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France. Paris 2024 : face aux obligations de sécurité et de contrôle, que deviennent les libertés individuelles au pays des droits de l’Homme ?

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La Loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions a été promulguée depuis plus d’un mois. En dehors de quelques commentaires dans la presse nationale, elle a soulevé peu de réactions au sein du public français. Pour autant, cette loi devrait attirer l’attention de tout un chacun. En effet, au-delà des mesures que l’on peut attendre dans le cadre de la sécurité des personnes, apparaissent des procédures qui pourraient mettre à mal les libertés individuelles, dans une France toujours considérée comme le pays fondateur des droits de l’Homme.

Tout au long de son cheminement législatif, deux axes ont soulevé des questionnements, il s’agit du Chapitre II : Mesures visant à renforcer la lutte contre le dopage (Articles 5 à 8), et Chapitre III : Dispositions visant à mieux garantir la sécurité (Articles 9 à 19).

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de cette loi, en précisant bien que sa décision était prise « en l’état des connaissances et des techniques scientifiques » et sur « la conformité à la Constitution des articles 10, 11, 16 et de certaines dispositions de ses articles 5, 9, 13, 15, 17 et 18 de la Loi ». Mais, il ne s’est pas prononcé « sur la constitutionnalité des autres dispositions, que celles examinées dans la présente décision ».

Le développement des tests génétiques et le respect de la dignité humaine

Le Chapitre II : Mesures visant à renforcer la lutte contre le dopage (Articles 5 à 8), vise à répondre à la réserve de conformité aux règles internationales émis par l’Agence mondiale antidopage. De manière à lever cette réserve, la Loi autorise le développement de tests génétiques.

Il est ainsi précisé dans l’article 5 : « le laboratoire accrédité par l’Agence mondiale antidopage en France peut procéder, à partir de prélèvements sanguins ou urinaires des sportifs qui lui sont transmis et dans l’hypothèse où les autres techniques disponibles ne permettent pas leur détection, à la comparaison d’empreintes génétiques et à l’examen de caractéristiques génétiques ». Cette procédure semble être encadrée « en l’état des connaissances et des techniques scientifiques » connues à ce jour, comme le précise la décision du Conseil Constitutionnel.

Mais, les députés requérants dénoncent la possibilité d’une non-application « du droit au respect de la vie privée, du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de la liberté individuelle ». En effet, « la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Ce droit requiert que soit observée une particulière vigilance dans l’analyse et le traitement des données génétiques d’une personne », est-il rapporté par les députés requérants, dans la Décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023.

Par ailleurs, dans sa décision, le Conseil constitutionnel affirme que « les données analysées ne peuvent conduire à révéler l’identité des sportifs ni servir à leur profilage ou à leur sélection à partir d’une caractéristique génétique donnée ». De plus, « La personne doit alors également être informée, (…) de l’éventualité d’une découverte incidente de caractéristiques génétiques pouvant être responsables d’une affection justifiant des mesures de prévention ou de soins pour elle-même ou au bénéfice de membres de sa famille potentiellement concernés et de ses conséquences, ainsi que de la possibilité de s’opposer à ce qu’une telle découverte lui soit révélée ».

De même, il est confirmé « qu’il appartiendra aux autorités administratives compétentes de s’assurer, sous le contrôle du juge, que les conditions dans lesquelles cette information est délivrée au sportif sont de nature à garantir que, en décidant de prendre part à la compétition, il consent également à ce que les échantillons prélevés puissent faire l’objet d’analyses génétiques ».

Bien que dans le code Pénal il est précisé les peines encourues en cas de non-respect des différentes procédures mises en place, est-il réellement possible de contrôler le devenir de ce matériel génétique ? De même les conditions du respect de la dignité humaine sont-elles clairement exposées ?

Est-il possible de concilier le respect des libertés individuelles et la sécurité d’une population ?

Le Chapitre III : Dispositions visant à mieux garantir la sécurité (Articles 9 à 19), vise à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin d’assurer la sécurité des Jeux Olympiques et Paralympiques, et plus largement, des grands évènements que la France accueille.

Mais, il apporte des modifications au cadre légal de la vidéoprotection, : « afin de le mettre pleinement en conformité avec le Règlement général de protection des données (RGPD) et la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dite directive Police – Justice, transposée au titre III de la loi du 6 janvier 1978 ». De même est mise en place une approche expérimentale du traitement des images issues de la vidéoprotection.

Selon les députés requérants, « ces dispositions méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée. Ils reprochent d’abord à ces dispositions d’abroger l’article L. 251-7 du code de la sécurité intérieure qui prévoyait la transmission d’un rapport à la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ils dénoncent également la suppression des infractions pénales prévues à l’article L. 254-1 du même code, qui réprimaient certains manquements relatifs à l’installation et au fonctionnement des dispositifs de vidéoprotection. Ils critiquent, par ailleurs, le renvoi par l’article L. 255-1 à un décret de la détermination des modalités d’information et d’exercice des droits des personnes susceptibles d’être filmées par un système de vidéoprotection, et soutiennent, pour le même motif, que cet article serait entaché d’incompétence négative ».

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel met en avant la responsabilité du législateur. De plus, il précise « qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international ». Il conclut que les paragraphes examinés : « ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution ».

En ce qui concerne le fait que « les images collectées au moyen d’un système de vidéoprotection ou de caméras installées sur des aéronefs peuvent faire l’objet de traitements algorithmiques afin de détecter et signaler certains événements », les députés requérants ont mis en avant des éléments : la durée de l’expérimentation (jusqu’au 31 mars 2025), la non-définition claire des procédures générales de la mise en application de cette expérimentation, mais aussi le non-respect de « la liberté d’aller et de venir, le droit de manifester, la liberté d’opinion ainsi que le droit au respect de la vie privée ». Ainsi que le non-respect du « principe d’égalité devant la loi, dès lors que les critères sur lesquels seront fondés les traitements algorithmiques n’excluraient pas toute discrimination, et qu’elles porteraient atteinte à la sûreté et à la dignité de la personne humaine en permettant le traitement des images par des algorithmes sans intervention d’un être humain ».

En outre, en ce qui concerne la gestion des images par les agents des services internes de sécurité de la société nationale SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens, les députés requérants font valoir que : « en élargissant le champ des images consultables par ces agents, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Ils considèrent également que, en déléguant à des salariés de droit privé des missions de surveillance de la voie publique, ces dispositions méconnaîtraient les exigences qui découlent de l’article 12 de la Déclaration de 1789 ».

Quant au « recours à des dispositifs d’imagerie utilisant des ondes millimétriques pour contrôler l’accès à certaines manifestations sportives, récréatives ou culturelles », les députés requérants reprochent à ces « dispositions de permettre à des agents privés de sécurité de procéder à de tels contrôles sans exiger qu’ils soient agréés par le préfet et le procureur de la République ni qu’ils soient placés sous le contrôle d’un officier de police judiciaire. Ils font également valoir qu’elles autoriseraient le recours aux scanners corporels dans de très nombreux lieux, sans qu’un risque exceptionnel d’acte de terrorisme ne soit avéré, alors que des mesures de palpation de sécurité peuvent déjà être employées. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance du droit au respect de la vie privée ».

À toutes ces remarques, la réponse du Conseil est qu’il « incombe au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789 ».

Dans ce contexte général, peut-on réellement concilier le respect des droits individuels au pays des droits de l’Homme ?

Les libertés individuelles semblent rétrécir, comme peau de chagrin

Le think tank américain Cato Institute a proposé un classement des pays en fonction de la notion de liberté dans son rapport : Indice 2022 de la liberté humaine. Dans un article publié par l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (l’IREF), Elodie Messéant analyse les différents facteurs pris en compte, ainsi que le classement de la France. « Les libertés individuelles, les libertés civiles et les libertés économiques, et se fonde sur 83 indicateurs parmi lesquels on trouve, notamment, l’Etat de droit (un ordre juridique qui l’emporte sur l’arbitraire du politique), la sécurité (homicides, conflits violents, terrorisme, etc.), la liberté d’expression, le poids du gouvernement (dépenses des administrations publiques, taux marginal d’imposition sur le revenu le plus élevé, etc.), les droits de propriété ou encore la réglementation (marché du crédit, marché du travail et entreprises) ».

Ainsi, pour 2022, la Suisse remporte la médaille d’or en se classant première, suivie de « la Nouvelle-Zélande, l’Estonie, le Danemark et l’Irlande ». Toutefois, Elodie Messéant précise que : « du fait de la pandémie du Covid, on observe une baisse globale des libertés dans le monde, indépendamment du niveau de richesses du pays et de la nature démocratique du gouvernement. Alors que la note moyenne de liberté humaine pour les 165 juridictions évaluées par le Cato Institute était de 7,03 en 2019 (sur une échelle de 0 à 10), elle est tombée à 6,81 en 2020 – la plus basse des deux dernières décennies ».

Pour autant, elle reconnaît que : « La France fait partie des pays les plus touchés par les restrictions sanitaires avec une note de 7.80 en 2020, contre 8.65 en 2007. Ayant vu son rang diminuer dans l’indice depuis les années 2000, elle se classe 42ème sur 165 – bien en-deçà d’autres pays comme le Royaume-Uni (20ème), l’Allemagne (18ème), les Pays-Bas (9ème), la Suède (6ème), ou la Suisse (1ère). En Europe de l’Ouest, la France est classée dernière – juste après l’Italie. Il existe donc bien une tendance à la baisse générale du niveau des libertés en France. Des données qui se recoupent aisément avec l’indice 2022 de liberté économique du think tank Heritage Foundation, qui classent notre pays seulement parmi les pays modérément libres ».

Dans un contexte mondial comportant un enjeu aussi important que la tenue de jeux Olympiques et paralympiques, il est effectivement important de prévenir la sécurité et de garantir la protection des personnes. De même le respect de l’éthique dans le sport à travers le contrôle du dopage, toujours plus présent dans le sport d’aujourd’hui est incontournable, pour garantir des résultats équitables. Mais, l’une des variables reste : « en l’état des connaissances et des techniques scientifiques », dont aucune loi ou aucun état de droit ne semble pouvoir prédire le devenir.

Thomas Hobbes, dans le Leviathan, avançait que « L’homme est un loup pour l’homme » : un clin d’œil à l’Homo homini lupus est, de Plaute, Titus Maccius Plautus, (254 – 184 av. J.-C.). Dans l’état de « nature » que décrit Thomas Hobbs, il ne semble y avoir aucune règle, en dehors des droits dits naturels comme se nourrir, se défendre…, et une certaine liberté dite naturelle.

Dans cet état de nature décrit par Thomas Hobbs, l’homme, continuellement en danger et dangereux pour l’autre, a besoin d’une force extérieure pour le protéger : l’état de droit préconisé par Hobbs. Cet état de droit devait permettre de dépasser l’état de nature par le respect des lois et de quelque chose de supérieur à l’homme : l’État de droit qui a vocation de garantir la protection de tous et le respect des droits individuels pour chacun.

Mais une chose poussée à son extrême ne peut-elle pas devenir son contraire ? Les philosophies de l’antiquité chinoise et gréco-latine ont certainement des leçons qui pourraient éclairer le monde et la France d’aujourd’hui.

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