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Culture. Le miroir et ses myriades de reflets à travers les âges

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Le miroir semble toujours présent, s’imposant parfois partout. Il nous suit et nous poursuit. Comment se voit-on au quotidien à travers ce miroir ? Depuis la petite enfance, il nous a vu grandir, sans que lui ne prenne une ride. Il nous accompagne au fil des ans, comme un grand livre d’histoire. Mais, le connaissons-nous vraiment ?

Se voir soi-même dans un miroir constitue une expérience étrange, où l’individu touche au secret de son être. Incapable de l’atteindre réellement, il voit son intimité se dérober à lui, ce qui provoque son désenchantement. (Image : wikimedia / Caravaggio / Domaine public)

Le miroir : un reflet à travers les âges

Les premiers hommes pouvaient se contempler dans les eaux paisibles et tranquilles des bassins naturels des rivières, des lacs et plus tard des fontaines. Ainsi, avant son invention, la surface de l’eau constituait le parfait miroir dans lequel l’homme pouvait se mirer, voire se perdre comme dans le mythe de Narcisse. Dans une thèse de doctorat en littérature médiévale, soutenue en 2018, La figure de Narcisse dans la littérature et la pensée médiévales, Magali Romaggi aborde l’eau de source dans le cadre de l’effet miroir.

« Enfin l’eau de la source, l’un des motifs essentiels du mythe de Narcisse, a été le point de convergence de plusieurs traditions qui ont fini par s’entremêler dans les œuvres médiévales : le motif biblique de l’eau d’un côté, de l’autre les conceptions néoplatoniciennes sur le reflet et le mythe antique de Narcisse. Un réseau d’images similaires irrigue ces traditions, constitué de l’eau claire, du reflet et de la fontaine. Le "fons" antique s’est peu à peu métamorphosé en fontaine médiévale jusqu’à devenir véritable miroir. Le motif du miroir s’autonomise peu à peu par rapport à la surface des eaux. (…) Se voir soi-même dans un miroir constitue une expérience étrange, où l’individu touche au secret de son être. Incapable de l’atteindre réellement, il voit son intimité se dérober à lui, ce qui provoque son désenchantement », précise-t-elle dans le résumé.

Il y a 6 000 ans, dans la région de l’Anatolie, en Turquie, l’homme façonnait une roche volcanique vitreuse, l’obsidienne, qui une fois polie, donnait ses premiers reflets. (Image : wikimedia / Henry Pelgrift / CC BY-SA 4.0 & wikimedia / Alvaro Martinez : CC BY-SA 4.0)

Le site Miroir ancien nous fait voyager en nous contant son histoire, car bien qu’il n’ait pris aucune ride, il serait âgé de près de 6 000 ans. À cette époque, c’est dans la région de l’Anatolie, en Turquie, qu’il aurait commencé sa vie. L’homme façonnait une roche volcanique vitreuse, l’obsidienne, qui une fois polie, donnait ses premiers reflets. Ensuite, soit 2 000 ans après, l’homme lui a donné une surface métallique plus raffinée, lui apportant un effet plus réfléchissant. Ces miroirs fabriqués à l’aide de métal poli, comme le bronze, le cuivre, l’argent, l’or ou l’étain ont été utilisés par l’homme au cours des nombreux siècles. Malheureusement le risque d’oxydation perdurait.

Le miroir était également présent sur une poterie datant de l’époque égyptienne et grecque, soit entre 470 et 460 av. J.- C. en Mésopotamie. Mais, c’est au premier siècle de notre ère, à Sidon, le Liban d’aujourd’hui, que l’homme aurait commencé à concevoir des miroirs en verre métallisé. Cette technique a été reprise par l’Empire romain. L’homme se servait alors de cristal de roche poli, sur lequel il appliquait de la feuille d’or, d’argent ou de plomb. Ce miroir de petite dimension relevait plus de l’ornement.

Le miroir était également présent sur une poterie datant de l’époque égyptienne et grecque, soit entre 470 et 460 av. J.- C. en Mésopotamie. (Image : wikimedia / Marsyas / CC BY-SA 2.5)

Puis, le miroir va s’imposer dans différentes régions du monde, notamment en Chine où sera retrouvée une trace de miroir en bronze pendant la période des Cinq dynasties. Puis la Chine se perfectionnera au Ve siècle en utilisant des amalgames d’argent et de mercure.

Ce précieux et ses techniques secrètes de savoir-faire

Il nous a suivi et poursuivi pendant des siècles : toujours plus perfectionné et plus réfléchissant par sa qualité de polissage, son métal poli comme le bronze, le cuivre, l’argent, l’or et l’étain. Bien que travaillé par les Romains pendant des siècles, ce miroir finissait toujours par s’oxyder. Une pierre ponce servait à le nettoyer et à lui redonner de l’éclat.

La cité des Doges garde précieusement son savoir-faire. Ainsi, la police maintient sous surveillance ses miroitiers sur l’île de Murano : avec interdiction de divulguer les formules de fabrication sous peine de mort ! (Image : wikimedia / Louis Figuier / CC BY 2.0)

La période qui aurait vu naître le miroir en verre n’est pas clairement précisée. Mais Lou Zimmermann dans La Légende du verre, nous raconte l’histoire de marchands de nitre qui voulaient faire cuire leurs aliments sur la plage du fleuve de Bélus, en Phénicie. N’ayant pas de pierres en guise de trépied, ils ont posé le nitre à même le sable et auraient aussi utilisé du petit bois ramassé sur les bords du fleuve. Les matières auraient chauffé et seraient entrées en fusion. Pour autant, l’auteur romain Pline l’Ancien (23 – 79 ap. J.-C.) rappelle qu’il était peu probable que la température soit suffisante pour faire naître le verre de ce composé.

« C’est à partir du XIIIe siècle, que des miroirs en verre ont commencé à apparaître en Europe. Ces miroirs se composaient d’une surface de verre sur laquelle était appliquée une plaque de plomb ou d’argent poli », précise sur son site le magazine de Proantic.

C’est au XVe siècle à Venise que se développe la fabrication des miroirs étamés : les fameux miroirs au mercure. La méthode d’étamage consistait à revêtir une plaque de verre d’un alliage, ou amalgame, de mercure et d’étain. (Image : wikimedia / Jorge Barrios / CC BY-SA 3.0)

Au XVe siècle, se développe à Venise « la fabrication des miroirs étamés, les fameux miroirs au mercure. La méthode d’étamage consistait à revêtir une plaque de verre d’un alliage, ou amalgame, de mercure et d’étain. On couvrait la surface de feuilles de papier d’étain, qui étaient poncées, lissées et recouvertes de mercure. Puis, on maintenait fermement un chiffon de laine sur la surface à l’aide d’une masse en fer pendant environ une journée. On inclinait ensuite la plaque de verre, afin d’enlever le mercure en excès : apparaissait alors une surface lustrée. Ces miroirs vénitiens avaient un grand pouvoir de réflexion et surtout étaient d’une pureté exceptionnelle : mais ne pouvaient avoir que des dimensions réduites, car ils étaient fabriqués à partir de cylindres de verre soufflé que l’on fendait et que l’on aplatissait sur une pierre », est-il précisé dans l’article, L’histoire du miroir au mercure.

De Venise à la France, le miroir développe ses lettres de noblesse

Dès le XVIe siècle, Venise devient réputée pour ses verreries. Ainsi, sur l’île de Murano, les maîtres verriers utilisent cette nouvelle technique multipliant de cette manière les façons d’utiliser le miroir. Ce secret reste jalousement préservé par les maîtres verriers. Ainsi, la cité des Doges garde précieusement son savoir-faire. La police maintient sous surveillance ses miroitiers sur l’île de Murano : avec interdiction de divulguer les formules de fabrication sous peine de mort ! Le style artistique s’adapte et évolue pour s’accorder au style Gothique ou Renaissance. Des manufactures se développent pourtant en Europe, mais toujours placées sous l’égide des maîtres verriers venant de Venise.

Dès le règne de Louis XIII, la France commence à faire connaître son savoir-faire. Doit-on y voir l’influence de Marie de Médicis, la mère de Louis XIII dont le célèbre miroir est toujours exposé au Musée du Louvres ? (Image : wikimedia / Charles Martin / Domaine public)

Cependant, dès le règne de Louis XIII, la France commence à faire connaître son savoir-faire. Doit-on y voir l’influence de Marie de Médicis, la mère de Louis XIII dont le célèbre miroir est toujours exposé au Musée du Louvres ? Le style à la française prend toute sa dimension sous l’égide de Louis XIV. Avec l’aide de Jean-Baptiste Colbert, la Manufacture Royale des glaces, qui deviendra par la suite Saint-Gobain, sera mise en place. Elle regroupera des experts vénitiens qui initieront les ouvriers français à leur secret.

Le miroir étalera dès lors toutes ses lettres de noblesse. On le retrouvera dans la galerie des Glaces du château de Versailles, mais aussi dans les salles d’apparat des châteaux de Marly, Chambord ou encore Fontainebleau. Le miroir continuera ainsi d’évoluer et deviendra le reflet d’une époque déclinant son style et sa brillance dans le monde de l’art.

Avec l’aide de Jean-Baptiste Colbert, la Manufacture Royale des glaces, qui deviendra Saint-Gobain par la suite, sera mise en place. Elle regroupera des experts vénitiens qui initieront les ouvriers français à leur secret. (Image : wikimedia / Claude Lefèbvre / Domaine public)

Les qu’en-dira-t-on autour du miroir

Connaissez-vous la différence entre une glace et un miroir ? Il n’y en a pas vraiment, car une glace est avant tout un miroir. Mais un miroir de grande taille qui a été nommé glace, parce qu’il rappelle l’aspect solidifié par le froid.

Comment savoir si un miroir est ancien ? La technique est facile, à l’aide d’un simple stylo, il vous suffit d’approcher la pointe de celui-ci jusqu’à toucher la surface du miroir. Si la pointe est espacée de son reflet, cela signifie que le miroir est épais et il est donc probable que celui-ci soit ancien.

Comment se voit-on dans notre quotidien à travers ce miroir ? Un proverbe chinois dit : « Quand tout va mal, regarde-toi dans le miroir ». Mais qu’y verra-t-on ? Cicéron a laissé cette citation : « Car si le visage est le miroir de l’âme, les yeux en sont les interprètes ». Le miroir devient alors une allégorie qui nous relie à l’âme. Nous sommes peut-être loin du « miroir reflet de soi ».

Le miroir continue à nous suivre et à nous poursuivre, apportant son éclat dans nos vies. Il ne prend toujours aucune ride, mais s’amuse souvent à nous renvoyer, sans fard, les empreintes de la vie ou le reflet de nos âmes. N’oublions pas que les peuples primitifs accordaient au miroir une valeur de magie, celle parfois d’emprisonner l’être véritable d’une personne.

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