Après l’échec du « conclave » sur les retraites entre patronat et syndicats, lundi 23 juin, François Bayrou cherche toujours une « voie de passage » pour obtenir un accord. Une partie de la gauche menace désormais le Premier ministre de censure. Au-delà de la réforme des retraites, quel bilan tirer de ces quatre mois de négociation sous un format inédit ? Pourquoi cet exercice de démocratie sociale a-t-il échoué ?
Le « conclave » sur les retraites (réunissant Medef et CPME, et trois syndicats – CFDT, CFE-CGC et CFTC) a donc échoué. Aucune évolution sur l’âge de départ de la retraite (fixé à 64 ans) n’aura lieu. Également abandonnées, les évolutions a minima escomptées – réduction des inégalités hommes-femmes, assouplissement de la décote (minoration des pensions faute de trimestres cotisés suffisants), prise en compte de la pénibilité.
Faute d’abrogation de la réforme de 2023, une partie de la gauche menace déjà le premier ministre de censure. Mais quels enseignements tirer de cet exercice inédit de démocratie sociale ?
Entre tactique et démocratie sociale
En janvier dernier, François Bayrou rouvrait de façon inattendue l’épineux dossier des retraites. Cette réforme impopulaire avait soulevé beaucoup de colère, les syndicats étant vent debout contre le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.
Pour le Premier ministre, cette réouverture était d’abord tactique : éviter une nouvelle censure du gouvernement en remettant autour de la table les partenaires sociaux (organisations syndicales et patronales). Les syndicats, comme une majorité des partis politiques, avaient rejeté la réforme de 2023. Décider de la rediscuter, c’était assurer au gouvernement une certaine longévité en obtenant une neutralité relative des acteurs syndicaux et politiques.
Pour le Premier ministre, il s’agissait également d’innover en redonnant la parole à la démocratie sociale au moment où les institutions de la démocratie politique, particulièrement l’Assemblée nationale, semblent bloquées. François Bayrou choisit alors une forme originale, celle d’un « conclave » réunissant les partenaires sociaux pour proposer une nouvelle réforme, plus acceptable pour l’opinion et soucieuse d’équilibre financier du système.
En ce sens, le « conclave » est bien un objet nouveau. Il déroge aux cadres habituels des négociations interprofessionnelles qui débouchent – ou pas – sur des « accords » modifiant le droit du travail ou social. Des locaux ministériels accueillent, à partir de la fin du mois de février, les négociateurs et de hauts fonctionnaires mis à disposition pour produire les informations et notes techniques nécessaires aux débats. Un animateur est désigné : Jean-Jacques Marette, personnalité appréciée des syndicats, ancien directeur général de l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire des salariés du privé aux comptes équilibrés.
Un accueil ambigu des partenaires sociaux
Si ce nouveau cadre de dialogue séduit certaines organisations, notamment la CFDT ou la CFE-CGC, d’autres se montrent plus réservées ou peu demandeuses, comme le Medef. Ce nouveau cadre pour la démocratie sociale n’est-il pas trop soudain et placé sous la tutelle étroite de l’État et de son administration ? De fait, FO, troisième organisation syndicale, quitte le « conclave » dès son premier jour, déplorant une instrumentalisation. La CGT le quitte un peu plus tard pour des raisons revendicatives.
Mais comment croire que les syndicats renonceraient aux 62 ans (voire aux 60 ans) comme la CGT et certaines formations politiques qui le défendent toujours officiellement ? La CGT part lorsque le premier ministre ferme la porte au retour aux 62 ans.
Par ailleurs, les organisations patronales se montrent hostiles à toute revendication de cotisation nouvelle qui alourdiraient le coût du travail. Le syndicat patronal U2P (artisans et professions libérales) exige même des « mesures drastiques » comme un nouveau recul de l’âge de départ à la retraite.
De nombreuses interférences perturbent également le « conclave ». Celle de la Cour des comptes qui annonce que le déficit des retraites va progressivement se creuser (en milliards d’euros) si aucune nouvelle mesure d’économie n’est prise. Mais aussi celle du COR (Conseil d’orientation des retraites) selon lequel l’équilibre financier dépendra du recul de l’âge de départ à la retraite (son président évoquant même un âge de 66,5 ans).
Expliquer et responsabiliser
Tous ces éléments ont rendu cet exercice de démocratie sociale difficile, alors que les partenaires n’y étaient pas forcément préparés.
Rappelons que François Bayrou a confié aux partenaires sociaux un dossier majeur, alors que les gouvernements précédents les avaient largement déresponsabilisés lors de la fabrique de la réforme de 2023 : cycle de négociations « très cadré », absence d’interlocuteur politique lors des discussions, « contenu ficelé » des éléments à discuter, comme a pu en témoigner le négociateur de la CFDT.
Lors du « conclave », syndicats et patronat ont, jusqu’au bout, tenté de faire preuve d’esprit de responsabilité, tentant de reconstruire ensemble de nouveaux pans de la réforme.
Reste que, pour les syndicats, il était difficile de faire une croix sur les revendications de 2023 dont l’abaissement de l’âge légal de départ à la retraite, malgré l’impératif de réduction du déficit. Rappelons que, depuis la loi de 2008 sur la « rénovation de la démocratie sociale », les syndicats sont en perpétuelle concurrence dans les entreprises et les branches d’activités pour la représentativité et les moyens et ressources qui en découlent. Pour une organisation syndicale, « céder » sur l’âge de la retraite en entérinant la réforme de 2023, c’était prendre le risque d’être accusée de trahir les mobilisations de 2023 – avec des conséquences probables lors des prochaines élections professionnelles.
Rupture avec la Sécurité sociale des origines
La fabrique des réformes de la protection sociale et l’administration de cette dernière interrogent aussi la raison d’être du « conclave » et expliquent sans doute l’échec final.
En 1945, aux origines du système français de protection sociale (dont celui des retraites), il avait été décidé que celui-ci serait fondé sur la démocratie sociale. Autrement dit, la gestion des caisses de sécurité sociale, à l’origine uniques, était confiée aux représentants syndicaux et patronaux.
Ce mode de gestion – qui vaut toujours pour les retraites complémentaires – a été remis en cause pour le régime général à compter de 1967. Les partenaires sociaux ont été progressivement mis à l’écart pour ne plus tenir qu’un rôle symbolique, l’État et des fonctionnaires spécialisés reprenant l’administration directe du système et fixant ses orientations.
Depuis, ce système a perdu son enracinement social et l’État impose des réformes récurrentes et souvent brutales alors que, dans d’autres pays, l’État fait confiance aux organisations qui procèdent de façon consensuelle.
Le « conclave » de 2025, trop circonstanciel, n’a pas réussi à inverser la tendance, même s’il a permis de mettre clairement – et démocratiquement – sur la table les arguments des diverses parties et éclairé l’opinion sur la complexité de la gestion des retraites.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Dominique Andolfatto : Professeur de science politique, Université Bourgogne Europe
Cet article est republié à partir du siteThe Conversation, sous licence Creative Commons
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