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France. Quand le positionnement de l’Académie française devient le miroir de l’actualité politique

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Située dans le VIe arrondissement de Paris, quai Conti, l’Académie française semble être d’un autre temps, vue de loin. Mais en y regardant de plus près, il est possible d’y mirer les tendances politiques de l’époque. Ces derniers temps, les positions de cette institution française, parfois surnommée la Coupole, ont fait couler pas mal d’encre. Qu’il s’agisse de la nomination d’un nouvel Immortel ou de ses propos russophiles, l’Académie semble vouloir être un lieu au cœur des débats politiques internationaux.

Nomination d’un écrivain non-francophone aux positions proches de l’extrême droite

Jeudi 9 février, c’est un auteur péruvien, naturalisé espagnol qui est devenu un des 40 « Immortels » de l’Académie française. L’intronisation de Mario Vargas Llosa, 86 ans, prix Nobel de littérature en 2010, a alimenté la presse. Que ce soit la presse nationale ou hispanophone, de nombreux commentaires ont accompagné la venue de cet Immortel qui, bien que défenseur de la langue française, n’a, à ce jour, publié aucun roman dans la langue de Molière. De plus, certaines de ses « prises de position » politiques ont été mises en exergue.

Quand le positionnement de l’Académie française devient le miroir de l’actualité politique
La Coupole a été au cœur de l’actualité nationale, mais aussi internationale. (Image : wikimedia / David Pendery / CC BY-SA 4.0)

Un article paru dans le Courrier International résume la vision de la presse hispanophone. Le quotidien El Païs a précisé dans ses colonnes : « que Vargas Llosa a été le premier écrivain non français à être publié de son vivant à la Pléiade, " cet Olympe littéraire où se trouvent Borges, et aussi Proust, Joyce, et Kafka, et Tolstoï " ». « Défenseur tenace du libéralisme, " Mario Vargas Llosa affiche des positions politiques " considérées comme d’extrême droite en France », a fait remarquer El Comercio. Car il a récemment exprimé son soutien à l’ex-candidat de la droite libérale conservatrice au Pérou Keiko Fujimori, au « Donald Trump colombien » Rodolfo Hernández, ou encore au président sortant d’extrême droite Jair Bolsonaro, battu par Lula au Brésil. Mais, Sergio Ramírez, dans El País, refuse d’appliquer la culture de l’effacement à Mario Vargas Llosa.

Dans la presse nationale, la nomination de celui qui a été « élu au fauteuil de Michel Serres en novembre 2021 » est relaté dans un article rédigé par Marianne Meunier et publié dans La Croix. Il résume un peu l’ensemble de la presse nationale et avance certaines hypothèses sur la nomination Mario Vargas Llosa, dont le fait qu’il soit détenteur d’un prix Nobel. « Son prix Nobel de littérature, attribué en 2010, explique-t-il ces entorses à la règle et à l’usage ? Jamais, depuis François Mauriac, l’Académie n’a pu s’offrir le luxe d’héberger un lauréat », avance le quotidien.

Cet article met aussi en avant le fait de redorer le blason de la Coupole, en ces termes : « L’institution, créée en 1635 pour donner des règles au français et en protéger la pureté, perd en rayonnement. Son influence normative sur la langue recule. La notoriété d’un Mario Vargas Llosa peut contribuer à la faire sortir de son isolement ». « L’écho que suscite son arrivée chez nous en Amérique du Sud, en Espagne et ailleurs montre que l’Académie n’est pas un vieux machin poussiéreux, mais qu’elle reste un pôle magnétique pour tous ceux qui aiment les mots, les idées et l’histoire », relate le quotidien, en citant Daniel Rondeau, l’un des immortels à avoir rejoint l’institution en novembre 2021.

Quand le positionnement de l’Académie française devient le miroir de l’actualité politique
« Défenseur tenace du libéralisme, " Mario Vargas Llosa affiche des positions politiques " considérées comme d’extrême droite en France », a fait remarquer El Comercio. (Image : wikimedia / power axle / CC BY 2.0)

L’Académie française et son esprit russophile : car « Poutine (…) n’est pas toute la Russie »

Un autre élément a aussi titillé la presse nationale la semaine dernière : il s’agit de « l’affection » de l’Académie pour « l’âme russe ».

En ces temps troublés placés au cœur du conflit russo-ukrainien, afficher une attitude russophile peut devenir dangereux et déclencher une vraie chasse aux sorcières. Pourtant certains immortels persistent et signent.

Un article d’Élisabeth Philippe et Fabrice Pliskin, paru dans L’Obs aborde la question en précisant que « la russophilie » est une passion bien ancrée sous la Coupole. C’est un académicien, Eugène-Melchior de Vogué, qui au XIXe siècle, élabora le mythe de « l’âme russe », exaltée, fougueuse et mystique, à l’opposé de l’esprit occidental. Le prédécesseur d’Hélène Carrère d’Encausse, Maurice Druon, d’origine russe lui aussi, a entretenu de très bonnes relations avec Vladimir Vladimirovitch Poutine.

Mme Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie, avait déjà marqué les esprits avec ses positions russophiles bien avant le début du conflit. Elle « s’est contentée de nous rappeler dans un mail la " longue tradition d’académiciens qui s’intéressent à la culture russe ", de Voltaire à Henri Troyat en passant par Prosper Mérimée », est-il précisé dans l’article.

Il est aussi fait mention d’un autre académicien et de sa proximité avec le pouvoir russe. Né en Sibérie, prix Goncourt en 1995 pour le Testament français, Andreï Makine n’a jamais caché ses « positions prorusses ». L’article précise que « Makine, c’est le bulbe qui perce sous la Coupole ».

L’académicien Dominique Fernandez se veut avant tout défenseur de la littérature russe. Dans Le Roman soviétique, un continent à découvrir, pour lequel il a lu 700 ouvrages russes, il s’emploie à réhabiliter la meilleure partie de la littérature russe de l’ère stalinienne.

Quant à l’académicienne Danièle Sallenave, elle redoute la « russophobie » ambiante : « Je crains que cette guerre en Ukraine, décidée par Poutine, jette l’opprobre sur le peuple russe pour des décennies. Poutine, son cynisme colonial, sa brutalité, sa vulgarité, l’alliance funeste de l’autoritarisme et de la religion, ce n’est pas toute la Russie. Ni celle de Tolstoï ni celle de Tchekhov. Mais la Russie n’est pas aimée. Une phrase de Gide dans " Retour d’URSS " le dit bien : " Trop souvent la vérité sur (la Russie) est dite avec haine et le mensonge avec amour. " », explique-t-elle dans l’article de L’Obs.

Dans l’article, le philosophe Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine (Actes Sud), avance une hypothèse intéressante : « Ce n’est pas un hasard si ceux qui valorisent l’âme slave se retrouvent à l’Académie. C’est un lieu où l’on valorise l’identité nationale, y compris d’autres pays comme la Russie. Seulement, depuis le début de la guerre, Poutine insiste justement pour apparaître comme le garant de cette grande culture russe que l’Occident voudrait effacer. Il fait son miel de la rhétorique des défenseurs de l’âme russe ».

En résumé, il devient difficile dans ces temps troublés de défendre « l’âme russe », face au stratège Vladimir Poutine qui se veut « garant » de cette même âme !

Quand le positionnement de l’Académie française devient le miroir de l’actualité politique
Mme Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie a rappelé la « longue tradition d’académiciens qui s’intéressent à la culture russe», de Voltaire à Henri Troyat en passant par Prosper Mérimée. (Image : wikimedia / ActuaLitté / CC BY-SA 2.0)

Une institution créée pour défendre la noblesse de la langue française ?

Le pouvoir royal, à travers le gouvernement de Richelieu, a vu dans l’institution un des instruments de sa politique d’unification du royaume à l’intérieur et de son rayonnement diplomatique à l’étranger. L’Académie française est donc créée en 1635, pour conférer un poids officiel aux travaux des grammairiens. Mais pas seulement !

Ainsi, sur le site officiel de l’institution il est précisé que : « L’Académie n’entend pas simplement refléter la langue, ni refléter n’importe quelle langue. Elle entend rappeler qu’il existe une communauté d’humains qui, ayant la langue française en partage, en portent la responsabilité ».

Pourtant, comme l’écrivait Paul Valéry en 1935, « quoique pourvue d’une charte qui lui assigne le devoir d’observer et de noter les états successifs de la langue, et quoiqu’elle ait accepté de juger et de récompenser les œuvres littéraires que l’on soumet à ses concours […], l’Académie française ne se réduit pas, dans l’opinion universelle, à une société qui compose un dictionnaire et qui honore chaque année les mérites qu’elle distingue », a rappelé Paul Valéry en 1935.

À travers les différentes époques, l’Académie française a tenté de voguer entre dépendance et indépendance vis-à-vis du pouvoir en place. Mais il ne faut pas oublier que le pouvoir royal de l’époque de Richelieu y a vu un instrument pour sa politique interne et son rayonnement international. Alors pourrait-on aussi penser que de nos jours l’Académie reste un outil politique du pouvoir en place ? Si c’est le cas, cela pourrait conduire à porter un autre regard sur la politique internationale française.

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