L’accès à la télévision numérique terrestre (TNT) est garanti jusqu’au 31 décembre 2030 par la loi. Les coûts de modernisation élevés qui permettraient à la TNT de proposer des services rivalisant avec les offres des opérateurs Internet et des réseaux sociaux font craindre sa disparition. Le retrait des chaînes payantes de la TNT par le groupe Canal constitue un signal d’alerte. Quel est le risque pour notre souveraineté culturelle et notre démocratie ?
La question de la distribution des programmes de divertissements, culturels et d’information via la TNT se pose dans un contexte de profondes mutations, technologiques et d’usages. En 2024, 72,2 % des foyers accèdent à leurs programmes de télé par un téléviseur connecté (diffusion en IPTV – Internet Protocole TeleVision via fibre et ADSL), devenu le premier mode de diffusion devant la TNT (38,2 %) et le satellite (11,7 %).
Dans ce paysage audiovisuel en pleine transformation, la télévision linéaire (le mode de télévision traditionnel : on regarde un programme au moment de sa diffusion) reste très largement ancrée dans les pratiques des Français. Les dernières études mettent en évidence qu’elle reste le média de masse privilégié pour s’informer et partager des moments collectifs, en particulier le direct : les JT de 20 heures de TF1 et France 2 réunissent chaque soir près de 10 millions de téléspectateurs.
Malgré tout, dans un contexte de multidistribution des programmes, on constate la baisse de la part d’attention consacrée aux programmes diffusés en télé linéaire (part d’audience) et un partage des revenus publicitaires (part de marché) qui se fait au profit des nouveaux entrants, remettent en cause l’avenir des chaînes de télévision et, avec elles, le mode de distribution de la TNT.
En juin 2025, les conventions des chaînes payantes du groupe Canal+ sont arrivées à échéance. D’un côté, le groupe privé n’a pas souhaité leur renouvellement, de l’autre, l’Arcom a décidé de reporter le lancement d’un nouvel appel d’offres pour l’attribution de la ressource TNT rendue disponible, considérant le marché publicitaire trop faible pour absorber un nouvel acteur.
Les concurrents de la TNT
Depuis 2003, le marché audiovisuel français s’est massivement structuré autour des offres « triple play » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) (internet, téléphonie, télévision) comme Free, SFR ou Orange. Ces offres ont entraîné une migration progressive des usages de la TNT vers Internet, d’abord via l’ADSL, puis la fibre.
L’IPTV (Internet Protocole TeleVision) est une technologie qui permet l’interactivité et la personnalisation des contenus. Grâce aux téléviseurs connectés, que possèdent 69 % des Français, les utilisateurs accèdent à leurs programmes en différé, à des services de vidéo à la demande (SVOD) comme Netflix, Amazon Prime Video ou MyCanal, ainsi qu’à des offres personnalisées. Les flux audiovisuels transitent par des boîtiers fournis par les FAI ou directement via les applications des services distribués par les boîtiers OTT (Over The Top), tels Chromecast ou Apple TV.
Désormais, chaînes et plateformes peuvent atteindre le public sans passer par la box Internet. En 2024, 53 % des 18-64 ans ont ainsi davantage consommé de vidéo à la demande (en streaming) que de contenus linéaires et 30 % du temps de visionnage est consacré à des usages individualisés (rattrapage, SVOD, différé, partage de vidéo).
Ainsi, le téléviseur est devenu un appareil hybride, utilisé aussi bien pour regarder des chaînes linéaires que pour consommer des contenus à la demande. L’écosystème médiatique s’est élargi : aux plateformes de SVOD se sont ajoutés YouTube ou Dailymotion et les réseaux sociaux, comme X, TikTok ou Instagram, devenus à leur tour des points d’entrée majeurs vers les contenus vidéo.
Les dangers de l’IPTV
Si l’arrivée de la plateforme ADSL/fibre offre un avantage comparatif indéniable à ces nouveaux entrants – interactivité, services personnalisés, cette technologie présente aussi plusieurs dangers.
D’abord, contrairement à la gratuité d’accès de la TNT, l’IPTV introduit une discrimination sociale par le prix, puisqu’elle repose sur un abonnement payant qui exclut une partie des ménages, notamment les plus précaires.
Ensuite, alors que la TNT couvre 97 % du territoire national, la distribution en IPTV crée des fractures territoriales selon la qualité des infrastructures numériques, car son usage dépend d’un débit suffisant que ne possèdent pas les habitants des zones rurales ou des zones blanches.
De surcroît, cette distribution prive les éditeurs de chaînes de la maîtrise directe de leur diffusion, les rendant dépendants des opérateurs des télécoms, des plateformes et des algorithmes.
Lorsqu’elles passent par les FAI, elles doivent négocier des conditions commerciales. Lorsqu’elles sont distribuées via les plateformes numériques, leur accès au public est filtré par des algorithmes propriétaires. Cette dépendance mérite une attention particulière : les plateformes sont désormais les médiateurs de la relation entre les chaînes et les publics.
Avec l’ADSL ou la fibre se posent des questions essentielles du contrôle d’accès aux programmes, de diversité de l’offre et, plus largement, de souveraineté culturelle. De nombreux auteurs s’interrogent sur les conséquences de la suprématie de ces acteurs sur les médias.
Enfin, cette distribution via Internet alourdit significativement l’empreinte écologique du secteur audiovisuel, ses équipements étant bien plus énergivores que ceux de la TNT.
La TNT, pas si obsolète
En contrepartie de l’allocation gratuite de fréquences, les chaînes de la TNT signent une convention avec l’Arcom qui les engage à investir dans la production audiovisuelle et cinématographique européenne, ainsi que dans des œuvres d’expression originale française.
Elles sont également tenues de respecter un ensemble d’obligations garantissant la liberté de communication et d’expression : protection des plus jeunes, respect de la dignité de la personne humaine, pluralisme des courants de pensée et d’opinions, honnêteté de l’information. Ce cadre, fixé par la loi de 1986, a pour objectif d’assurer la diversité culturelle, l’indépendance et le pluralisme de l’information.
Certes, le pluralisme de l’information sur les chaînes de la TNT – notamment celles d’information en continu – fait aujourd’hui l’objet de débats. Mais celles-ci demeurent soumises à un encadrement légal précis, garant de ces principes, et à un contrôle. À l’inverse des plateformes et réseaux sociaux qui échappent à tout cadre comparable, où prospèrent la polarisation des débats, la diffusion de fake news ou plus généralement la circulation de contenus illicites. À la différence des chaînes, ils ne sont pas responsables des contenus diffusés.
Dans de nombreux pays européens – Italie, Grèce, Royaume-Uni – la TNT demeure la principale source de réception : au total, 80 millions de foyers européens, soit 185 millions de personnes, y accèdent exclusivement. Elle reste une technologie stratégique, garante de la souveraineté culturelle, respectueuse de la vie privée, fiable et neutre.
Ainsi, le maintien ou non de la TNT après 2030 n’est pas une simple question technique ou économique : c’est un choix politique.
Aujourd’hui encore, cette diffusion soutient la création de par les obligations d’investissements dans la production indépendante et préserve une certaine forme de souveraineté culturelle dans la mesure où elles sont également des obligations en matière de diffusion de programmes.
Par exemple, dans sa convention avec l’Arcom, TF1 s’est engagée à diffuser, en première partie de soirée, au moins cinquante-deux fictions audiovisuelles d’expression originale française dont les deux tiers n’ont jamais été diffusés sur un service gratuit de télévision hertzienne.
La TNT demeure un rempart essentiel contre la domination algorithmique des plateformes numériques et assure certains prérequis démocratiques. Un basculement exclusif vers l’IPTV représenterait, à ce titre, un risque démocratique et sociétal.
Ses coûts de distribution demeurent toutefois très élevés pour les chaînes, indépendamment de leurs audiences. La pérennité de la TNT dépendra de la rapidité avec laquelle des travaux de modernisation seront menés. Les logiques d’interactivité, de recommandation personnalisée ou de visionnage à la demande devront impérativement y être intégrées. Cette évolution est déjà engagée avec la HbbTV (Hybrid Broadcast Broadband TV), qui combine diffusion hertzienne et services interactifs, tels le replay, l’audiodescription, l’ultra haute définition (UHD) ou encore la 5G Broadcast.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Nathalie Sonnac : Professeure en sciences de l'information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas. Cet article est republié du site The Conversation, sous licence Creative Commons.
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