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Société. La vision du temps d’après la tradition grecque a-t-elle une résonance dans la société moderne ?

TENDANCE > Société

Décembre, dernier mois de l’année, s’apparente à l’heure du bilan. Une année c’est une fin de cycle, un jalon. Une marque palpable du temps écoulé qui correspondrait au « chronos » grec. Il serait intéressant de se pencher sur la vision du temps selon les anciens et plus singulièrement les Grecs. Pour eux le temps se déclinait suivant la triade Chronos-Kairos-Aiôn.

Chronos : filiation et représentation

La tradition grecque s’accorde à personnifier le temps sous les traits du dieu Chronos. La version la plus répandue considère que Chronos est le fils de Gaïa, déesse de la terre et d’Hydros, dieu des eaux primordiales. De son union avec la déesse Ananké, allégorie du destin, seraient nés les trois enfants Chaos, Aether et Phanès. Une autre version retient que Chronos serait le père des Heures, la représentation des 12 heures du jour et de la nuit.

Le dieu Chronos se représente de deux manières : soit sous l’aspect d’un serpent à trois têtes (homme, taureau et lion), soit sous les traits d’un homme âgé affublé de deux ailes noires et d’un sablier. Cet homme a une longue barbe grise et est vêtu d’une toge.

Chronos et Cronos : une proximité propice à la confusion

La vision du temps correspondant au concept de chronos est le temps linéaire, mesurable, le temps de la montre et du calendrier. Le temps qui s’écoule de façon inexorable, celui qui se segmente en heures, minutes et secondes et se divise d’après le passé, le présent et le futur. Le mot grec « chronos » signifie « temps », ce qui a donné en français « chronique », « chronologie » et d’autres mots dérivés, liés à la notion de temps.

La vision du temps d’après la tradition grecque a-t-elle une résonance dans la société moderne
Chronos est souvent représenté sous les traits d’un homme âgé affublé de deux ailes noires et d’un sablier. Cet homme a une longue barbe grise et est vêtu d’une toge. (Image : wikimedia / Mutter Erde / Domaine public)


Les Grecs faisaient la distinction entre Chronos et Cronos souvent confondus à tort. Cronos fils d’Ouranos, dieu du ciel et de Gaïa est le dieu qui dévore ses enfants à la naissance. Selon certains experts Cronos lui aussi a les attributs du temps. Omniprésent dans l’existence, le temps nous dévore dès les premières heures de la vie sur Terre. La confusion entre les deux divinités semble inévitable.

Kairos ou le temps personnel et intuitif

Kairos, dieu de la chance, était le plus jeune fils de Zeus. Il est décrit comme un petit dieu au pied ailé doté d’une touffe de cheveux sur son crâne rasé. Il existe une statue de Kairos sculptée sur un bas-relief. Le poète Posidippe né au IIIe siècle av. J.-C. et contemporain d’Aristote présente le personnage dans un dialogue poétique imaginaire. En réponse à la question  « Qui es- tu ? », Kairos dit à son interlocuteur : « L’occasion, qui dompte tout ».

« Mais pourquoi es-tu chauve, sur le derrière du crâne ? » poursuit ce dernier. L’intrépide dieu ailé rétorque : « Parce que nul ne m’agrippera par derrière, quelque envie qu’il en ait, une fois que je l’aurai dépassé, avec mes ailes aux pieds ».

Celui qui voit Kairos et qui le saisit par sa touffe de cheveux aura su « saisir l’occasion » en temps opportun, au bon moment. Ni trop tôt, ni trop tard. Le mot latin « opportunitas » a donné le mot français « occasion » tiré de l’ancien français « ochaison ». Le Kairos s’oppose au Chronos linéaire et quantifiable. Il s’agit d’un temps intime dicté par l’intuition. Par exemple l’intuition du médecin qui aura su déterminer à quel moment précis il devra administrer tel traitement pour combattre la maladie. Ou bien de l’homme politique qui choisit tel instant pour faire le bon choix. Dans la vie courante, une voix intérieure ne manque pas d’indiquer quel est le bon moment pour passer à l’acte. La notion de Kairos difficilement traduisible en français conjugue à la fois la notion de temps, d’action et d’efficacité chère à Aristote et Hippocrate.

La vision du temps d’après la tradition grecque a-t-elle une résonance dans la société moderne
Aiôn incite à considérer le temps à l’échelle cosmique et conduit à observer le retour des saisons, le mouvement des constellations, de la lune et du soleil, le rythme du sommeil, de la respiration, etc. (Image : Valiphotos / Pixabay)

Aiôn : un temps cyclique d’une grande complexité

Aiôn ou Aïon, c’est le troisième concept du temps dans la pensée grecque. Moins connu, il est d’une grande complexité. Personnifié comme le dieu de l’éternité, Aiôn est généralement associé au zodiaque et aux cycles. Il représente un temps qui n’a ni commencement ni fin. Aiôn peut désigner aussi bien l’âge, la destinée que la génération ou l’éternité. De nos jours, le terme « aiôn » est parfois assimilé à « éon » qui en géologie désigne une période très longue. Par opposition à Chronos, temps matériel et Kairos, le temps intuitif, Aiôn incite à considérer le temps à l’échelle cosmique. Cette autre vision du temps conduit à observer le retour des saisons, le mouvement des constellations, de la lune et du soleil, le rythme du sommeil, de la respiration, etc. C’est pourquoi il est souvent perçu comme le temps cyclique.

La vision du temps propre à la tradition grecque préconise une approche plus complète et plus équilibrée des trois composantes Chronos, Kairos et Aiôn. Une telle approche invite à prendre plus de distance dans notre rapport au temps afin précisément de s’affranchir du temps.

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