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Histoire. Félix Arnaudin, l’homme qui sauva la mémoire de la Grande Lande

FRANCE > Histoire

La Grande Lande est une région de forêts mixtes, façonnée par des siècles de défrichements et d’ensablement, qui ont appauvri les sols et transformé le paysage en une vaste terre marécageuse. Au XIXe siècle, des projets d’assainissement viennent bouleverser la vie paysanne. C’est alors que Félix Arnaudin entre en scène pour immortaliser le quotidien des habitants de la Grande Lande.

Cette transformation a fait des Landes le plus vaste massif forestier de France, remplaçant un monde paysan fondé sur les usages collectifs des landes par un modèle agro-industriel centré sur l’exploitation de la résine, du bois, puis du tourisme.

Félix Arnaudin, l’homme qui sauva la mémoire de la Grande Lande
La maison de Félix Arnaudin, actuellement, la maison des photographies. (Image : wikimedia / Jibi44, CC BY-SA 3.0)

La vie de Félix Arnaudin

Félix Arnaudin est né le 30 mai 1844 à Labouheyre, dans une famille paysanne aisée vivant des revenus de plusieurs métairies. À cette époque, la Grande Lande était une région isolée, marécageuse et exposée au paludisme, où les habitants travaillaient la terre et gardaient leurs troupeaux dans un environnement rude. Attaché à cette « lande authentique », Félix Arnaudin a pu, grâce à ses rentes, parcourir son pays dès l’âge de trente ans, à pied ou à bicyclette.

Il ne s’est jamais marié, mais était profondément amoureux de Marie, la servante de ses parents. Cet amour, resté silencieux, était rendu impossible par les conventions sociales de l’époque : dans la société landaise du XIXe siècle, une relation entre un fils de propriétaires et une domestique heurtait les normes sociales et familiales. Respectueux de ces limites, Félix Arnaudin est resté seul.

Félix Arnaudin, l’homme qui sauva la mémoire de la Grande Lande
Les Sarcleuses à Lüe Grué.F. Arnaudin, 7 juin 1895. (Image : wikimedia / Félix Arnaudin / Domaine public) 

Il a consacré sa vie à recueillir la mémoire de son pays : la langue gasconne, les récits populaires, les coutumes, les chants, les paysages et les bâtis. Il a laissé plus de 3 000 photographies sur plaques de verre, véritables témoins d’un monde disparu. De son vivant, il fut souvent raillé, marginalisé, perçu comme un original.

Félix Arnaudin est mort le 6 décembre 1921, dans sa maison natale de Labouheyre, dans l’indifférence générale. Ce n’est que bien plus tard que son œuvre a été reconnue comme un trésor ethnographique et patrimonial.

Félix Arnaudin, l’homme qui sauva la mémoire de la Grande Lande
Les lavandièresde Félix Arnaudin. (Image : wikimedia / Félix Arnaudin / Domaine public) 

Félix Arnaudin, le plus grand ethnographe du territoire landais

Félix Arnaudin a consacré sa vie à préserver la mémoire d’un monde rural en voie de disparition. Avec une rigueur d’ethnographe, il a recueilli près de 1 200 contes populaires, publié un dictionnaire gascon-français et documenté minutieusement les traditions, récits, chants et modes de vie de la Grande Lande. Son œuvre comprend aussi un exceptionnel corpus de 3 000 photographies sur plaques de verre, véritables témoins du quotidien paysan, conservés notamment au musée d’Aquitaine.

Il est profondément affecté par la transformation de son pays. Le boisement massif met fin aux communaux, ces terres communales partagées par les habitants entre culture et pâturage. Elles permettaient de garder une autonomie et une solidarité entre villageois. Il a voulu « sauver de l’oubli le vrai visage de son pays », comme il l’explique dans ses écrits. Bien plus qu’un observateur, Félix Arnaudin était un passeur de mémoire, l’un des premiers ethnographes populaires du territoire landais.

Félix Arnaudin, l’homme qui sauva la mémoire de la Grande Lande
Chapelle Saint-Pierre de Mézos. De Félix Arnaudin 1906. (Image : wikimedia / Félix Arnaudin / Domaine public) 

Petit conte gascon issu du recueil de Félix Arnaudin

Parmi les trésors que Félix Arnaudin a sauvés de l’oubli dans les Landes figure ce conte court mais mordant, transmis de génération en génération dans les veillées gasconnes. Sous son apparente simplicité, il cache une leçon universelle : ceux qui attendent tout des autres ou du Ciel finissent souvent les mains vides…

Lou May-Pares (version gasconne d’origine)

Un còp i aviá un òme tant may-pares que li caliá ajuda per se levar la man fins a la boca.
Il était une fois un homme si paresseux qu’il lui fallait de l’aide pour lever la main jusqu’à sa bouche.

Un jorn, visquè un lop passar emb un agla dins la boca.
Un jour, il vit un loup passer avec un agneau dans la gueule.

«Acò me faré plan,» pensè l’òme.
« Voilà qui m’irait bien », pensa l'homme.

Mas, puslèu que de córrer après l’agla, s’alonguèt per tèrra, dubriguèt la boca e diguèt :« Se Dieu vòu que menge, lo lop me’n balharà un bocin.»
Mais au lieu de courir après sa nourriture, il s’allongea par terre, ouvrit la bouche, et dit : « Si Dieu veut que je mange, le loup me donnera un morceau ».

E esperèt, esperèt, esperèt… tant que moriguèt de fam.
Il espéra, espéra, espéra...tant qu'il mourut de faim.

Félix Arnaudin, l’homme qui sauva la mémoire de la Grande Lande

Petit poème de Félix Arnaudin

Félix Arnaudin n’était pas seulement photographe et conteur. Il écrivait aussi des poèmes en gascon, dans une langue simple mais vibrante, habitée par les vents de la lande, les souvenirs d’enfance et la solitude. Ce court poème, extrait de ses Poésies Landaises, évoque l’éphémère, la mémoire et la foi dans un monde en voie d’effacement.

Félix Arnaudin, l’homme qui sauva la mémoire de la Grande Lande

Collaboration Eveline Boileve

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