violence.
Choisi par « le peuple » ?
Dans le christianisme de l’Antiquité tardive (de la fin du IIIe siècle au début du VIe siècle), l’élection de cette figure puissante était un événement houleux, marqué par la violence et les ingérences extérieures.
Le pape était désigné par « le peuple de Rome » avec consensus. En réalité, cela voulait dire que l’élection était aux mains des foules, des aristocrates, des rois, des empereurs ou de quiconque contrôlait Rome. Ils discutaient, négociaient ou se battaient et, bien souvent, les plus puissants imposaient leur candidat.
Par exemple, l’élection en 686 du pape Conon est décrite dans Le Livre des pontifes comme un épisode chaotique impliquant l’armée.
« Il y eut de vifs débats, car le clergé soutenait l’archiprêtre Pierre, tandis que l’armée préférait Théodore », raconte l'auteur.
Après de longues négociations, le clergé a fini par opter pour Conon.

Trois années sans pape
Pour sauver le système électoral du chaos interne et externe, le pape Nicolas II décrète en 1059 que les papes doivent être choisis par des hommes d’Église : à savoir, les cardinaux-évêques. Jusqu’alors, les cardinaux étaient impliqués dans les fonctions liturgiques des grandes basiliques de Rome. Ils pouvaient être prêtres, diacres ou évêques.
Cela non plus n'a pas fonctionné. La nomination du pape continuait à être houleuse, avec mésententes et pressions entre pouvoir religieux et séculier. Un siècle plus tard, en 1179, le pape Alexandre III décrète que tous les cardinaux deviennent les électeurs du pape avec représentation égale entre prêtres, diacres et évêques, et qu’un candidat doit obtenir les deux tiers des voix pour être élu.
Peu importe, intrigues et querelles continuent à entacher le processus pendant des années. Dans un cas, les dissensions cardinalices ont poussé l’interrègne papal à ses limites : il faudra trois années (1268–1271) pour que les cardinaux arrivent finalement à un compromis et nomment Teobaldo Visconti, pape Grégoire X. Tant que le « Saint-Siège » était « vacant » les cardinaux gouvernaient l’Église, ce qui les incitaient à ralentir le processus du mieux qu’ils le pouvaient.
Isolement total et secret absolu

Les influences externes de la part de l’aristocratie romaine, ou du Saint-Empire, ainsi que de longues vacances apostoliques – c’est-à-dire, l’espace de temps qui sépare la mort d’un pape de l’élection de son successeur –, avec leurs interminables négociations cardinalices, ont poussé le pape Grégoire X à réagir. En 1274, il édicte le décret Ubi periculum .
Les premiers mots du texte, « Ubi periculum maius intenditur », signifient : « Là où le danger est plus grand ». L’incipit du texte reflète l’état des choses. La nomination pontificale est une affaire périlleuse, parfois pour la personne elle-même, mais aussi et surtout pour ses biens.
Ubi periculum établit les bases du système encore en vigueur aujourd’hui. Il est le premier texte à imposer l’isolement total des cardinaux pendant le conclave.
Les cardinaux ainsi séquestrés ne peuvent plus s’attarder en discussions interminables, surtout lorsqu’ils sont loin du confort de leurs palais, épaulés par un seul assistant, et qu’ils doivent dormir dans des cellules austères. S’ils mettent plus de trois jours à se décider sur un candidat, ils perdent le privilège de manger plusieurs repas quotidiens, et en sont réduits à un seul. La politique de l’estomac !
Le pillage du Vatican à travers les siècles
Une tradition violente était également attachée aux élections : le pillage des biens du pape décédé, parfois cela allait jusqu’à ses vêtements liturgiques. C'était un phénomène récurrent. Difficile d’en identifier la cause exacte : cupidité, dévotion envers des objets rendus sacrés car appartenant à des ecclésiastiques de haut rang ? Ou, dans une autre optique, ressentiment envers les pouvoirs qui, au fil des années, ont privé le « peuple » du processus électoral ?
Remontons jusqu’au Ve siècle. Le concile de Chalcédoine (aujourd’hui Kadiköy, banlieue d’Istanbul, Turquie), en 451, qui rassemblait 500 évêques de la chrétienté ou leur représentant, a interdit aux clercs de voler les biens du défunt, au risque de perdre leurs titres.
Un autre concile décrète quelques années plus tard qu’à la mort d’un évêque : « Que personne, par vol, force ou tromperie, ne cache, ne s’empare ni ne dissimule quoi que ce soit ».
Pourtant, les pillages se sont poursuivis pendant des siècles. Dans une lettre de 1050, adressée aux catholiques du diocèse d’Osimo, dans l’actuelle Italie, le cardinal Pierre Damien dénonce : « D’après plusieurs témoignages, nous savons qu’une pratique perverse et totalement détestable persiste parmi certaines personnes. À la mort de l’évêque, elles se ruent comme des ennemis, saccagent sa maison, volent ses biens comme des voleurs, incendient les demeures de son domaine et, avec une barbarie féroce et sauvage, détruisent ses vignes et ses vergers ».
Malgré l’évolution du système électoral papal et le décret Ubi periculum, de Grégoire X, en 1274, les pillages continuaient.
Après la désignation des cardinaux comme électeurs pontificaux, le pillage s’étendait à leur demeure. Il arrivait même que le pillage prenne place avant la mort du pape, au fil des rumeurs qui attisent la foule. Une fois le conclave formellement établi, le pillage s’étendait en plus aux cellules du conclave où résidaient les cardinaux pendant leur confinement. Parfois, les conséquences devenaient très graves.
Deux papes et le Grand Schisme d’Occident
À la mort de Grégoire XI en 1378, les cardinaux ont élu le pape Urbain VI, mais son comportement autoritaire et réformateur leur fait regretter bientôt leur choix. Quelques mois plus tard, ils le déposent et en élisent un autre, sous prétexte que la première élection s’était déroulée sous la contrainte : la peur causée par la violence de la foule. Pourtant, ils connaissaient très bien cette coutume agressive.
Le chroniqueur Thierry de Nieheim, témoin des événements, le confirme sans équivoque. Il raconte qu’après l’élection unanime d’Urbain VI : « Il (le pape) transfère immédiatement ses livres et autres objets de valeur dans un endroit sûr, afin qu’ils ne soient pas volés ».
« C’est une coutume chez les Romains d’entrer dans son palais et d’y voler ses livres et autres objets de ce genre », ajoute-t-il.
Les catholiques médiévaux se retrouvent alors avec deux papes : celui élu en avril 1378 – Urbain VI, qui refuse d’abandonner le pouvoir –, et celui élu en septembre 1378, Clément VII. Deux papes, deux cours et deux « obédiences » qui vont diviser l’Europe pendant presque deux générations. Cette crise, qui dure de 1378 à 1417, prend le nom de Grand Schisme d’Occident.

Aujourd’hui les règles du conclave sont proches de celles du Moyen Âge. Le nombre de cardinaux a augmenté : ils sont environ 250. Ils sont nommés à vie, mais seuls 138 peuvent actuellement voter, car ils ne sont pas autorisés à le faire lorsqu’ils sont âgés de plus de 80 ans.
Lors du prochain conclave, ils resteront confinés au Vatican, dans la chapelle Sixtine, jusqu’à ce qu’un nouveau pape soit élu : sans pillage ni bagarre, et que la fumée blanche annonce, au public de la place Saint-Pierre, « Habemus papam » (« Nous avons un pape »).
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Joëlle Rollo-Koster : Professor of Medieval History, University of Rhode Island
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
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