La liste annuelle des lauréats du prix Nobel 2022 a commencé à être révélée lundi 3 octobre et se poursuivra jusqu’au 10. Outre les réalisations des lauréats, les montants financiers, que recevront ces lauréats le 10 décembre à Oslo, attirent l’attention. La volonté d’un homme, Alfred Nobel, a permis à ce prix de devenir un rendez-vous annuel incontournable depuis plus d’un siècle.
Le prix Nobel a été créé par la volonté d’Alfred Nobel (1833-1896), le « Roi de la dynamite ». Le fonds initial était de 31,5 millions de couronnes suédoises, estimées en 2013 à 179 millions d’euros. Ce fonds provient entièrement de sa succession. Depuis sa création en 1901, le prix Nobel a été décerné pendant 121 années consécutives. De fait, le prix en argent émis a depuis longtemps dépassé le montant de l’héritage Nobel.
Alors, comment la Fondation Nobel peut-elle garantir que le montant de la récompense financière continuera à être honoré ? Comment cet héritage de 31,5 millions de couronnes suédoises peut-il continuer à alimenter ce prestigieux rendez-vous annuel ?
La glorieuse histoire du prix Nobel a commencé par un conflit autour d’un héritage
Le 10 décembre 1896, Alfred Nobel meurt, en Italie, des suites d’une maladie. Selon son testament, rédigé l’année précédant son décès, la plupart de ses biens seront remis à un cabinet fiduciaire et devront permettre la création d’une fondation. Seulement une infime partie, soit 1 million de couronnes suédoises, a été laissée à la famille. Alfred Nobel était célibataire et n’avait pas de descendants. Mais son héritage n’a pas laissé ses proches indifférents. Ils ont mis en avant le manque de probité de fiduciaires qu’ils n’avaient jamais vus auparavant, allant jusqu’à avancer qu’ils devaient certainement être des avocats complices qui avaient conspiré et falsifié le testament.
Les revendications ont pris une telle tournure que ce différend d’héritage a été renvoyé devant le roi de Suède. Alfred Nobel était célèbre avant sa mort. Des écrivains de la génération de Victor Hugo l’avaient surnommé : « l’homme le plus riche d’Europe ». Dans les médias européens, la question de savoir si les vœux de M. Nobel allaient être fidèlement respectés revenait souvent à la Une des grands journaux européens. Selon les rapports de l’époque, le roi de Suède a soigneusement examiné la question et a finalement jugé de l’authenticité du dernier testament de M. Nobel. Il a de plus personnellement présidé la création de la Fondation Nobel en 1900. Elle a reçu pour mission de gérer cet héritage constitué d’une énorme fortune pour l’époque, et de soutenir le fonctionnement du prix Nobel.
Il est possible de dire que le fondement du prix Nobel est précisément la Fondation Nobel. La capacité du prix Nobel à continuer à décerner des récompenses élevées, depuis plus d’un siècle de fonctionnement, est le plus grand mérite de cette fondation.
Dès sa création, la Fondation Nobel a assumé la mission difficile : être une fondation pérenne
Alfred Nobel était une personne connue pour être pessimiste par nature. Ainsi, il ne croyait pas que d’autres personnes seraient disposées à léguer des capitaux à sa fondation. Il a donc clairement indiqué dans son testament que le montant des prix annuels ne pouvaient provenir que des bénéfices de l’investissement du capital de l’héritage. En d’autres termes, il voulait créer un fonds durable pour faire du prix Nobel une grande cause éternelle.
Pour répondre aux exigences de son fondateur, la Fondation Nobel a dû trouver une solution pour rentrer dans un cycle positif lui permettant de faire face au paiement annuel des prix alloués.
En 1900, les 31,5 millions de couronnes suédoises représentaient sans aucun doute une énorme somme d’argent. Mais selon l’idée de son fondateur, pour mettre en place les cinq prix de physique, chimie, biologie ou médecine, paix et littérature, elle devait fournir à chaque lauréat, et ce chaque année, une somme d’argent « suffisante pour leur permettre surtout de continuer leurs recherches, ou travaux, sans subir de pressions financières », et ce pendant au moins vingt ans.
Comment la Fondation Nobel allait-elle accomplir cette tâche difficile ?
Au début de sa création, le roi de Suède a personnellement formulé les « Statuts de la Fondation Nobel » à travers une Charte. Elle devait permettre de respecter la volonté de son fondateur.
Alfred Nobel était connu pour être pragmatique. De plus, il n'aimait pas recourir aux placements financiers pour gagner de l’argent. Pour cette raison, il a spécifiquement indiqué dans son testament que la Fondation ne pouvait investir que dans certains « produits financiers fiables » : elle ne pouvait pas recourir activement à des actions et d’autres projets à haut risque. C’est pourquoi, pendant plus de 50 ans, la Fondation a agi conformément aux « Articles de la Charte », et a fonctionné comme une entreprise ancienne et conservatrice, désireuse de réussir, mais n’osant pas innover.
Aux yeux des Suédois, les « produits financiers fiables » signifient les placements à revenu fixe tels que les dépôts bancaires, les obligations d’État et d’autres investissements à revenu fixe qui garantissent un rendement fiable en cas de catastrophe. Cependant, l’époque de mise en place du prix Nobel n’était pas une époque où les intérêts pouvaient être assurés de manière pérenne.
Les répercussions des deux guerres mondiales
En 1914, la Première Guerre mondiale éclate. Bien qu’elle se soit longtemps déclarée « pays neutre permanent », la Suède restait en alerte. En tant que petit pays ayant connu un âge d’or des centaines d’années auparavant et face aux luttes de pouvoir au sein du continent européen, la Suède ne pouvait qu’endurer tout en se préparant à la guerre. Le marché financier était désastreux. La manifestation la plus directe était que les investissements ne rapportaient fondamentalement pas d’argent, les taux d’intérêt des dépôts bancaires avaient été abaissés à maintes reprises, le paiement de la dette nationale avait été reporté et le gouvernement continuait de percevoir des « taxes temporaires de défense » qui avaient été augmentées.
La Fondation Nobel est une fondation privée, non seulement elle devait payer des impôts nationaux sur la défense, mais elle devait également payer une taxe d’investissement élevée. En outre, les revenus d’investissement à long terme n’étaient pas importants et ne pouvaient pas suivre l’inflation. Dans ce contexte, le capital laissé par Alfred Nobel a été entamé.
Le même schéma s’est reproduit pendant la Seconde Guerre mondiale. La structure mondiale avait radicalement changé et le climat économique était morose. Sous les contraintes des « Articles de la Charte », la Fondation était enchaînée et ne pouvait plus répondre au dernier souhait de « fonds durable » de M. Nobel.
En 1953, le prix Nobel n’attribue que 175 000 couronnes suédoises pour chaque récompense allouée. Après conversion en fonction du taux d’inflation, le montant ne représentait que 30 % du premier prix de 150 000 couronnes suédoises versé en 1901. De plus, il ne restait qu’un tiers des actifs du Nobel. La Fondation Nobel était au bord de la faillite et la volonté d’Alfred Nobel de faire de ce prix une grande et éternelle cause était sur le point de ne plus pouvoir exister.
C’est alors que la Fondation Nobel a fait de son mieux pour prouver au gouvernement suédois qu’un tel prix de haut niveau, ouvert au monde entier et existant de longue date, pourrait devenir un important faire-valoir pour la Suède. De plus, si la Suède voulait acquérir une certaine influence dans le contexte des deux superpuissances de l’après-guerre qui se disputaient l’hégémonie, le prix Nobel pouvait être la meilleure option.
Le gouvernement suédois a été sensible à cette proposition. Bien qu’étant un pays neutre, la Suède n’avait jamais dissimulé son ambition de développement. Elle avait noué de bonnes relations avec les États-Unis et avait participé activement à la construction de la Zone européenne de libre-échange… Toutes ces approches illustrent bien la volonté de la Suède d’accroître son influence.
En conséquence, le gouvernement suédois a accepté que la Fondation Nobel enfreigne sa Charte et investisse de manière indépendante dans des projets à haut risque et à haut rendement, tels que les actions mondiales et l’immobilier. Il a également persuadé le gouvernement américain d’exempter la Fondation de taxes d’investissement élevées. La Fondation Nobel a également saisi l’opportunité de parier de manière décisive sur les actions américaines, au moment de la reprise économique mondiale d’après-guerre. C’est ainsi qu’elle a finalement évité la faillite, et que le prix Nobel a pu continuer à suivre sa vocation, sans aucun risque.
Dans l’histoire des investissements de la Fondation Nobel, le plus intéressant est son investissement dans l’immobilier à Stockholm dans les années 1980. À ce moment-là, le marché boursier mondial était en plein essor, de l'argent coulait à flot et investir dans l’immobilier suédois semblait être une réelle opportunité. La Fondation Nobel l’a saisie et a investi massivement dans l’immobilier de la capitale suédoise.
En quelques années seulement, la valeur marchande des biens immobiliers disponibles a plus que quadruplé. Bien qu’elle travaille avec des investisseurs professionnels, la Fondation reste frileuse face à ce type d’investissement. Lorsque les prix des logements ont atteint un nouveau sommet en 1987, la Fondation est revenue à sa logique initiale. Quatre ans plus tard, la bulle immobilière suédoise éclate.
Spéculation immobilière, spéculation boursière, achats d’obligations, hedge funds…
Bien qu’elle ait brisé les chaînes de la Charte, la Fondation Nobel demeure toujours une fondation privée qui fonctionne avec la logique d’une société d’investissement professionnelle. Pour autant, à cause de la logique de « sécurité », la Fondation n’a pas fait preuve de la recherche de profit à tout prix que l’on retrouve parfois dans les sociétés d’investissements conventionnelles.
Au lieu de cela, elle est plus sobre et poursuit une croissance limitée. En conséquence, le prix en argent qui peut être décerné par le prix Nobel augmente d’année en année.
En 2001, pour le 100ème anniversaire, le prix Nobel a été décerné. L’argent du prix a atteint 10 millions de couronnes suédoises (919 398 euros), pour la première fois et le montant total du Fonds Nobel a augmenté à 4,63 milliards de couronnes suédoises, soit plus de 425 million d’euros. Cette fondation, désireuse de créer une cause permanente, a achevé son premier plan centenaire et se dirige vers son deuxième centenaire.
Grâce au prix Nobel annuel, la Suède est passée d’un petit pays marginal en Europe à un pays auquel le monde doit prêter attention chaque année. C’est précisément parce que le prix Nobel a mis en place un mécanisme de sélection strict que l’Académie royale des sciences de Suède, l’Institut Karolinska, l’université médicale suédoise et l’Académie suédoise sont devenues des lieux de rassemblement des meilleurs talents de la communauté scientifique.
À l’origine un homme : Alfred Nobel
Influencés par les manuels, les gens sont souvent surpris par cet homme et sa persévérance à essayer encore et encore des expériences explosives : le qualifiant souvent d’inventeur, de chimiste et d’ingénieur. Mais en fait, la véritable image de ce Suédois complexe est d’être un homme d’affaires. L’existence du prix Nobel et de la Fondation Nobel prouve non seulement à quel point il a réussi dans les affaires de son vivant, mais aussi à quel point sa compréhension de « l’héritage de richesse » est profonde.
En raison de l’invention des explosifs, du forge de l’acier et de la vente d’armes, Alfred Nobel avait beaucoup d’argent de son vivant. Mais il a toujours été considéré comme « faisant fortune avec la guerre » et avait une mauvaise réputation. Bien qu’il ait mené une vie simple et discrète, de son vivant il était souvent l’objet de critiques qui selon ses proches le mettaient parfois très en colère. Pourtant, il restait stoïque en société, ne faisant rien contre ses détracteurs.
Finalement, il a décidé d’utiliser la majeure partie de son héritage comme un fonds pour soutenir « les personnes qui ont apporté des contributions exceptionnelles à l’humanité ». Ainsi, le prix Nobel témoigne de son héritage spirituel, et la Fondation Nobel est le fruit de la richesse de son héritage.
Cette année marque le 122ème anniversaire de la Fondation Nobel. Année après année, ceux qui soutiennent le prix Nobel et lui permettent d’émettre des primes élevées sont en fait le marché de l’investissement en plein essor et un groupe de professionnels de la finance qui travaillent pour réaliser le souhait d’Alfred Nobel.
La philosophie d'investissement de la Fondation Nobel n'est pas nécessairement plus sophistiquée que celle des autres sociétés d'investissement. Mais, elle a toujours été fidèle à ses convictions, restant prudente et modeste. Elle a pu poursuivre ainsi des profits fiables en prenant des risques limités.
S'il faut retenir quelque chose de la Fondation Nobel, c’est qu’elle joue le rôle le plus précieux que peut donner la richesse, c’est à dire célébrer le vrai progrès de l’humanité !
Rédacteur Jean-Baptiste Adrien-Clotaire
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