Chacun est profondément convaincu que les souverains pontifes résident à Rome, berceau du christianisme. Mais tel n’a pas toujours été le cas. Savez-vous que les papes d’Avignon ont régné quasiment un siècle dans la puissante cité provençale ? Posons un regard sur les aspects contrastés de cette surprenante histoire.
Pourquoi les papes s’installent à Avignon
L’Histoire retiendra que de 1305 à 1378, sept papes ont exercé leur pontificat à Avignon et non à Rome. Il s’agit respectivement de Clément V, Jean XXII, Benoît XII, Clément VI, Innocent VI, Urbain V, Grégoire XI. Comment expliquer ce choix ?

Clément V, le premier d’entre eux, par ordre chronologique, comptait s’installer provisoirement à Avignon pour échapper à la turbulence et à l’insécurité régnant à Rome, alors livrée aux factions. D’ailleurs les papes ne séjournaient pas forcément à Rome à l’époque et un bon nombre d’entre eux étaient plutôt itinérants, d’où l’expression : « nomadisme pontifical ». Un adage circulait à ce sujet : « Là où se trouve le pape, là est Rome. » À titre d’exemple, le pape Boniface VIII, prédécesseur de Clément V préférait résider à Anagni, sa ville natale, plutôt qu’à Rome.
D’autre part, comparée à Rome, Avignon présentait des avantages stratégiques et géographiques avec la présence du Rhône et du célèbre pont situé aux abords de la Méditerranée. Selon le site Avignon Provence, il apparaît que « Rome se trouve excentrée par rapport au centre de la chrétienté catholique dont les royaumes de France et d’Angleterre sont les deux grandes puissances rivales. Avignon jouxte le Comtat Venaissin, terre de l’Église depuis 1274. La ville elle-même appartient à Charles II d’Anjou, comte de Provence mais aussi vassal et fidèle allié du pape en tant que roi de Naples. La Provence, pacifiée, jouit d’une paix profonde depuis un demi-siècle. »
La ville d’Avignon était à cette époque hors de France et à portée de France. D’autres raisons d’ordre plus politiques furent évoquées pour expliquer le choix de la ville d’Avignon. À cause des tensions entre le roi Philippe le Bel et le pape Clément V, il était important pour ce dernier de se rapprocher du Comtat Venaissin plus proche de Vienne, où devait se tenir le concile destiné à régler le problème des Templiers.
Le Palais des papes : la puissance pontificale face au pouvoir royal
Le Palais des papes qui surplombe majestueusement la ville d’Avignon, le plus grand édifice gothique du Moyen Âge avec ses 15 000 m2 de superficie, témoigne du pouvoir pontifical de la papauté avignonnaise. Les deux papes Benoît XII et Clément VI ont mis moins de 20 ans à achever le prestigieux monument.
En 1335, sous l’égide de Benoît XII, l’architecte Pierre Peysson (ou Poisson) entreprend l’édification de la partie du palais appelée la Tour du Pape. Avec ses tours et ses mâchicoulis, l’ouvrage s’apparente davantage à une forteresse qu’à un palais. C’est que le pape Benoît XII cherche à se protéger de son voisin, le puissant roi de France. Un certain climat de tension règne entre les deux hommes détenteurs de deux pouvoirs opposés : le pouvoir de l’Église et le pouvoir royal.
Sous la conduite du pape Clément VI qui poursuit l’œuvre de son prédécesseur, le Palais des papes prendra les allures d’une véritable résidence princière digne des cours les plus fastueuses avec sa monumentale bibliothèque, la plus étendue du XIVe siècle. Dès lors, les papes d’Avignon feront œuvre de mécénat tels de véritables princes, ce qui ne manquera pas de faire rayonner la ville d’Avignon dont la population serait passée de 4 000 à 40 000 habitants, attirant banquiers et marchands cosmopolites. La ville provençale va s’ériger en capitale de la chrétienté. Avignon devient la deuxième ville de France après Paris. Un tel rayonnement a marqué l’empreinte de celle qui fut nommée la « Cité des papes ».
Les papes d’Avignon : ombres et lumières
Le faste de cette papauté prolongée loin de Rome, la ville éternelle, n’était pas du goût de tous et suscitait en particulier l’opposition des Italiens, reprochant à ces papes, tous français, leur goût du luxe, leur sens du favoritisme, leurs excès, etc. Il leur était reproché une certaine complaisance envers le roi de France. Si pour certains, l’administration des papes d’Avignon, avait donné un nouveau visage à l’Église et l’avait fortifiée, pour d’autres, le pouvoir temporel avait pris le pas sur le pouvoir spirituel. L’adversaire le plus virulent n’était autre que l’écrivain Pétrarque. Selon sa célèbre formule, les papes d’Avignon représentaient la « captivité de Babylone », leur présence annonçant à ses yeux une forme de décadence.

L’année 1378 verra le retour des papes à Rome avec Grégoire XI, né Pierre Roger de Beaufort. Catherine de Sienne, figure majeure du catholicisme, protectrice de l’Italie, aurait supplié celui-ci de revenir à Rome. « Il vautmieux surveiller son troupeau du haut des collines de Rome que de celles d’Avignon. », lui aurait-elle dit. Au cours de l’épisode connu comme « le Grand schisme d’Occident », l’une des plus grandes crises de l’Église, il y eut deux, voire trois papes en même temps. Après ces turbulences, les papes se sont installés en Italie pour ne plus quitter le berceau du christianisme.
Des observateurs pensent que le passage des papes à Avignon, épisode un peu oublié par l’Histoire, a donné à la ville une certaine notoriété dont les effets perdurent jusqu’à ce jour. Le célèbre festival d’Avignon n’est-il pas né dans la cour d’honneur du Palais des papes ?
Avec les papes d’Avignon, l’histoire de la chrétienté et l’histoire de France se sont conjuguées pendant plus de sept décennies.
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