Un laboratoire de recherche de l'Université Harvard fait l'objet d'une enquête fédérale officielle suite à une enquête du Boston Globe révélant que le China Art Media Lab – fondé par le professeur Wu Yuejin – aurait pu servir de circuit informel pour l'obtention de visas destinés à des enfants de l'élite politique et financière chinoise.
D'anciens employés décrivent ce réseau comme « un empire privé bâti sur le nom de Harvard », ce qui a incité le département d'État américain à enquêter sur la possibilité que le laboratoire ait exploité le prestige de l'université pour faciliter l'entrée aux États-Unis de familles chinoises influentes.
L’intégrité de l’Université Harvard en question
Ces révélations ont suscité l'attention du Département d'État américain et soulevé d'importantes questions concernant l'intégrité académique, le respect des règles en matière de visas et les ingérences étrangères au sein des universités les plus prestigieuses des États-Unis.
Le professeur Wu, spécialiste de l'art asiatique, a fondé le China Art Media Lab afin de reconstituer numériquement des grottes bouddhistes du nord-ouest de la Chine grâce à des technologies de réalité virtuelle et d'imagerie de pointe. En 2017, le projet a bénéficié d'un financement initial de 2 millions de dollars de la Fondation Wanda Group, obtenu directement par la présidente de Harvard de l'époque, Drew Faust.
Le laboratoire a rapidement étendu ses activités à Shanghai, Pékin, le Hunan et Cambridge. Il a organisé des conférences, des expositions et des projections, tout en parrainant des visas pour des dizaines d'universitaires et d'étudiants chinois souhaitant accéder au campus de Harvard.
Mais selon le Globe, les frais facturés pour ces programmes étaient nettement inférieurs aux tarifs habituels des échanges universitaires, ce qui soulève des questions quant à savoir si le laboratoire fonctionnait de facto comme un système d'accès payant réservé aux familles chinoises fortunées.
L'une des révélations les plus troublantes concerne l'épouse de Wu, Lu Jie, qui n'a aucun lien officiel avec Harvard. Bien que répertoriée comme simple bénévole, le Globe a découvert qu'elle jouait un rôle prépondérant dans la supervision des programmes liés aux visas.
Lu Jie aurait notamment :
- Sélectionné les candidats à l'obtention d'un visa,
- Mené des entretiens,
- Autorisé les candidats approuvés à contourner les procédures de vérification standard.
Ces responsabilités, qui nécessitent normalement du personnel qualifié et un contrôle de conformité, semblent enfreindre à la fois les normes de Harvard et les règles élémentaires de gestion du personnel.
Conflits d'intérêts à profusion
Le rapport a mis au jour des liens personnels et financiers croisés qui, selon les critiques, témoignent de l'existence d'un réseau d'influence plus large autour du laboratoire, notamment :
- La mère d'un cofondateur du laboratoire dirigeait une entreprise conjointement avec deux bénévoles travaillant en Chine continentale.
- La fille d'un important donateur s'est vu offrir un poste rémunéré au sein du laboratoire.
Ces pratiques brouillent la frontière entre programmes universitaires et intérêts privés, une vulnérabilité que les élites étrangères peuvent aisément exploiter.
Les enquêteurs du Département d'État examinent actuellement si le China Art Media Lab a enfreint la réglementation relative aux visas J-1. La loi américaine exige que les chercheurs parrainés maintiennent une présence substantielle et régulière sur le campus.
Or, l'enquête aurait révélé que :
- Certains « chercheurs » ont passé un temps minimal à Harvard ;
- D'autres résidaient principalement dans le Connecticut, et non dans le Massachusetts ;
- Au moins un participant à un programme « d'un an » n'a passé que quelques mois aux États-Unis.
Ces schémas suggèrent que le laboratoire aurait pu servir de passerelle pour faciliter l'entrée aux États-Unis de familles privilégiées, plutôt que de soutenir une véritable collaboration universitaire.
« Un empire privé bâti sur le nom de Harvard »
L'enquête a débuté après qu'un ancien employé, M. Liang, a déposé une plainte détaillée auprès du Bureau des programmes d'échanges avec le secteur privé du Département d'État. Liang a accusé le laboratoire d'exploiter à la fois le prestige international de Harvard et les zones d'ombre entre les institutions chinoises et américaines.
« Il fonctionne comme un système fantôme, utilisant la réputation de Harvard pour bâtir un empire privé », a déclaré Liang. Son témoignage a contribué à déclencher l'enquête fédérale actuellement en cours.
Par ailleurs, M. Kelvin, ancien fonctionnaire du Département d'État – qui a participé à l'élaboration de la réglementation sur les échanges internationaux – a examiné les allégations à la demande du Globe et a tiré une conclusion sans détour : « D'après cette description, cela semble très louche. L'ensemble du dispositif ressemble davantage à la mise en vente de la réputation de Harvard qu'à un véritable échange universitaire ».
Son évaluation souligne le sérieux avec lequel les régulateurs considèrent cette affaire, en particulier dans le contexte des tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine concernant l'infiltration universitaire.
Un schéma récurrent
L'enquête sur le China Art Media Lab de Harvard intervient à un moment critique pour la coopération universitaire transfrontalière. Les universités américaines sont de plus en plus souvent visées par des enquêtes fédérales concernant :
- La fraude aux visas
- Les programmes de recrutement de talents étrangers
- Des divulgations inappropriées
- Les canaux de financement secrets liés à des gouvernements étrangers
Le laboratoire de Harvard a connu une expansion particulièrement rapide au moment même où Washington renforçait son contrôle, rendant ses structures opaques, ses liens avec des donateurs et ses pratiques irrégulières en matière de visas extrêmement problématiques.
Alors que l’enquête fédérale se poursuit, cette affaire est devenue emblématique de failles plus profondes au sein des institutions américaines d’élite : la facilité avec laquelle des réseaux privés peuvent exploiter leur notoriété, contourner leur contrôle et ouvrir des voies privilégiées aux familles fortunées et politiquement influentes dans leur pays d’origine.
Rédacteur Yasmine Dif
Source : Harvard Lab Under Federal Probe for Alleged Visa Pipeline Serving Chinese Elite
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