Les associations de compagnonnage en France ont aujourd’hui le vent en poupe. Elles sont engagées dans la transmission des connaissances et des savoir-faire de la plupart des métiers artisanaux. Elles sont réputées pour l’excellence de leurs formations professionnelles, pour la qualité du perfectionnement des aspirants compagnons dans leur Tour de France et pour leur ancrage dans le savoir-être et les valeurs de respect et de solidarité.
Ces dernières années, de nombreux jeunes se sont tournés vers cette porte ouverte à la formation aux métiers traditionnels, et aussi pour certains, aux métiers du domaine de l’industrie ou à la pointe de la modernité.
Brève histoire du compagnonnage au fil des siècles
Selon une vieille légende, le Compagnonnage remonterait à l’édification du temple de Jérusalem, dit « temple de Salomon », au Xe siècle av. J.-C. Le chantier colossal, sous la direction de l’architecte Hiram, aurait été conduit par le moine bâtisseur Soubise et le chevalier Jacques. Salomon, le père Soubise et Maître Jacques sont devenus les trois fondateurs légendaires du Compagnonnage et de ses différents Devoirs.
L’apparition des premières sociétés compagnonniques, dont on a quelques preuves d’existence, se situe à la fin du Moyen Âge, à la faveur de l’âge d’or des cathédrales. On peut retrouver, sur ces sublimes édifices, des marques particulières aux Compagnons. Cependant il faut attendre le XVIe siècle pour découvrir les premiers documents attestant l’existence de Compagnons faisant leur Tour de France.
Au XVIIIe siècle, le compagnonnage devient puissant en tant qu’organisation ouvrière, jusqu’à pouvoir mener des grèves sur toute une ville. Pourtant il y a de grandes dissensions au sein du mouvement compagnonnique, et cela mène à de nombreuses querelles et des affrontements violents, parfois mortels, entre divers corps de métiers ou communautés.
La révolution industrielle au XIXe siècle entraîne un déclin de l’institution compagnonnique. Cependant, du 26 janvier 1887 au 31 mars 1889, des Compagnons charpentiers, révélant ainsi leur volonté d’adaptation aux nouvelles techniques du monde du travail, lèvent un des monuments les plus visités au monde, la Tour Eiffel, et signent une des plus belles pages de leur histoire.
Jean-Michel Mathonière, historien et spécialiste des Compagnons, écrit dans son article La transmission dans les compagnonnages : entre réalités et fantasmes : « Autrefois et jusque tard durant les années 1970, pour entrer dans une société compagnonnique, il fallait au préalable posséder la connaissance de son métier, c’est-à-dire être capable d’en vivre honnêtement. […]
[…] L’ouvrier qui était contraint de voyager pour subsister ou qui avait envie de le faire, tant par désir de se perfectionner dans son art que par esprit d’aventure, avait besoin de telles structures fraternelles pour pouvoir voyager dans les meilleures conditions possibles. »
Le compagnonnage s’appuie sur trois fondements importants : le métier, le voyage et la transmission
Le métier, dans lequel le compagnon s’accomplit en bénéficiant d’un apprentissage soutenu et de grande qualité, est complété par une bonne instruction de culture générale et une vie collective bien structurée.
Le voyage se réfère au célèbre Tour de France de l’aspirant compagnon où il peut perfectionner son savoir-faire et son savoir-être dans les différentes entreprises qui l’embauchent. C’est l’opportunité pour l’aspirant de confronter, d’enrichir et d’approfondir ses connaissances et ses capacités. Dans les maisons de Compagnons qui l’accueillent, il aura aussi la chance d’échanger et de sympathiser avec les autres compagnons.
La transmission de ses connaissances, de son savoir-faire et de ses valeurs fait partie du devoir d’un Compagnon et c’est sa façon de vivre son métier.
Jean-Michel Mathonière précise à ce sujet : « Ce que tous les compagnons se transmettent surtout, [..], c’est un état d’esprit et des valeurs où la nécessité de la pratique d’un métier – la malédiction biblique : " Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ! " – se transforme en véritable voie d’épanouissement personnel et spirituel. " Travail et Honneur ", telle était la belle devise des compagnons passants tailleurs de pierre d’Avignon. Et cela, cette quête de l’homme en direction de sa propre perfectibilité au travers de la transformation des matériaux dont il dispose, c’est probablement l’essence même de la tradition compagnonnique, finalement une, sous de multiples expressions ».
À travers ces trois aspects essentiels du Compagnonnage, le compagnon privilégie la réussite individuelle, le perfectionnement professionnel, la solidarité et la générosité.
Le compagnonnage est souvent perçu comme le garant de l’enseignement et de la pratique d’anciennes et essentielles techniques professionnelles, de la formation à l’excellence dans le travail et de l’accomplissement personnel en liaison étroite avec l’apprentissage d’un métier.
Depuis 2010, le compagnonnage est inscrit au registre du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
La formation et le perfectionnement dans des métiers en lien avec la matière
Il existe actuellement en France trois associations de compagnonnage : l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France (fondée en 1941), la Fédération Compagnonnique (des Métiers du Bâtiment et autres activités, fondée en 1952), et l’Union Compagnonnique (des Compagnons du Tour de France Des Devoirs Unis, fondée en 1889). Elles représentent au total près de 50 000 personnes. Depuis deux décennies maintenant, les jeunes filles ou jeunes femmes sont admises dans le compagnonnage et y affluent nombreuses.
Ensemble, ces trois associations proposent la formation et le perfectionnement dans environ une centaine de métiers. En sont exclues les professions intellectuelles et de services. Les métiers traditionnels peuvent être regroupés selon les matériaux travaillés : le bois, la pierre, les métaux, le cuir, les textiles, l’alimentation.
Après avoir obtenu un CAP ou un BEP professionnel, soit en filière de l’Education Nationale, soit au sein d’une Association de Compagnonnage, le futur compagnon est évalué à travers la réalisation d’une œuvre ou « travail d’adoption ». Il est alors admis comme aspirant au sein de la communauté de Compagnons qu’il a choisi de rejoindre pour apprendre son métier.
Le perfectionnement en itinérance dure en moyenne cinq ans pendant lesquels l’apprenti change régulièrement de ville, en France et au moins une ville à l’étranger.
A l’issue de longs et intenses apprentissages et perfectionnements, l’aspirant Compagnon devra réaliser son chef-d’œuvre de réception, pour être admis et pouvoir transmettre son savoir en tant que Compagnon. Ce travail de réception doit être de très grande qualité. En général, c’est une maquette qui intègre les difficultés du métier.
Le Compagnon devient ensuite responsable de la formation de nouveaux apprentis durant trois ans. Ainsi, il redonne à l’association et fait perdurer la transmission des savoirs et des valeurs des Compagnons.
Le parcours de Pablo dans le compagnonnage lui a apporté constance et qualité dans son travail
Pablo est charpentier couvreur en Occitanie. Il a obtenu son CAP après 2 ans de cours techniques, de formation en entreprise et de cours de culture générale. Il a choisi de faire, comme œuvre d’adoption pour devenir aspirant Compagnon, un coffre en zinc, fait dans les règles de l’art, avec un soleil rayonnant comme motif.
Après son adoption comme aspirant compagnon, il a entrepris son Tour de France sur 5 ans, à raison de deux villes par an, et un an en Allemagne.
Pendant son Tour de France, il a notamment participé, au sein d’une entreprise, à la restauration du dôme du Panthéon à Paris en 2015, en le couvrant de feuilles de plomb de 5 mm d’épaisseur. Ce chantier colossal et prestigieux était sous la conduite du Centre des monuments nationaux (CMN).
Pablo est heureux d’avoir fait ce parcours d’aspirant Compagnon. Cette formation soutenue lui a permis de forger une qualité essentielle pour lui : la constance. La constance dans le sens de persévérance dans l’effort et de fidélité aux engagements.
Petite histoire que les Compagnons aiment raconter
Extrait de l’article de Patrick Doffémont : La transmission chez les Compagnons du Devoir 2020 : « Trois tailleurs de pierre exécutent le même travail. Un curieux s’approche du premier et l’interroge sur ce qu’il est en train de faire, celui-ci répond qu’il gagne sa croûte, le deuxième à la même question répond qu’il taille un caillou, et quand arrive le tour du dernier celui-ci, en levant les yeux comme pour montrer une direction, répond : " regarde, je suis en train de construire une cathédrale." La vie nous offre le bonheur quand on lui apporte un sens, chacun est invité à construire sa cathédrale. »
L’œuvre de Zachary destinée à une maison de Compagnons
Zachary apprend le métier de la chaudronnerie chez les Compagnons du devoir et du Tour de France. Être chaudronnier, c’est créer des volumes en travaillant des feuilles de métal, pour fabriquer par exemple des cuves, des coques de bateaux, des aménagements urbains, etc. En chaudronnerie, la polyvalence est de rigueur pour s’adapter aux différents types de matériaux et aux multiples domaines d’application.
Pour devenir aspirant Compagnon et partir sur le Tour de France, Zachary a dû entreprendre un travail d’adoption. Ce projet consistait à concevoir et fabriquer une plonge (évier et égouttoir sur pieds) en acier inoxydable, qui serait utilisée ultérieurement dans la maison des Compagnons où il logeait à ce moment-là.
Le fait de réaliser ce projet de A à Z l’a beaucoup motivé et l’a fait progresser dans son métier par la découverte de nouvelles techniques. Ce travail lui a demandé 320 heures au total. Il devait respecter certaines normes sanitaires et un cahier des charges imposé par les Compagnons.
Il s’est retrouvé face à de sérieuses difficultés, mais grâce aux Compagnons qui l’entouraient et le soutenaient, il n’a pas baissé les bras. Cette œuvre de chaudronnerie lui a appris beaucoup sur lui-même aussi, notamment sur son organisation et sa gestion du stress.
Zachary souligne qu’un aspirant Compagnon, après plusieurs années à approfondir ses connaissances dans diverses entreprises sur son Tour de France, devient très habile et polyvalent dans son métier.
La maison des Compagnons : un lieu de fraternité, de repos et de ressourcement
Une maison des Compagnons est dirigée par un prévôt qui administre la maison et garantit le respect des règles. Il est secondé par un « rôleur », aussi maître de cérémonies et anciennement chargé d’organiser les embauches des aspirants Compagnons en entreprise.
Les jeunes assument eux-mêmes les tâches de toutes sortes nécessaires à l’entretien et au bon fonctionnement de la maison. Ces « gâches » (responsabilité à réaliser) amènent les jeunes aspirants Compagnons à devenir responsables et à être solidaires entre eux.
La Maîtresse de maison ou Mère (suivant le degré d’initiation) est indispensable à l’accueil chaleureux et à une bonne entente dans une maison des Compagnons. Elle veille au bien-être physique et moral des jeunes. Elle aide les jeunes dans leurs démarches administratives. Elle se rend disponible et à l’écoute en cas de problèmes personnels.
Certains rites et cérémonies propres aux Compagnons sont organisés dans le but de renforcer les liens de la communauté, de transmettre une philosophie de vie ou une morale, d’ouvrir à la spiritualité.
Deux extraits inspirants et révélateurs de l’esprit du compagnonnage
Extraits de la Règle des Compagnons du Devoir : « Rêver de faire de sa vie quelque chose de bien en complétant sa maîtrise de la technique par d’autres richesses humaines comme la culture, l’art, la spiritualité… Les pays et coteries sont invités à semer du beau avec leurs mains mais aussi avec leur cœur et leur esprit, notamment en transmettant avec générosité leur enthousiasme et leurs compétences aux plus jeunes. »
« Dépasser ses propres intérêts et, en Homme libre, se mettre au service des autres. Cela nécessite un travail quotidien sur soi-même, tant pour en acquérir patiemment les aptitudes que pour apprendre à s’effacer. Les Compagnons du Devoir expriment cette attitude courageuse au travers de leur devise : Ni s’asservir, ni se servir, mais servir. »
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