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Histoire. Écrivain et historien épris de la Chine, Simon Leys dévoila à l’Occident la vérité sur Mao et le maoïsme

FRANCE > Histoire

Simon Leys vécut à Hong Kong et en Chine, dans les années 60 et 70. Il parlait couramment chinois. Par son travail, il eut connaissance de nombreux documents internes et des journaux du Parti communiste chinois (PCC). Il aimait aller à la rencontre des chinois et parler avec eux. Ce témoin privilégié et cultivé entreprit courageusement de dire la vérité sur Mao, le maoïsme et la vie des chinois sous ce régime. Il déchira, avec ténacité, dans l’isolement et sous les sarcasmes, le voile de l’illusion maoïste qui flottait sur l’intelligentsia de l’après-Mai 68.

Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans, est né à Bruxelles en 1935. Enfant, la lecture abondante de livres et de bandes dessinées développa son goût de l’aventure et son goût de l’art. Son père le fit entrer à la faculté de droit. Simon insista pour suivre aussi des cours de l’histoire de l’art.

Une profonde estime pour la Chine, sa culture et son peuple

À 19 ans, Simon fut choisi pour faire partie d’une délégation d’étudiants belges invités en Chine populaire. Ce voyage allait déterminer toute sa vie. Durant trois semaines, les étudiants sillonnèrent la Chine, encadrés par des membres du Parti communiste chinois.

Simon Leys raconte dans le documentaire L’homme qui a déshabillé Mao de Fabrice Gardel et Mathieu Weschler : « Je m’en souviens comme on se souvient d’un film (..) J’avais le sentiment qu’il y avait là un tel foisonnement humain, une telle richesse de choses à découvrir, à connaître, à comprendre. Mais tant que je ne connaîtrai pas la langue, je ne passerai pas de l’autre côté, je n’entrerai pas à l’intérieur. J’avais un tel sentiment de frustration à ne pas pouvoir communiquer directement avec les gens. »

Simon Leys revint à Bruxelles, fasciné par la Chine et son peuple. Frustré de ne pas parler le chinois, il commença à étudier la langue et la civilisation chinoise. Puis il décida d’arrêter ses études de droit, voyagea quelque temps en Afrique et en Asie et continua ses études d’histoire de l’art et de chinois à Taïwan.

Écrivain et historien épris de la Chine, Simon Leys dévoila à l’Occident la vérité sur Mao et le maoïsme
La thèse de doctorat de Simon Leys sur un peintre du XVIIe siècle, Shi Tao, était remarquable et s'imposa comme une référence. (Image : wikimedia / See page for author / Domaine public)

En 1963, Simon Leys s’installa à Hong Kong dans un quartier populaire. À cette époque-là, son intérêt pour la Chine était exclusivement culturel. Simon Leys était un spécialiste de la peinture chinoise et aimait peindre. Il avait une profonde estime pour la Chine, sa culture et son peuple. Il rédigea sa thèse de doctorat sur un peintre du XVIIe siècle, Shi Tao. Son travail était remarquable et s’imposa comme une référence. Il étudia aussi la calligraphie et finit par la maîtriser de manière exceptionnelle, selon l’avis de maîtres chinois. En 1964, il épousa une jeune journaliste chinoise et ils eurent 4 enfants.

Ancienne colonie anglaise ayant gardé encore, à cette époque, son système politique démocratique et multipartiste, Hong Kong était un poste d’observation proche et privilégié sur la réalité chinoise et le régime communiste. De nombreux dissidents chinois tentaient de s’y réfugier. Leys obtint un poste au consulat de Belgique, à Hong Kong. Il rédigeait des synthèses des médias chinois et des publications du PCC.

La stratégie des campagnes successives de Mao pour maintenir son pouvoir contesté par le PCC

La Chine que découvrait Leys était un pays complexe, ravagé par la violence depuis des décennies. Dès 1927, une guerre civile opposa les nationalistes de Tchang Kaï-chek aux communistes de Mao. De 1937 à 1945, nationalistes et communistes firent une trêve pour établir un front uni et combattre la terrible invasion japonaise. Après la défaite japonaise, Mao, usant de coups tordus, sortit victorieux de la guerre civile contre Tchang Kai-chek. Il fonda la République populaire de Chine en 1949.

Au fil de ses lectures, Simon Leys comprenait qu’une lutte de pouvoir se jouait entre Mao et le Parti communiste chinois, et que le peuple en était la victime. Leys découvrait également l’horreur de la politique maoïste : « (…) j’avais la réalité, la réalité féroce, la réalité atroce de la terreur maoïste devant mes yeux : les cadavres dérivaient au fil de l’eau, et venaient atterrir sur les grèves de Hong Kong (…) ; un homme s’est fait assassiner sur le pas de ma porte, parce qu’il s’était moqué un peu de Mao Zedong à la radio, etc. » « Après ce que j’ai vu, je ne peux pas rester en-dehors du monde. Je dois prendre position. Sinon, je ne pourrai plus me regarder dans la glace. »

Leys prit des notes et entreprit de rédiger du texte où il compilait les informations recueillies sur les dérives du régime chinois.

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A la Conférence suprême de l’État, le 2 mai 1956, Mao annonça traîtreusement : « La politique consistant à laisser éclore cent fleurs et cent écoles de pensée s’affronter vise à promouvoir l’épanouissement des arts et le progrès de la science ». (Image : wikimedia / See page for author / Domaine public)

Son premier choc fut de découvrir les archives de la campagne des Cent fleurs. René Viénet, ami et éditeur de Simon Leys explique : « Il a lancé la campagne des Cent fleurs en invitant les intellectuels à s’exprimer, à critiquer le parti communiste chinois, et à dire ce qu’ils avaient sur le cœur. » Confiants, les intellectuels écrivirent alors des articles très critiques. « Bien évidemment, c’était un piège, et ceux qui se sont exprimés ont été arrêtés, envoyés dans des camps et beaucoup ont disparu. »

Le désastre économique du « grand bond en avant » et les dizaines de millions de morts


Le perfide Mao écrasa la contestation qu’il avait lui-même encouragée, mais il sortit très affaibli de cet épisode. Alors pour éviter d’être écarté du PCC, il lança une nouvelle campagne, le « grand bond en avant ». Mao prétendait rattraper en quinze ans le niveau industriel de la Grande-Bretagne, en s’appuyant sur le labeur des masses paysannes.

Ce « grand bond en avant » provoqua une catastrophe économique. Mao obligea les paysans à construire des hauts-fourneaux artisanaux pour faire fondre tous les métaux qu’ils pouvaient récupérer et fournir de l’acier à l’industrie. L’acier produit fut inutilisable car de trop mauvaise qualité. En même temps, la production agricole s’effondra car les paysans n’avaient plus le temps de cultiver leurs champs.

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Mao obligea les paysans à construire des hauts-fourneaux artisanaux pour fournir de l’acier à l’industrie. (Image : wikimedia / See page for author / Domaine public)

Pour justifier les mauvaises récoltes, Mao accusa les moineaux de manger les graines. Alors les paysans et les soldats en tuèrent des millions pour satisfaire à la folie de Mao. En conséquence les criquets ravagèrent les champs.

Alors que la propagande mettait en scène l’abondance, la réalité des campagnes chinoises, c’était des villages entiers ravagés par la famine. « Des chercheurs sérieux ont avancé les chiffres de 40 millions de morts à la suite des famines du " grand bond en avant " (..) il y avait des cas de cannibalisme assez répandus en Chine », indique Simon Leys.

Mai 68 et la révolution culturelle en Chine

Mai 68 en France, une nouvelle espérance révolutionnaire agita une partie de la jeunesse qui voulait en finir avec des valeurs qu’elle considérait contraignantes, liberticides, égoïstes ou avilissantes : la patrie, la famille, l’université, le travail à la chaîne, la société de consommation, etc. Elle rejetait une Amérique jugée arrogante, qui bombardait le peuple vietnamien. Comme elle rejetait l’URSS, qui écrasait les mouvements démocratiques en Hongrie et en Tchécoslovaquie.

Le mouvement maoïste en France se développa dans ce contexte. Ces maoïstes ne juraient que par Le Petit livre rouge de Mao Zedong. Ils considéraient que Staline avait dévoyé la révolution et que Mao allait lui rendre sa pureté originelle.

Ce nouveau rêve rouge était incarné par quelques figures intellectuelles, comme les écrivains Philippe Sollers ou Roland Barthes; André Glucksmann et Jean-Paul Sartre soutenaient aussi le mouvement maoïste. Ces étudiants et intellectuels maoïstes n’avaient aucune idée de ce qui se passait réellement derrière les images et les textes de propagande exhibés en Occident.

En Chine, l’image de Mao était sacrée. Les mensonges et la peur nourrissaient ce culte de la personnalité. Face au désastre économique qui ravageait le pays, et face à la terreur qui régnait, le PCC fit tout pour écarter Mao. Mais Mao était un stratège sans scrupules, et pour se maintenir au pouvoir, il avait toujours un coup d’avance. À nouveau, il prit ses rivaux de vitesse en lançant une nouvelle campagne : la révolution culturelle. Il mobilisa la jeunesse dans des milices sous sa coupe : les gardes rouges. Ils lui obéissaient aveuglément, propageant sa parole dans tout le pays. Ils s’attaquaient à tous ceux qui contestaient l’autorité de Mao.

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Les gardes rouges s’attaquaient à tous ceux qui contestaient l’autorité de Mao.(Image : wikimedia / Cheng Kuande / Domaine public) 

Cette allégeance totale passait par le lavage de cerveau dès l’enfance. La jeunesse était bercée et endoctrinée par Le Petit livre rouge, qui était appris par cœur. Il contenait des extraits de discours de Mao, des maximes, des poésies et d’impitoyables sentences, comme celle-ci : « Il vaut mieux exécuter un innocent que prendre le risque de laisser un coupable en liberté. »

Après la culture, on élimina les gens. Les gardes rouges accusaient les enseignants d’être des contre-révolutionnaires. Des séances d’autocritique publiques furent organisées. Plusieurs millions de cadres furent envoyés dans des camps de rééducation par le travail. « Çà c’est la partie la plus douce, ce qui va suivre c’est la mise à mort, c’est les tortures à coup de bâton, de planche cloutée. » affirme René Viénet.

Le refus de voir et d’accepter la vérité

Le livre de Simon Leys Les habits neufs du président Mao sortit en France en 1971. C’était une synthèse de la documentation et des témoignages accumulés à Hong Kong. Mais la plupart des journalistes passèrent sous silence le livre de Leys. Et ceux qui en parlèrent, le traitèrent avec sarcasme. Dans Le Monde, un journaliste écrivit : « Ce témoignage est partiel et partial. Leys n’a manifestement pas l’expérience de ce dont il parle. » Jean Daubier dans Le Nouvel Observateur, parle de charlatanisme et de totale ignorance du maoïsme. La revue de Philippe Sollers, Tel quel, évoque une anthologie de ragots.

« Il faut voir dans quelles proportions Simon Leys a été traîné dans la boue (..) alors qu’il était tout simplement le premier homme parlant chinois et lisant le chinois, ayant fréquenté la Chine, qui osait raconter ce qui se passait là-bas. » s’étonne Amélie Nothomb, romancière.

Simon Leys fut surpris du mépris dont il fut l’objet de la part également des autres sinologues. Aucun d’eux n’écrivit la moindre ligne sur son livre. Ce fut choquant pour Leys, car il suffisait aux sinologues de regarder la presse officielle pour se rendre compte de l’atrocité du régime. Par contre, dans cette même période, un autre livre sur la Chine fut encensé à Paris, Rome ou Bruxelles, écrit par Maria-Antonietta Macciocchi, une admiratrice de Mao : De la Chine.

Dès la parution de son livre, Simon Leys fut averti qu’il ne pourrait jamais enseigner en France. Leys semblait bien seul, pourtant quelques rares intellectuels prirent sa défense, comme Claude Roy ou Jean-François Revel. Mais, comme ils tournaient le dos à la nouvelle espérance maoïste, ils ne furent pas relayés dans les médias. Cependant, Simon Leys ne baissa pas les bras et en 1972 il réussit à obtenir un visa pour la Chine et devint attaché culturel à l’ambassade de Belgique à Pékin.

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Simon Leys fut un spécialiste de la peinture chinoise et il aimait peindre. (Image : Capture d’écran / YouTube)

Quand il pouvait échapper à la surveillance du régime communiste, il quittait quelques temps son travail pour sillonner le pays en train ou en bus. Mais les habitants avaient peur désormais de parler à un étranger. Les bibliothèques des universités avaient été vidées. En 1974, il sort un nouveau livre : Ombres chinoises et l’accueil est à nouveau glacial.

Simon Leys dénonçait cet aveuglement qui venait de la gauche, mais aussi sur un autre registre, de la droite. André Malraux, alors ministre de De Gaulle, parlera à propos de Mao d’un géant du siècle, et le président Giscard d’Estaing, d’un phare de la pensée. Alain Peyrefitte, ancien ministre de l’information de De Gaulle écrit Quand la Chine s’éveillera. Peyrefitte était bien conscient de la brutalité du régime mais il ne la condamnait pas et pensait que le peuple chinois n’était pas apte à la démocratie.

Simon Leys s’indignait de telles pensées, car elles niaient le besoin de liberté du peuple chinois et le considéraient comme de la main-d’œuvre taillable et corvéable à merci.

Des évènements mirent en lumière les vérités de Simon Leys et les atrocités du maoïsme

Mao meurt en 1976, et avec sa disparition, en quelques années, le maoïsme s’éteint aussi. Le gauchisme radical n’est plus de mode. La barbarie de Pol Pot et des khmers rouges et le génocide au Cambodge mettent en lumière la violence extrême du maoïsme. Les « french docteurs » se mobilisent pour porter secours aux victimes du communisme.

Les nouveaux philosophes mettent en avant les droits de l’homme. Symbole de ce changement, André Glucksmann, qui avait soutenu les maoïstes, organise une rencontre entre Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, politiquement opposés, pour soutenir les boat-people. Revers de la médaille, l’intelligentsia occidentale se désintéresse de la Chine aussi rapidement qu’elle s’était enflammée pour Mao.

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À Tiananmen, se révélèrent, aux yeux de l’humanité entière, la soif de démocratie du peuple chinois et la férocité du régime communiste. (Image : wikimedia / ryanne lai / CC BY 2.0)

Après avoir été marginalisé des années, Simon Leys apparut enfin à la télévision française en 1983, dans l’émission de Bernard Pivot : Apostrophes. Il fut invité en même temps que Maria-Antonietta Macciocchi, auteur de livres en faveur de Mao et du maoïsme.

Simon Leys avait une vaste connaissance et une expérience vécue de la Chine, du peuple chinois et du maoïsme. Il fut très direct dans ses propos convaincants et documentés. Face à cet écrivain, tellement à l’opposé de son propre parcours, Maria-Antonietta Macciocchi n’eut pas d’arguments pour répondre.

Après des années de railleries et d’isolement, cet homme discret arrivait au bout du tunnel et son œuvre allait enfin être reconnue. Ses analyses sur le totalitarisme chinois allaient être confirmées par d’autres événements violents : en 1989, le sang coula encore lors du massacre des étudiants sur la place Tiananmen. Leys dit à propos de ce massacre : « Malheureusement, rien de nouveau dans cette répression sanglante, sauf que là, il y avait des caméras pour que le monde voie. » 

A Tiananmen, se révélèrent, aux yeux de l’humanité entière, la soif de démocratie du peuple chinois et la férocité du régime communiste. Plus personne, ou presque, ne remit en cause la lucidité de Simon Leys. Philippe Sollers finit par reconnaître qu’il avait raison, et que ses livres et articles étaient une montagne de vérités précises. André Glucksmann exprima publiquement sa honte et son regret de s’être trompé sur une des pires révolutions, sinon la pire, reconnaissant que le maoïsme en Chine avait fait entre 50 et 100 millions de morts.

Écrivain et historien épris de la Chine, Simon Leys dévoila à l’Occident la vérité sur Mao et le maoïsme
Simon Leys n’a pas nourri d’amertume envers les autres et a, toute sa vie, été animé et soutenu par une foi chrétienne forte. (Image : Capture d’écran / YouTube)

Simon Leys est décédé en 2014 à Sydney (Australie) où, de 1987 à 1993, il avait dirigé à l’université la section des études chinoises. Malgré l’isolement intellectuel qu’il a pu vivre en Occident dans les années 70 jusqu’au début des années 80, Simon Leys n’a pas nourri d’amertume envers les autres. Il a su rebondir à chaque fois. Il avait de l’humour et une paisible joie de vivre. Simon Leys a, toute sa vie, été animé et soutenu par une foi chrétienne forte.

En 2024, la violente dictature communiste est encore bien là, en Chine. Différentes communautés religieuses, disciplines spirituelles et ethnies régionales subissent encore les persécutions morales, matérielles, psychologiques et physiques du PCC. Tibétains, Ouïghours, pratiquants de Falun Gong, Chrétiens, Mongols, etc. ont constamment une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Les violences subies sont, bien-sûr, toujours illégales et souvent extrêmes, jusqu’aux prélèvements forcés d’organes.

Simon Leys fut l’un des premiers à interpeller les occidentaux sur les atrocités du PCC et sur sa nature malveillante. Beaucoup d’autres ont pris le relais de Simon Leys depuis. Il y a maintenant une documentation abondante sur les violations des droits humains dans ce pays, pour qui veut bien s’informer. Mais le PCC a toujours voulu effacer les religions, la culture et l’histoire de la Chine, dans le but premier de pouvoir inculquer ses mensonges et sa doctrine aux jeunes générations. Ainsi, le combat pour la vérité et la bienveillance n’est pas fini.

Jusqu’à quand le PCC tiendra-t-il et pourrait-il rester impuni ?

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