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Histoire. La vie de Chao Yuen Ren, le père de la linguistique chinoise, humoristique et super doué

CHINE ANCIENNE > Histoire

 
En Chine, il existe une centaine de dialectes en plus de la langue officielle, le mandarin qui est la langue la plus parlée au monde. Il est étonnant qu’un Chinois puisse parler 33 dialectes chinois et huit langues étrangères en plus du mandarin, tout en étant un génie interdisciplinaire renommé ! Il s’agit de Chao Yuen Ren, un linguiste chinois mondialement connu et considéré comme le père de la linguistique chinoise.

Un don hors pair pour le langage dès l’enfance

Chao Yuen Ren est né le 3 novembre 1892 à Tianjin, ville nordique en Chine, dans une famille érudite ayant comme origine Changzhou, ville voisine de Suzhou à l’est de Chine. Le poète et historien Chao Yi (1727-1814), considéré comme l’une des trois grandes figures littéraires sous le règne de l’empereur Qianlong de la dynastie Qing, est l’un de ses ancêtres.

Chao Yuen Ren a grandi dans un environnement multilingue. En fait, son grand-père paternel a occupé un poste officiel dans la région de Pékin, Tianjin et Hubei, dans le nord de la Chine. Avant ses dix ans, Chao Yuen Ren a déménagé sans cesse avec son grand-père et vécu successivement à Pékin, à Baoding et dans d’autres villes de la province du Hebei parlant le mandarin. C’est dans cet environnement que sa passion et son talent pour les langues ont commencé à émerger.

Lorsque sa famille est rentrée à Changzhou, leur ville natale, dans la province méridionale prospère de Jiangsu, Chao Yuen Ren y a passé la majeure partie de son enfance et de son adolescence à faire ses études préliminaires et où il a appris des langues étrangères et plusieurs autres dialectes différents, notamment les dialectes de Changzhou, de Suzhou et de Nanjing, et même le dialecte de Fuzhou auprès de sa tante qui s’est occupé de lui après le décès de ses parents.

Selon son autobiographie, Chao Yuen Ren a très vite appris le dialecte de Changzhou et l’utilisait dans la vie courante. Enfant, il adorait les chats et s’est un jour exclamé dans le dialecte de Changzhou comme un local : « Le chat a mangé mes nouilles ! »

En 1907, à l’âge de 15 ans, Chao Yuen Ren est entré au cycle préparatoire de l’Ecole supérieure de Jiangnan à Nanjing, où il a appris l’anglais auprès de l’Américain David John Carver, le latin et l’allemand, ainsi que le dialecte de Nanjing.

Enseignement supérieur pluridisciplinaires et une période d’autoréflexion

En juillet 1910, il a obtenu une bourse officielle du gouvernement Qing pour étudier aux États-Unis. Il est entré à l’université Cornell pour étudier la physique et les mathématiques, ainsi que les langues et la linguistique. En 1915, il est parti pour l’université Harvard où il a étudié la physique, mais aussi la philosophie et la composition musicale.

Mais les années qui suivirent ont été une période confuse dans sa vie. Le futur grand linguiste avait du mal à décider de la direction qu’il voudrait prendre. Son autobiographie contient un récit intéressant à ce sujet.

« L’année scolaire 1910-1911 a été l’une des années les plus troublées et les plus turbulentes dont je me souvienne. Je ne savais pas quoi faire ni où aller. Depuis deux ans, je pratique ce que j’appelle le " voyage contemplatif ". Au lieu de m’asseoir les jambes croisées comme un moine, je marche dans les rues, le long des rivières, etc., en laissant mon esprit vagabonder, en m’arrêtant de temps en temps pour prendre des notes. »

« Cette fois-ci, j’ai commencé à parcourir de longues distances. Enveloppant mes vêtements dans un petit sac de voyage et les portant sur un bâton en bandoulière, j’ai voyagé vers l’ouest depuis Cambridge jusqu’à Pittsfield, m’arrêtant en chemin dans des chambres très bon marché. Une fois, je me suis approché d’une maison, j’ai sonné et j’ai demandé à l’hôtesse qui m’a ouvert la porte : " Auriez-vous du pain et du lait pour nourrir un randonneur ? ". Elle m’a regardé de haut en bas avant de rentrer dans sa maison et puis elle m’a apporté un sandwich au jambon, du lait et même une pomme à croquer ! »

En 1920, Chao Yuen Ren est retourné en Chine. En octobre 1920, il était interprète pour Bertrand Russell et Dora Black lors de leur visite à l’université de Pékin et en Chine.

La vie de Chao Yuen Ren, le père de la linguistique chinoise, humoristique et super doué
Russell et Dora posent avec leurs collègues avant leur départ. La deuxième personne à partir de la gauche au dernier rang est Chao Yuen Ren. (Image : wikimedia / Photographe inconnu / Domaine public)

Chao Yuen Ren a démontré une grande précision et beaucoup d’aisance dans plusieurs dialectes chinois lorsqu’il interprétait, pour Bertrand Russell, en dialectes, parfois appris sur place depuis seulement quelques jours, lors des conférences publiques, au point que certains étudiants l’ont pris pour un interprète local qui ne maitrisait pas le mandarin. Son incroyable talent en langue a conduit plusieurs de ses amis à l’encourager à poursuivre l’étude de la linguistique. Ses accomplissements ultérieurs ont prouvé qu’il s’agissait de la bonne voie pour lui.

Le talent linguistique de Chao Yuen Ren a également sauvé la langue chinoise ancienne au siècle dernier. Dans les années 1950, alors que le Parti communiste chinois (PCC) voulait latiniser toute la langue chinoise, Chao Yuen Ren, qui vivait aux États-Unis, a écrit un poème de 96 caractères en chinois ancien pour prouver qu’il était absurde de latiniser toute la langue chinoise, notamment le chinois ancien. Ce poème intitulé Shī Shì shí shī shǐ (Le Poète mangeur de lions dans son repaire de pierre) se lit comme suit, en pinyin :


Shíshì shīshì Shī Shì, shì shī, shì shí shí shī.
Shì shíshí shì shì shì shī.
Shí shí, shì shí shī shì shì.
Shì shí, shì Shī Shì shì shì.
Shì shì shì shí shī, shì shǐ shì, shǐ shì shí shī shìshì.
Shì shí shì shí shī shī, shì shíshì.
Shíshì shī, Shì shǐ shì shì shíshì.
Shíshì shì, Shì shǐ shì shí shì shí shī.
Shí shí, shǐ shí shì shí shī shī, shí shí shí shī shī.
Shì shì shì shì.

Et sa traduction est la suivante :

Dans un repaire de pierre se trouvait un poète appelé Shi Shi, qui était passionné par les lions et avait décidé d’en manger dix.
Il se rendait souvent au marché pour chercher des lions.
À dix heures, dix lions venaient d’arriver au marché.
À ce moment-là, Shi venait d’arriver au marché.
Il vit ces dix lions et, à l’aide de ses puissantes flèches, les fit mourir.
Il apporta les dépouilles des dix lions dans le repaire de pierre.
Le repaire de pierre était humide. Il demanda à ses serviteurs de l’essuyer.
Une fois le repaire essuyé, il essaya de manger les dix lions.
En mangeant, il s’est rendu compte que ces dix lions étaient en fait dix lions de pierre.
Essayez d’expliquer cette situation.

Une carrière jalonnée d’honneurs

Au cours des années suivantes, Chao Yuen Ren a étudié la linguistique de manière intensive et a été professeur à l’université de Tsinghua avant d’immigrer aux États-Unis en 1937. Il sera successivement professeur à l’université d’Hawaï, l’université Yale, l’université Harvard et, finalement, l’université de Californie à Berkeley en 1947 où il était professeur en langues orientales. Dans sa carrière, l’université de Princeton lui a décerné le titre de docteur honoris causa. Il a pris sa retraite en 1960.

Chao a parlé 33 dialectes chinois tout au long de sa vie, apprenant souvent un dialecte en une semaine. Il parlait également l’anglais, le français, l’allemand, le japonais, l’espagnol et bien d’autres langues étrangères. Il disait lui-même : « Pour les applications formelles, l’anglais, l’allemand et le français ne posent pas de problème. Pour les applications générales, le japonais, le grec ancien, le latin, le russe, etc. ne posent aucun problème. » On a dit de lui qu’il avait une oreille « comme un magnétophone ».

Au cours de sa vie, Chao Yuen Ren est l’auteur d’importantes contributions à l’étude moderne du chinois, à la phonologie et à la grammaire. Il a écrit 20 livres sur la linguistique, a publié 36 articles importants et composé 132 chansons, des recueils de poèmes de style nouveau et des traductions de la littérature étrangère. En plus d’aider à façonner un système de romanisation de la Chine, et la promotion du chinois standard, Chao Yuen Ren a également inventé les barres de ton dans les années 1920 pour marquer les tons de certaines langues tonales.

Souvenons-nous de lui pour son immense talent, son humour et son ouverture d’esprit.

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