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Chine. Xu Qinxian, le général-courage : l’homme qui refusa de participer au massacre de Tiananmen

ACTUALITÉ > Chine

En 1989, alors que les manifestations de la place Tiananmen balayaient Pékin, l’armée chinoise ordonna à son 38ème groupe d’armées d’élite de se rendre dans la capitale pour faire respecter la loi martiale. Mais son commandant, le général de division Xu Qinxian, 54 ans, refusa de signer l’ordre de mobilisation, un acte de désobéissance sans précédent au sein de l’Armée populaire de libération (APL). Il a ensuite été démis de ses fonctions et condamné dans le plus grand secret.

Une vidéo inédite refait surface après 34 ans

Le 25 novembre, Wu Renhua, témoin des événements de Tiananmen et chercheur : en tant qu’ancien professeur à l’Université de sciences politiques et de droit de Chine, a publié pour la première fois l’enregistrement complet du procès militaire de Xu Qinxian sur X (ex Twitter) d’une durée de six heures. Wu Renhua l’a d’abord téléchargé sur Internet Archive (une bibliothèque numérique), mais le fichier a été supprimé peu après. Des copies ont depuis refait surface sur YouTube.

Wu Renhua a décrit cet enregistrement comme « le document le plus important » qu’il ait découvert en plus de trente ans d’étude du mouvement de Tiananmen.

Il a écrit : « Cet enregistrement a été extrêmement difficile à obtenir et comportait un risque politique important. Le tribunal militaire de la région militaire de Pékin a tenu un procès secret, et le président du tribunal a déclaré officiellement : " Cette affaire relève du secret d’État. " À ce jour, tous les documents relatifs au procès de Xu Qinxian restent classifiés ». 

Deux semaines avant sa diffusion, M. Wu a reçu de manière inattendue l’intégralité de la vidéo. L’envoyeur n’a formulé qu’une seule demande : ne jamais révéler sa source.

Plus tôt, le 16 novembre, Wu Renhua avait publié des captures d’écran des images du procès accompagnées d’un bref résumé des actions de M. Xu en 1989.

Il a souligné que Xu Qinxian avait été un témoin direct du mouvement étudiant. Lors d’une réunion opérationnelle de la région militaire de Pékin le 17 mai, un ordre signé par le président de la CMC (Commission militaire centrale) Deng Xiaoping et le vice-président Yang Shangkun visant à déployer des troupes à Pékin avait été annoncé. Zhao Ziyang, premier vice-président de la CMC, refusa de signer.

M. Xu se leva et déclara qu’il ne mènerait pas ses troupes dans la capitale. « Je préférais être décapité que d’être un criminel aux yeux de l’histoire », affirma-t-il.  

La 38ème armée était la force phare de l’APL, connue sous le nom de « Garde impériale » et d’« Armée des dix mille ans ». Le refus de M. Xu scandalisa Deng Xiaoping et Yang Shangkun. Il fut immédiatement relevé de son commandement, arrêté par le Département politique général et remis à un tribunal militaire, qui le condamna à cinq ans de prison. Après avoir purgé sa peine à la prison de Qincheng, il fut transféré à Shijiazhuang, dans la province du Hebei.

M. Xu Qinxian est décédé le 8 janvier 2021 à l’âge de 86 ans.

Xu Qinxian : un procès scénarisé révélant des détails sensibles

Le procès de M. Xu a eu lieu le 17 mars 1990 dans une salle d’audience militaire de Pékin.

L’enregistrement montre une procédure formelle pour l’essentiel. Les procureurs ont condamné le mouvement de 1989 et accusé Xu Qinxian de « s’opposer ouvertement au Comité central du Parti ». Tout au long du procès, M. Xu est resté ferme et calme. Les images révèlent également des détails sensibles sur les opérations militaires menées pendant la répression de Tiananmen.

Xu Qinxian a déclaré à la Cour : « Des événements comme celui-ci doivent résister à l’épreuve de l’histoire. Un incident peut ne pas être clair à court terme, mais l’histoire révélera la vérité. Exécuter un tel ordre peut être considéré comme méritoire, ou cela peut faire de nous des criminels dans l’histoire. »

Il a poursuivi en ces termes : « Les armes à la main, je n’aurais pas pu donner cet ordre. La Commission militaire centrale peut me nommer ou me révoquer. Mais, cet ordre, je ne pouvais ni l’accepter ni l’exécuter. La direction aurait dû trouver quelqu’un d’autre ».

Le journaliste de Pékin Gao Yu a par la suite indiqué que M.Xu avait été emprisonné dans l’unité 203 de Qincheng, la section réservée aux prisonniers politiques considérés comme les plus sensibles. Cette unité abritait des personnalités telles que Yao Wenyuan, Qi Jinghe (secrétaire de Kang Sheng), Jiang Qing, Zhang Chunqiao et Bao Tong.

Selon Gao Yu, Xu Qinxian incarnait la position anti-massacre de l’armée, Bao Tong celle de la politique, et Zhao Ziyang, bien que jamais inculpé, la personnalité la plus haut placée à s’être opposée à la répression.

Réaction du public : « un véritable héros »

La diffusion de ces images a suscité une vague d’hommages en ligne :

● « Un grand soldat et un véritable homme de fer. »
● « Un véritable héros. »
● « Son courage restera gravé dans l’histoire. »
● « Ces images sont inestimables — le général Xu restera à jamais dans nos mémoires. »

Un autre internaute a écrit ces mots : « Il avait compris que cet ordre pouvait faire de l’Armée populaire de libération les criminels de l’histoire. Et l’histoire lui a donné raison ».

Un participant au mouvement de 1989 a déclaré : « J’étais là. J’ai pleuré en regardant ces images. C’était un simulacre de procès, mais c’était surtout un véritable honneur ».

Une fuite provenant d’un organisme non-officiel ?

Le commentateur Cai Shenkun a suggéré que la fuite provenait peut-être d’une agence secrète. « À un moment où les rumeurs d’agitation au sein de l’armée ne cessent de circuler, le timing est remarquable. »

Il a souligné que l’APL fait actuellement l’objet d’une purge radicale, ce qui inquiète les officiers à tous les niveaux. « La diffusion de ces images », a-t-il déclaré, « pourrait aider à orienter l’armée vers ce que certains considèrent comme la " bonne " voie. »

Le jour suivant la diffusion de l’enregistrement sur Internet, le 26 novembre, le PCC a brusquement limogé le directeur de l’Administration nationale pour la protection des secrets d’État, Li Zhaozong, ainsi que son adjoint, Shi Yingli. Cai Shenkun a qualifié le limogeage simultané des deux responsables de « très inhabituel » et s’est demandé s’il s’agissait d’une sanction à la suite d’une fuite considérée comme majeure. 

Documents déclassifiés : estimation du nombre de morts à 10 454 

Les sources publiques décrivent le mouvement de Tiananmen de 1989 comme une poussée nationale en faveur de réformes politiques après la mort de Hu Yaobang. Les manifestations ont duré près de deux mois avant la répression militaire des 3 et 4 juin.

Comme le PCC continue de censurer l’information, les estimations du nombre de victimes varient considérablement, allant de plusieurs centaines à plus de dix mille.

Un rapport interne du ministère de la Sécurité publique daté du 10 juillet 1990 fait état de 931 morts et plus de 22 000 blessés dans tout le pays. À Pékin, il recense 523 morts parmi les civils et 45 parmi les militaires et les policiers, ainsi que 11 570 blessés.

En 2014, un document déclassifié de la Maison Blanche citait une source interne de Zhongnanhai affirmant qu’il y avait eu environ 10 454 morts et 40 000 blessés, chiffres tirés des rapports du commandement de la loi martiale.

En 2017, les Archives nationales britanniques ont publié des dossiers citant un membre du personnel du Conseil d’État chinois qui affirmait qu’« au moins plus de 10 000 » civils avaient été tués.

Rédacteur Yasmine Dif

Source : Secret Tiananmen Trial Video Surfaces After 34 Years

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