À travers l'histoire et la mythologie humaines, les ânes ont discrètement été des porteurs de sens : souvent négligés, mais pourtant riches en symbolisme. Contrairement aux chevaux, qui galopent à travers les récits de pouvoir, de richesse et de conquêtes militaires, les ânes empruntent un chemin plus humble. Ainsi, ils ont souvent été les protagonistes de légendes intemporelles sources d’inspiration v de leçons pour le monde moderne.
Dans la poésie des dynasties chinoises Tang (618-907 ap. J.-C.) et Song (960 – 1279),les érudits qui ont choisi la solitude et la réflexion sont souvent représentés chevauchant des ânes. Cette image évoque une vie matériellement modeste, voire « défavorisée » selon les normes du monde, mais aussi profondément réfléchie et volontairement simple.
Loin d'être de simples bêtes de somme, les ânes en sont venus à symboliser une noblesse rare, née non pas du statut social ou de l'ambition, mais du calme intérieur, du détachement et de la profondeur philosophique. Monter un âne incarnait l'humilité et la transcendance, une position tranquille contre la soif de pouvoir et de prestige. Ces humbles animaux portaient non seulement des personnes, mais aussi des idées profondes sur ce que signifie vivre une vie pleine de sens.

L'âne de papier : une ancienne prophétie pour aujourd'hui
Zhang Guolao, l'un des légendaires Huit Immortels de la mythologie chinoise, était connu non seulement pour sa sagesse excentrique, mais aussi pour l'extraordinaire créature qu'il chevauchait : un âne blanc capable de parcourir des dizaines de milliers de kilomètres en une seule journée.
Mais ce n'était pas un animal ordinaire. Lorsqu'il n'en avait plus besoin, Zhang Guolao pliait l'âne à plat – aussi fin qu'une feuille de papier – et le rangeait soigneusement dans une petite boîte à mouchoirs. Lorsqu'il souhaitait le chevaucher à nouveau, il versait de l'eau de sa bouche sur le papier, et l'âne ondulait, s'élevait et redevenait une créature vivante, prête à le porter à travers les montagnes et les cieux.

Mais plus fascinant encore que l'âne magique était la façon dont Zhang Guolao le montait : à reculons. Ce n'était pas une fantaisie, mais un acte intentionnel et plein de sens. Zhang croyait que le monde s'éloignait du Tao, la voie juste et véritable. Sa résistance silencieuse était un geste symbolique destiné à attirer l'attention sur la confusion morale et la décadence qui l'entouraient.
Vers la fin de la dynastie Tang, entre le IXe et le Xe siècle, Zhang Guolao fit une prophétie surprenante. Il annonça à Zhang Tianshi que, dans 1 500 ans, la société entrerait dans une ère de « véritable chaos ». À cette époque, les gens auraient encore une apparence humaine, mais leurs cœurs seraient sans vie, dépourvus de bonté, de vertu et de vérité. Il prévoyait un monde où les fonctionnaires adhéreraient ouvertement à la corruption, où les valeurs traditionnelles comme la piété filiale seraient abandonnées, et où l'égoïsme et la cupidité ne seraient plus contenus ni dissimulés, mais affichés, admirés, voire célébrés.

Sa prophétie, formulée il y a plus de 15 siècles, s'adresse directement au monde d'aujourd'hui : à une époque où la confusion est saluée comme une clarté et où la corruption se fait passer pour de la compétence, la marche arrière de Zhang Guolao sonne comme un signal d'alarme. Elle nous exhorte à voir clair et à revenir à l'intégrité, à l'humilité et à la vertu intemporelle, avant de nous éloigner de ce que signifie véritablement être humain.
L'âne sage : transformer la crise en opportunité
Au-delà de la monture légendaire de Zhang Guolao, il existe une autre histoire : celle d'un âne sage qui transforme le malheur en chance.
Un jour, l'âne d'un fermier tomba accidentellement dans un puits asséché. Le fermier chercha désespérément un moyen de sauver l'animal pris au piège, mais les heures passèrent, et l'âne resta coincé, gémissant de détresse. Épuisé et frustré, le fermier finit par abandonner. L'âne était vieux et, à ses yeux, ne valait plus la peine d'être sauvé. Il décida alors de combler le puits de terre pour le fermer, acceptant la perte et passant à autre chose.
Le fermier appela alors ses voisins à l'aide. Un par un, ils saisirent leurs pelles et commencèrent à jeter de la terre dans le puits asséché. Au début, l'âne poussa un cri de détresse, accablé par la terre qui s'écrasait. Mais bientôt, un silence surprenant s'installa.
Intrigué, le fermier regarda au fond du puits et ce qu'il vit le stupéfia. Chaque fois que la terre atterrissait sur le dos de l'âne, celui-ci la secouait et s'élevait sur le monticule croissant en dessous. À chaque pelletée de terre, l'âne s'élevait toujours plus haut, utilisant le fardeau même censé l'ensevelir comme plateforme pour s'échapper.
Peu après, l'âne atteignit le sommet du puits, bondit et s'enfuit, laissant les spectateurs stupéfaits et inspirés par sa résilience et son ingéniosité.
Des légendes intemporelles, mais des leçon sur la vertu et la résilience

Ces deux récits, l'un ancré dans la prophétie, l'autre dans la sagesse pratique, offrent des perspectives profondes et complémentaires sur l'expérience humaine. L'histoire de l'âne en papier de Zhang Guolao, et sa chevauchée à reculons, avertissement à l'humanité, est un puissant symbole qui nous incite à la réflexion lorsque la société s'écarte de l'intégrité et de la bonté. Sa prophétie prédit un monde où les cœurs se refroidissent et les valeurs s'érodent, nous rappelant que la véritable noblesse ne réside pas dans le statut social ou le pouvoir, mais dans une vie vertueuse, déterminée et lucide.
À l'inverse, l'histoire de l'âne sage parle directement de la résilience qui sommeille en chacun de nous. La vie nous réserve inévitablement des défis parfois accablants, des moments où nous nous sentons pris au piège et impuissants. Pourtant, tel l'âne qui secoue la terre jetée dans le puits, nous pouvons choisir de transformer l'adversité en opportunité. Chaque épreuve devient un fondement pour grandir, chaque revers une chance de nous relever plus fort et de cultiver la bonté intérieure.

Ensemble, ces histoires révèlent une vérité intemporelle : au milieu du chaos et de l'adversité de notre époque, la voie à suivre exige à la fois prise de conscience et action. Nous devons d'abord reconnaître quand le monde – et nos propres cœurs – vacillent, puis rassembler le courage, la créativité et la résilience nécessaires pour nous relever. Ce faisant, nous retrouvons non seulement notre dignité, mais nous réveillons aussi l'esprit durable d'espoir, de force et de transcendance qui définit le meilleur de l'humanité.
Rédacteur Charlotte Clémence
Source : The Paper Donkey and the Wise Donkey: Timeless Legends, Modern Lessons
www.nspirement.com
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