Le renversement du gouvernement Barnier en plein débat sur le budget a plongé la France dans une situation inédite. Emmanuel Macron avait annoncé le dépôt d’un projet de loi spéciale pour assurer la continuité de l’État et le fonctionnement régulier des services publics au 1er janvier 2025. Ce projet de loi a été adopté par le Parlement ce mercredi 18 décembre. Mais le chemin est encore long avant un retour à la normale en matière budgétaire.
Pour pouvoir fonctionner au 1er janvier, le Parlement doit habituellement adopter un projet de loi de finances et de financement de la Sécurité Sociale. Ces textes prévoient et autorisent, entre autres, les recettes et les dépenses publiques pour une année.
Quelles solutions pour adopter un budget en cas de blocage ?
La Constitution de 1958 et L’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances de 2001 (LOLF : texte organisant les finances publiques du pays) ont prévu trois procédures en cas de difficultés pour adopter le budget, mais la situation actuelle ne correspond à aucune des trois.
Emmanuel Macron s’était inspiré de ces textes pour annoncer le vote d’un projet de loi spéciale par le Parlement pour reconduire le budget de 2024. Ce faisant, il s’appuyait sur un précédent datant de 1979. À l’époque, un projet de loi spéciale avait permis d’assurer la continuité de l’État jusqu’à l’adoption du projet de loi de finances le 18 janvier 1980.
Le contenu du projet de loi de finances spéciale
L’article 47 de la Constitution prévoit que la loi spéciale autorise la perception des impôts et permet au gouvernement d’ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés. Cette notion correspond au minimum de dépenses que le gouvernement juge nécessaire pour faire fonctionner les services publics dans la limite du plafond des crédits de l’année précédente.
Sans autre disposition, un tel texte ne permet aucune mesure fiscale nouvelle, pas même l’indexation des tranches de l’impôt sur le revenu sur l’inflation.
Concrètement, cela signifie une augmentation mécanique de l’impôt. Cela rend même des foyers redevables de l’impôt sur le revenu alors qu’ils ne l’étaient pas. Toujours sans autre disposition, une telle loi minimale ne permet pas à l’État d’emprunter. Or, avec un déficit chronique et une dette colossale, l’emprunt est la condition de bon nombre de dépenses publiques.
Le gouvernement Barnier avait saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis sur la manière d’interpréter l’article 45 de la loi organique. Dans son avis rendu le 9 décembre 2024, le Conseil d’État avait donné des indications sur le contenu possible du projet de loi spéciale.
Présenté en Conseil des ministres le 11 décembre 2024, le projet de loi spéciale avait été transmis le même jour à l’Assemblée nationale. Il prévoit la perception des impôts, l’empruntet la garantie aux organismes de sécurité sociale de disposer de leurs ressources non permanentes.
Suivant la mise en garde du Conseil d’État qui avait considéré que la notion d’« impôts existants » empêchait de prévoir toute mesure fiscale nouvelle, le gouvernement n’a pas prévu de disposition pour indexer l’impôt sur le revenu sur l’inflation. En revanche, le principe de continuité de la « vie nationale » a paru justifier au Conseil d’État que le projet de loi spéciale autorise un recours à l’emprunt.
Enfin, le projet de loi spéciale permettra aux organismes de sécurité sociale de recourir à des ressources non permanentes (avances de trésorerie et emprunts). Cette disposition comble le vide laissé par le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale lors du renversement du gouvernement.
L’adoption de ce projet de loi de finances spéciale garantit donc le fonctionnement minimal de l’État en attendant le vote par le Parlement des projets de lois annuels de finances et de financement de la sécurité sociale. Mais il existe encore des obstacles politiques et juridiques.
Les enjeux politiques et juridiques du projet de loi de finances spéciale
Le Gouvernement de Michel Barnier a été renversé lorsqu’il essayait de faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, c’est-à-dire avant même le vote du projet de loi de finances. Face au blocage de l’assemblée, il aurait pu laisser s’écouler le délai de 70 jours de discussion prévu par la Constitution avant de mettre en œuvre le projet de loi de finances par ordonnances.
En déposant un projet de loi de finances spéciale comportant trois articles au lieu de l’article unique prévu par la Constitution et sans mesure fiscale nouvelle, le Gouvernement a certes choisi une voie démocratique, mais il prenait aussi quelques risques.
En effet, si les principaux groupes qui ont conduit au succès de la motion de censure contre le Gouvernement s’étaient déclarés prêts à voter le projet de loi spéciale, plusieurs députés avaient annoncé qu’ils déposeraient des amendements. Si le débat s’était enlisé dans un dialogue de sourds, le texte n’aurait pas pu être adopté avant le 31 décembre, entravant la continuité de l’État au 1er janvier.
Mais, la loi a été adoptée et sera promulguée avant la fin de l’année. Il reste alors au Parlement à voter un nouveau projet de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025. À en croire les débats houleux de l’automne 2024, la discussion qui s’annonce sera certainement longue et difficile. En cas de blocage, Emmanuel Macron pourrait à nouveau dissoudre l’assemblée en juillet 2025. En attendant, la loi spéciale est adoptée, le pays fonctionnera dans les limites de ce que prévoit le budget 2024.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Guigue Alexandre : Professeur de droit public, Université Savoie Mont Blanc
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
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