Une stratégie qui vise la mainmise et l’accroissement du pouvoir du PCC
Une visite de dirigeants du PCC et le projet de méga-barrage du Yarlung Tsangpo ont remis sur le devant de la scène les priorités du régime communiste pour la région tibétaine, mais aussi la mise en place d’un contrôle accru du Tibet.
Fin août, le dirigeant chinois Xi Jinping et d’autres hauts responsables du Parti communiste ont effectué une visite rare au Tibet. Il est devenu ainsi le premier chef du Parti communiste chinois (PCC) à se rendre dans cette région « théoriquement autonome » depuis 1965.
Cette visite, associée au lancement des travaux d’un méga-barrage de 165 milliards de dollars sur le fleuve Yarlung Tsangpo un mois plus tôt, souligne le rôle important du Tibet dans l’agenda politique et stratégique à long terme de Pékin.

Le Tibet a été annexé par la Chine communiste en 1950 et érigé en région autonome en 1965. Les récentes initiatives de la direction de Xi Jinping au Tibet témoignent de l’intérêt renouvelé du PCC pour le développement des ressources naturelles de la région, l’intégration du peuple tibétain dans le discours plus large du Parti sur l’identité nationale chinoise et le renforcement de l’influence du PCC sur l’Asie du Sud et du Sud-Est grâce au contrôle des vastes réserves d’eau douce de la chaîne himalayenne.
« Gouverner, stabiliser et développer le Tibet »
Lors de son discours prononcé le mercredi 20 août à Lhassa pour marquer le 60e anniversaire de l’accession du Tibet à l’autonomie, Xi Jinping a défini les « quatre tâches majeures » de la région : stabilité, développement, protection écologique et renforcement de la défense des frontières. Il a salué les « changements radicaux » survenus au Tibet depuis 1965, les attribuant à la direction du Parti et au soutien national. « Gouverner, stabiliser et développer le Tibet exige le maintien de la sécurité politique, de la stabilité sociale, de l’unité ethnique et de l’harmonie religieuse », a déclaré Xi Jinping.

Il a également souligné la nécessité de « renforcer le sentiment d’appartenance (du peuple tibétain) à la nation chinoise », de promouvoir la langue nationale, d’accompagner le « bouddhisme tibétain dans son adaptation au socialisme » et de « construire une zone modèle nationale pour l’unité ethnique et le progrès ». Ce discours reflète les efforts continus de Pékin pour intégrer plus profondément les Tibétains au système politique et culturel chinois.
S’agissant du développement, Xi Jinping a appelé à investir dans les industries spécifiques au plateau tibétain, à développer les énergies propres et le tourisme, et à faire avancer les grands projets d’infrastructures tels que la ligne ferroviaire Sichuan-Tibet et le gigantesque barrage de Yarlung Tsangpo.
Lors d’un rassemblement de masse le lendemain, le président de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), Wang Huning, a réaffirmé ce message, saluant les « réalisations historiques » du Tibet sous la direction de Xi Jinping et appelant à « l’adhésion à la pensée de Xi Jinping ». Le Tibet, a déclaré Wang, doit se concentrer sur « les quatre tâches majeures » pour construire un « nouveau Tibet socialiste et modernisé ».
Assimilation et stabilité : un contrôle accru du Tibet
SinoInsider, cabinet de conseil en risques spécialisé dans la politique de l’élite chinoise, affirme que l’attention rare accordée au Tibet par la direction centrale du Parti communiste témoigne de la priorité accordée par le régime à la région dans ses « objectifs économiques, géopolitiques et de stabilité à long terme ».
En dirigeant personnellement la délégation, qui comprenait des personnalités de premier plan telles que Wang Huning, Cai Qi, Li Ganjie, He Lifeng et le ministre de la Sécurité publique Wang Xiaohong , Xi Jinping a démontré l’approche globale du Parti envers le Tibet. Cette approche globale couvre : la politique ethnique, le contrôle idéologique, la planification économique, la sécurité et la préparation militaire, a écrit SinoInsider dans un article du bulletin d’information du 25 août.
« Autrefois zone tampon périphérique, le Tibet est désormais un “ atout majeur ” » pour le PCC, peut-on lire dans ce bulletin.
Les politiques démographiques et l’assimilation culturelle sont au cœur de la politique tibétaine de Pékin. Les autorités ont encouragé la migration et l’installation des Han, porté le taux d’urbanisation à 57 % et visent à déplacer 15 millions de personnes supplémentaires vers le plateau Qinghai-Tibet.
Parallèlement, le Parti étend son contrôle sur la langue, l’éducation et la religion afin de stimuler ce que Xi appelle les « cinq identités » : l’identification à la mère patrie, à la nation chinoise, à la culture chinoise, au PCC et au socialisme.
Ces dernières années, les autorités chinoises ont changé le nom anglais officiel du Tibet en « Xizang », le nom chinois de la région. Les critiques ont dénoncé ce changement, le considérant comme une nouvelle tentative du PCC d’effacer l’identité ethnique des Tibétains.
La technologie de surveillance accompagne également les efforts du PCC pour « maintenir la stabilité ». Le recours autrefois important à la répression militaire a cédé la place à un réseau de contrôle de « zone grise » qui allie surveillance de haute technologie et incitations économiques pour prévenir les troubles. La présence du ministre de la Sécurité publique, Wang Xiaohong, à Lhassa illustre cette priorité.
Hydroélectricité du Yarlung Tsangpo : un mégaprojet dans le canyon le plus profond du monde
Selon les données officielles chinoises, le PIB du Tibet a atteint 276,5 milliards de yuans (32,6 milliards d’euros) en 2024, avec un taux de croissance annuel moyen de 8,9 % : le PCC investissant massivement dans les infrastructures et l’extraction des ressources de la région.

La centrale de Medog, actuellement en construction le long du Yarlung Tsangpo, sera la plus grande centrale hydroélectrique du monde une fois achevée. D’un coût estimé à 1 200 milliards de yuans (soit près de 143 milliards d’euros), le projet prévoit la construction de cinq barrages hydroélectriques en cascade capables de produire 300 milliards de kilowattheures par an, soit trois fois la production du barrage des Trois-Gorges dans la province du Sichuan, qui était également la plus grande centrale hydroélectrique lors de son achèvement en 2012.
La majeure partie de l’électricité du Yarlung Tsangpo sera acheminée vers d’autres provinces, mais le projet favorisera également l’industrialisation locale au Tibet.
Les médias d’État chinois présentent le barrage comme une pierre angulaire des objectifs de « double carbone » de la Chine : atteindre un pic d’émissions d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2060. Le projet devrait également stimuler l’économie de manière massive, soutenir les investissements dans les infrastructures, créer jusqu’à 200 000 emplois et générer environ 20 milliards de yuans de recettes fiscales annuelles pour le Tibet.
Les marchés ont réagi rapidement, les actions des secteurs du ciment, de l’acier et des engins de chantier ayant bondi après l’annonce du début des travaux le 19 juillet.
Selon SinoInsider, le projet « apparaît comme l’une des solutions du PCC pour atténuer l’impact économique des trois années de pandémie de Covid-19 », tout en contribuant à compenser les pressions liées à la crise immobilière et aux tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine.
Influence géopolitique via l’approvisionnement en eau

Le fleuve Yarlung Tsangpo serpente à travers la chaîne de l’Himalaya et l’État indien de l’Arunachal Pradesh, pour se jeter dans l’océan Indien. Le Tibet abrite le canyon le plus profond du monde, dont la profondeur moyenne est deux à trois fois supérieure à celle du Grand Canyon, profond de 1,6 km, en Arizona.
L’importance du Tibet dépasse les frontières chinoises. Avec son plateau dominant l’Inde et contrôlant les sources des principaux fleuves, Pékin considère de plus en plus le Tibet comme une porte d’entrée stratégique vers l’Asie du Sud. La ligne ferroviaire Sichuan-Tibet constitue à la fois une initiative de développement et un corridor logistique militaire. Le barrage de Yarlung Tsangpo, quant à lui, renforce les relations sino-indiennes.
L’Inde et le Bangladesh ont déjà exprimé leurs inquiétudes quant à la sécurité hydrique et aux risques écologiques pour les communautés en aval. Les analystes soulignent que le barrage pourrait devenir un point de friction géopolitique, donnant à Pékin un pouvoir d’influence sur les débits fluviaux essentiels à l’agriculture et aux centres de population de l’Inde.
SinoInsider observe que la Chine « pourrait exploiter son approvisionnement en électricité pour faire pression sur les pays d’Asie du Sud, afin qu’ils fassent des concessions sur leurs intérêts nationaux. Alors que les économies dépendent de plus en plus de l’électricité chinoise bon marché, Pékin pourrait perturber l’approvisionnement énergétique pendant les périodes critiques et créer une certaine déstabilisation. »
La Chine a déjà été accusée d’utiliser des barrages sur le Mékong pour faire pression sur les États d’Asie du Sud-Est. L’extension de ce modèle à l’Asie du Sud pourrait compliquer les relations déjà tendues de l’Inde avec Pékin, notamment dans un contexte de tensions frontalières persistantes.
Des ouvertures diplomatiques ?
Pékin espère également approfondir ses liens économiques dans la région. Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi s’est rendu à New Delhi quelques jours avant le voyage de Xi Jinping au Tibet, et les deux parties ont convenu de reprendre les vols directs et de stimuler les échanges commerciaux. Alors que l’Inde est en désaccord avec Washington sur les droits de douane et ses liens avec la Russie, Pékin semble y voir une opportunité de rapprocher New Delhi. Cependant, une profonde méfiance persiste, et l’Inde se méfie de la menace latente que représentent les projets chinois en amont, ainsi que du renforcement militaire du PCC le long de la frontière sino-indienne contestée.

Malgré son ampleur, le barrage de Yarlung Tsangpo fait face à de sérieux défis. Le site du projet se situe dans un canyon sismiquement actif, ce qui soulève des préoccupations en matière d’ingénierie et de sécurité. Les retards de construction, les dépassements de coûts et la corruption pourraient compromettre son potentiel.
« Les ambitions stratégiques du PCC sont entravées par les graves déficiences de son système autoritaire. Une corruption omniprésente et persistante pourrait empêcher le projet hydroélectrique de Yarlung Tsangpo de produire les résultats escomptés une fois achevé, voire de rester inachevé dans le pire des cas », a écrit SinoInsider dans sa newsletter.

Même s’il était achevé dans les délais prévus dans les années 2030, le barrage ne résoudra pas les contradictions de la politique chinoise au Tibet. Les efforts d’assimilation pourraient alimenter le ressentiment, la surveillance ne saurait totalement éliminer la dissidence, et une croissance tirée par les infrastructures risque de dégrader l’environnement. De plus, l’utilisation de l’eau et de l’énergie comme armes pourrait isoler davantage la Chine sur le plan diplomatique.
Rédacteur Charlotte Clémence
Source : China’s Moves for Greater Control Over Tibet Aim at Stability and Power Projection
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