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Opinion. Maître des maîtres, Ye Qisun, mendiait dans la rue à la fin de sa vie (2/2)

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Avant de mourir, Xiong Dazhen n’aurait jamais imaginé que, des décennies plus tard, son professeur Ye Qisun serait aussi persécuté à cause de lui.

Après le déclenchement de la Révolution culturelle, « l’affaire d’espionnage Xiong Dazhen » fut de nouveau déterrée. Parce que Xiong Dazhen était un étudiant de Ye Qisun et qu’il avait reçu le soutien de Ye après avoir rejoint l’armée. Ye Qisun, qui n’était même pas un membre ordinaire du Kuomintang, fut faussement accusé par le Parti communiste chinois (PCC) d’être le chef du réseau de renseignement du Parti nationaliste qui aurait infiltré l’université de Tsinghua.

Selon les archives de Ye Qisun’s Contributions and Tragedy, à partir de juin 1967, Ye Qisun, âgé de près de 70 ans, fut battu et emprisonné, et son domicile fut perquisitionné par les gardes rouges de l’université de Pékin. À l’époque, Ye Qisun avait déjà quitté l’université de Tsinghua pour occuper un poste à l’université de Pékin, où il se trouvait depuis 1952. Ils enfermèrent Ye Qisun dans une étable. Les tortures physiques et insultes personnelles qu’il subit le conduisirent au bord de l’effondrement mental.

Maître des maîtres, Ye Qisun, mendiait dans la rue à la fin de sa vie
Membres de l’Academia Sinica, dont faisait partie Ye Qisun. L’Academia Sinica, qui signifie « Académie chinoise », a été fondée en 1928 à Nankin, alors capitale de la République de Chine, avec sa première assemblée à Shanghai. Elle est aujourd’hui l’académie nationale de la République de Chine (Taïwan). (Image : wikimedia / See page for author / Domaine public)

Endurant cette persécution, Ye Qisun était en proie à des hallucinations

Ye Qisun fut victime d’hallucinations auditives, pensant qu’une station de radio l’observait. Chacun de ses mouvements était reflété. Lorsqu’il buvait une gorgée de thé, la radio lui disait qu’il ne buvait pas un bon thé, s’il voulait passer la porte, la radio lui disait de revenir immédiatement.

Son neveu Ye Minghan le regardait tristement et lui disait : « Tu as étudié la physique, tu sais que les ondes radio ne peuvent pas traverser le mur, que cela n’existe pas, que c’est une illusion ». Ce à quoi Ye Qisun répondait : « Oui, il est clair pour moi que vous êtes sourd à cela, et je suis sourd à ce que vous dites ! ».

Le 28 juin 1968, Ye Qisun fut officiellement arrêté par le bureau de la Commission militaire centrale et détenu pendant plus d’un an.

En novembre 1969, Ye Qisun fut renvoyé à l’université de Pékin. Mais, l’université continua à le suivre à la trace. Son salaire fut suspendu et seule une petite somme d’argent lui fut versée, qui couvrait une partie de ses frais de subsistance. En outre, sa maison fut perquisitionnée et son logement fut également réattribué à quelqu’un d’autre. Ye Qisun fut placé dans un dortoir d’étudiants. L’érudit et professeur autrefois célèbre était maintenant gravement malade et incontinent, ses jambes étaient enflées et il avait du mal à se tenir debout. Tout son corps était voûté à 90 degrés.

À l’époque, de nombreuses personnes ont vu Ye Qisun dans le quartier de Zhongguancun, dans la partie Nord-Ouest de Pékin. Il avait les cheveux gris et portait une paire de vieilles chaussures en coton aux semelles cassées. Il traînait seul dans les rues, avançait parfois avec hésitation et mendiait parfois de la nourriture et des boissons dans de petites échoppes.

Plus tard, il retrouva peu à peu ses esprits. Une fois, Qian Sanqiang le rencontra dans la rue à Zhongguancun, et dès qu’il vit son professeur, il courut immédiatement vers lui pour le saluer et lui montrer son inquiétude. Lorsque Ye Qisun vit Qian Sanqiang courir vers lui, il dit immédiatement : « Éloigne-toi vite de moi, écarte-toi vite de mon chemin, et quand tu me verras à l’avenir, ne fais pas attention à moi : éloigne-toi simplement de moi ».

« Le déroulement de ma vie est toujours dans mon cœur et peut encore être retrouvé »

Qian Sanqiang était à l’époque vice-ministre du second ministère de la machinerie et responsable du projet de bombe atomique. Ye Qisun savait qu’il était risqué pour une personne occupant un poste aussi important de traiter avec des personnes politiquement gênantes, et il craignait que Qian Sanqiang n’en subisse les conséquences.

Maître des maîtres, Ye Qisun, mendiait dans la rue à la fin de sa vie
Le 13 janvier 1977, Ye Qisun meurt des suites d’une maladie. « Ma folie et ma destruction, il n’y a rien de plus à en dire. Vous pouvez m’abandonner comme un criminel. Pourtant, le déroulement de ma vie est toujours dans mon cœur et peut encore être retrouvé. (…) », aurait-il dit au physicien Qian Linzhao, juste avant de mourir. (Image : Capture d’écran / bannedbook.org)
 

Deux ans plus tard, alors qu’il se promenait à vélo, Zhang Zhixiang, un professeur de l’université de Pékin, trouva Ye Qisun dans un complexe d’appartements situé à l’extérieur du campus.

Zhang Zhixiang se souvint : « Il ne m’a plus reconnu. J’ai dit : " Je suis Zhang Zhixiang " et il m’a répondu : ’"Oh, d’accord, asseyez-vous. " Il s’est assis sur une chaise en rotin et m’a montré ses jambes, qui étaient très enflées et il ne pouvait pas marcher. Il ne s’est pas plaint et est resté très calme, mais il ne ressemblait plus à un être humain. Je n’avais pas grand-chose à dire, je me suis contenté de dire : " Prenez soin de vous, monsieur ", puis j’ai… » À ce moment-là, Zhang Zhixiang éclata en sanglots et poursuivit : « …je suis parti et je ne l’ai plus jamais revu ».

Ye Minghan, le neveu de Ye Qisun confia : « Mon oncle n’a jamais exprimé à qui que ce soit qu’il était très malheureux : mon oncle n’a jamais dit à personne que sa vie était très misérable. Il semblait penser qu’il y avait beaucoup d’injustices dans le monde et dans l’histoire, et qu’il n’était donc pas nécessaire de se lamenter sur sa propre vie. Il a fait face à ses propres épreuves avec indifférence ».

Le 13 janvier 1977, Ye Qisun succomba à une maladie. À la fin de sa vie, le physicien Qian Linzhao alla le voir. Ye Qisun sortit le Livre des Chants et se tourna vers un passage de Lettres à ses neveux et Ses poèmes en prison de Fan Ye.

« Ma folie et ma destruction, il n’y a rien de plus à en dire. Vous pouvez m’abandonner comme un criminel. Pourtant, le déroulement de ma vie est toujours dans mon cœur et peut encore être retrouvé. Quant à savoir si vous pouvez ou non comprendre ma pensée, ce sera selon le niveau de votre interprétation. »

Rédacteur Albert Thyme

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Source : Master Ye Qisun Begging on the Street in His Later Years — Part 2
www.nspirement.com

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