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France. Peut-on encore parler de crimes d’honneur dans la France d’aujourd’hui ?

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Le décès d’un jeune lycéen en région parisienne suite à un « passage à tabac » orchestré jeudi 4 avril par quatre jeunes a remis sous le feu des projecteurs la notion de crimes d’honneur. Mais dans la France d’aujourd’hui peut-on encore parler de « crimes d’honneur » ?

Il est assez surprenant de voir apparaître rapidement dans les médias la notion de crimes d’honneur associée à la mort d’un jeune lycéen de 15 ans, suite à son agression à 100 mètres de son collège.

Mais d’où vient cette notion de crimes d’honneur ?

Selon Amnesty International, les crimes d’honneur, ou « dits d’honneur », touchent principalement les femmes. Ils sont « une pratique ancienne consacrée par la culture plutôt que par la religion, enracinée dans un code complexe qui permet à un homme de tuer ou d’abuser d’une femme membre de sa famille ou de sa partenaire pour cause de " comportement immoral " réel ou supposé ».

Human Rights de son côté précise sur son site que : « Les crimes d’honneur sont des punitions infligées à certaines personnes pour leur manquement à l’honneur d’un groupe ou d’une communauté. La plupart du temps, le crime d’honneur prend la forme d’une punition faite à une femme ou jeune fille suite à un comportement ou une action que sa famille ou sa communauté a jugé déviant et salissant pour l’honneur du groupe ».

Le sociologue Thomas Sauvadet, auteur de Voyoucratie et travail social. Enquêtes dans les quartiers de la politique de la ville, précise dans un entretien publié par le quotidien La Croix que la notion de « crime d’honneur » est intrinsèquement liée à l’absence ou une rupture avec la protection de l’État, qui s’exprime à travers la police et la justice. Mais, « Dans le cas de Shemseddine, je ne pense pas que l’on puisse parler spécifiquement de “ crime d’honneur ” : du fait de l’utilisation de cagoules et des antécédents judiciaires des suspects, on a vraiment affaire à des voyous qui utilisent la violence pour tout, et pas seulement pour défendre la réputation de leur famille », ajoute-t-il au cours de cet entretien.

La notion de « crime d’honneur » est intrinsèquement liée à l’absence ou une rupture avec la protection de l’État, qui s’exprime à travers la police et la justice, a précisé le sociologue Thomas Sauvadet. (Image : RLTheis / envato)

Une notion qui n’existe pas dans le droit français contemporain

La notion de crime d’honneur n’est pas reconnue dans le droit français contemporain, suite à sa disparition de la « législation en 1791 ».

Cependant, à la racine du droit français, le droit romain permettait « l’homicide lorsqu’il est commis pour défendre la chasteté d’un membre de la famille » rappelle Mme Hostalier, dans un article publié par la revue Inflexions.

Par ailleurs, nous rappelle M. Sauvadet, « Au XIXe siècle, l’idée de punir les actes qui nuisent à l’honneur, à la réputation de la famille, était largement acceptée. L’adultère était ainsi considéré comme une atteinte à l’honneur du mari. L’article 324 du code pénal de 1810 prévoyait ainsi que le mari qui tuait son épouse et son amant surpris en flagrant délit d’adultère au domicile conjugal était excusable ».

Cependant, précise M. Sauvadet, « dans nos sociétés occidentales, les mentalités ont beaucoup évolué ces dernières décennies. À telle enseigne que ce qui était une excuse légale ou judiciaire est devenu une circonstance aggravante ». Ce renversement de perspective et de sensibilité est confirmé par la réaction sociale à ces « crimes d’honneur », qui les condamne avec la plus grande sévérité, ajoute-t-il.

Il reste tout de même difficile d’associer la notion d’honneur à celle de crime

Dans la revue Inflexions, 2014/3 (N°27), Mme Françoise Hostalier aborde la notion d’honneur dans l’article Crime d’honneur, en ces termes : « Dans les pays où règne l’État de droit, qui sont munis d’une justice et de forces de l’ordre à son service, la notion d’honneur s’accorde avec le droit public et se révèle être un vecteur de comportements vertueux ».

La notion de « comportements vertueux » est ainsi directement associée à celle d’honneur. « Honneur. Un mot qui se décline presque à l’infini, reflétant des valeurs positives : " La place d’honneur ", “"en l’honneur de…", " membre d’honneur "… L’une des plus belles marques d’estime que la nation française matérialise à ceux de ses membres méritants n’est-elle pas de les nommer dans l’ordre de la Légion d’honneur ? » poursuit-elle dans son analyse.

« L’actualité, régulièrement, relate ces crimes épouvantables. (…) Crimes d’honneur ? C’est ainsi que sont qualifiées ces atrocités, ce qui permet le plus souvent à leurs auteurs de rester impunis. Mais il n’est pas rare que d’autres motifs que l’atteinte à l’honneur d’un homme ou d’une famille soient la cause de ces crimes. Il peut en effet sembler plus facile à un homme de se débarrasser de sa femme en la tuant plutôt qu’en la répudiant. Et le meurtre, estampillé crime d’honneur, non seulement résout le problème mais apporte à l’homme prestige et autorité lui garantissant le respect de sa future belle-famille avec, parfois en plus, le paiement d’une dette de la part de l’ancienne. Il suffit par exemple d’invoquer l’adultère pour obtenir le droit de tuer et l’impunité quasi automatique après le passage à l’acte », précise-t-elle dans son article.

En effet, cette notion de crimes d’honneur serait apparue dans les médias, dans les années 1990, nous précise Thomas Sauvadet. « C’est la décennie où l’on constate une rupture entre certains quartiers pauvres et les institutions, à travers deux facteurs : d’un côté le chômage et la précarité, et de l’autre, la montée de la consommation et du trafic de stupéfiants, qui transforme les petits trafiquants en vrais voyous », explique-t-il dans son entretien.

Pour reprendre les termes de Mme Hostalier : « Actuellement, les crimes d’honneur sont le plus souvent perpétrés dans des pays où la violence rythme les activités humaines », ce contexte ne semble pas être celui de la France d’aujourd’hui. (Image : bialasiewicz / envato)

Pour en revenir au meurtre de ce jeune lycéen « prometteur », comme l’a précisé le maire de la ville Jean-Marie Vilain : « Les gens sont atterrés par ce qu’il se passe, c’est la stupeur de voir comment on peut arriver à ce degré de violence, en plus pour un motif futile », a expliqué le maire centriste.

L’éradication de ces crimes d’honneur ne pourra se faire qu’avec le développement de l’éducation et la lutte contre les extrémismes religieux, avait déjà précisé en 2014 Mme Hostalier dans son article.

Alors, dans un pays qui repose sur des principes issus des droits de l’homme, il serait peut-être plus sage de ne plus associer les notions de « crime » et « d’honneur », car pour reprendre les termes de Mme Hostalier : « Actuellement, les crimes d’honneur sont le plus souvent perpétrés dans des pays où la violence rythme les activités humaines », ce contexte ne semble pas être celui de la France d’aujourd’hui.

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