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Culture. Les concepts d’amour et de bienséance dans Le Rêve dans un pavillon rouge  

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« L’amour ne sait pas où il commence, mais il est profond ». Cette ligne qui provient du roman Le Rêve dans un pavillon rouge a résonné dans le cœur de milliers de Chinois. De nos jours, la compréhension que les gens ont de l’amour varie : pour certains elle est souvent liée aux fleurs et aux bagues en diamant, alors que pour d’autres elle est illustrée par l’amour passionné entre un homme talentueux et une belle femme…. Mais cet amour, tel qu’il est compris aujourd’hui, est-il vraiment tout ce qu’il y a de beau dans les émotions ? Existe-t-il un tout autre aspect, voire un plus beau côté dans les relations humaines que celui-là ?

Aujourd’hui, nous allons explorer un autre type d’histoire émotionnelle à travers le classique littéraire familier Le Rêve dans un pavillon rouge.

Le Rêve dans un pavillon rouge : un classique de la littérature chinoise

Le Rêve dans un pavillon rouge est un roman vaste et riche qui semble pouvoir contenir tous les hauts et les bas de la vie. Les lecteurs prennent plaisir à le lire, car souvent ils y trouvent leurs propres identifications. Ils se projettent sur Jia Baoyu, l’adulte réticent qui est en chacun. Ils s’identifient à Lin Daiyu, l’enfant blessé que certains portent en eux. Ils apprécient aussi la relation entre Jia Baoyu et Lin Daiyu qui personnifient l’amour auquel chacun aspire. …Cependant, cette projection de valeurs personnelles n’amène-t-elle pas plutôt à négliger les aspects les plus émouvants du roman ?

Dans le chapitre d’ouverture du roman Le Rêve dans un pavillon rouge, sur la rive du Fleuve de l’Esprit, près du Rocher de Trois Réincarnations, la vie précédente de Jia Baoyu est le Jeune Servant Divin, tandis que la vie précédente de Lin Daiyu est une Herbe Immortelle Jiang Zhu. Le Jeune Servant Divin arrose l’Herbe Immortelle Jiang Zhu avec de la rosée douce. Un jour le Jeune Servant Divin fait part de son souhait qui est de descendre dans le monde mortel. L’Herbe Immortelle Jiang Zhu exprime le souhait de descendre avec lui et d’utiliser les larmes de sa vie, afin de rembourser la gentillesse du Jeune Servant Divin qui l’a constamment entretenue avec son arrosage. C’est ainsi qu’aurait commencé la relation prédestinée entre Jia Baoyu et Lin Daiyu.

En lisant cette histoire, certains se souviendront peut-être de l’amour qui traverse plusieurs vies dans les fictions télévisées : il semble pour beaucoup que seul un tel amour est beau. À tel point que certains négligent souvent le fait que la relation prédestinée entre le Servant Divin et l’Herbe Immortelle Jiang Zhu a commencé par la gentillesse, et non par l’amour comme on pourrait l’imaginer. C’est à cause de cette bonté que l’ancienne vie de Lin Daiyu, l’Herbe immortelle, a voulu « rembourser la bonté de l’irrigation » en venant sur terre et en se liant à Jia Baoyu. Ainsi, le développement des émotions entre Jia Baoyu et Lin Daiyu dans ce monde mortel était en fait dû à cette bonté.

Les concepts d’amour et de bienséance dans Le Rêve dans un pavillon rouge
Les lecteurs du roman Le Rêve dans un pavillon rouge apprécient la relation entre Jia Baoyu et Lin Daiyu qui personnifient l’amour auquel chacun aspire. (Image : wikimedia / Ivan Walsh / CC BY 2.0)

Mais, quelle est donc la relation entre Jia Baoyu et Lin Daiyu dans le monde mortel ?

Pour ceux d’entre vous qui ont projeté le drame moderne dans leur lecture, vous pouvez penser qu’en raison de leurs vies passées, Jia Baoyu et Lin Daiyu n’avaient pas besoin d’une raison pour tomber amoureux au premier regard. Voyons un peu ce que dit le roman.

Dans le roman, lorsque Lin Daiyu arrive chez Jia Baoyu, elle est particulièrement appréciée par toute la famille. Jia Baoyu et Lin Daiyu avaient les faveurs de la grand-mère de Jia Baoyu : ils ont pu vivre avec elle dans sa cour. Le texte original dit que Jia Baoyu « passait beaucoup de temps avec Lin Daiyu dans la chambre de la grand-mère ». Il était donc un peu plus familier avec elle qu’avec ses sœurs. Tous deux ont grandi en mangeant à la même table et en dormant dans la même chambre. C’est cette amitié, qui s’est développée au fil des années paisibles, qui s’est transformée en amour.

Par conséquent, la relation entre Jia Baoyu et Lin Daiyu n’est pas le genre de passion impulsive que l’on voit souvent dans les drames télévisés. Mais plutôt une relation qui s’est construite autour d’une entente mutuelle : sur le fait de passer du temps ensemble et d’apprendre à bien se connaître. C’est ce que nous appelons souvent le « destin ». La servante de Lin Daiyu, Zijuan, dit aussi : « La chose la plus rare est d’avoir grandi au même endroit en tant qu’enfant, et de connaître le tempérament de chacun ».

Alors qu’un moment de passion est un exutoire au désir, la relation entre Jia Baoyu et Lin Daiyu est une relation de longue date. C’est précisément parce que leurs sentiments ne sont pas impulsifs et complaisants que les échanges entre les deux dans le livre sont si émouvants.

Par exemple dans un passage, alors qu’ils viennent de se réconcilier, après une dispute, Lin Daiyu dit à Jia Baoyu: « Il fait froid aujourd’hui, alors comment se fait-il que vous ayez enlevé votre cape verte ? ».

Dans un autre passage, Jia Baoyu s’apprête à partir, mais revient sur ses pas pour s’enquérir de la santé de Lin Daiyu : « Les nuits sont de plus en plus longues de nos jours, combien de fois avez-vous toussé dans la nuit ? Combien de fois vous êtes-vous réveillée ? » Combien d’entre nous peuvent avoir des âmes sœurs aussi délicates et attentionnées dans leur vie ?

Dans un autre passage, lors du banquet d’anniversaire au Yi Hong Yuan, Jia Baoyu prend soin de Lin Daiyu à travers ces mots : « Soeur Lin a peur du froid, alors elle peut s’assoir par ici contre le mur en lattes », il a même rapporté un dossier pour Lin Daiyu, ce qui exprime le souci qu’il peut avoir d’elle.

Ce sont certes des petites choses ordinaires, quotidiennes, mais elles ne nous sont pas étrangères, car elles ont traversé les siècles. Il n’y a pas de roses ni de diamants, pas de grandiloquence, pas de mots pour exprimer l’affection entre les deux, juste la prévenance et l’attention que l’un porte à l’autre dans le quotidien de la vie. Certains ont-ils le sentiment que, dans les écrits de Cao Xueqin, le véritable amour est séparé du désir ? Le véritable amour est le résultat du destin, et sa beauté vient de la grâce de l’attention mutuelle, qui à son tour est l’incarnation d’une belle personnalité.

Les concepts d’amour et de bienséance dans Le Rêve dans un pavillon rouge
Considérer les émotions authentiques dans Le Rêve dans un pavillon rouge comme une rébellion contre les rituels féodaux, comme le préconise le Parti communiste chinois (PCC), est une grave incompréhension du sens profond de ce classique littéraire. (Image : wikimedia / Sun Wen (1818-1904) / Domaine public)

Alors d’où vient la belle personnalité de Jia Baoyu et de Lin Daiyu ?

À en juger par le début de leur relation, la gentillesse entre le Servant Divin et l’Herbe Immortelle, la gratitude de l’Herbe Immortelle relève d’un esprit confucéen de bienséance. Par conséquent, considérer les émotions authentiques dans le roman Le Rêve dans un pavillon rouge comme une rébellion contre les rituels féodaux, comme le préconise la propagande du Parti communiste chinois (PCC), est une grave incompréhension du sens profond de ce classique littéraire. Le Rêve dans un pavillon rouge ne s’oppose pas aux rituels confucéens comme le suggère le PCC. Au contraire, l’éducation confucéenne de la personnalité est le début de cette histoire.

L’amour véritable dans Le Rêve dans un pavillon rouge ne dégénère pas en désir. L’amour véritable ne se limite pas à l’amour superficiel comme on peut le comprendre aujourd’hui. Dans la scène émouvante où Jia Baoyu rend hommage à la défunte Qing Wen et écrit pour elle « l’Éloge funèbre de la fille de l’hibiscus », il suit également les rituels de la culture traditionnelle, en disant qu’il doit être bien habillé et bien présentable, afin de montrer sa sincérité et son respect pour Qing Wen. Avant d’écrire les rituels, il présente le repas préféré habituel de Qing Wen et la salue devant les fleurs d’hibiscus. Ces rituels étaient tous les gestes authentiques de Jia Baoyu : l’expression de ses beaux sentiments.

En revanche, aujourd’hui, ne savons-nous plus aimer et être aimés parce que nous avons oublié le sens des bonnes manières et de la droiture ? Dans les relations intimes, beaucoup de personnes prennent trop et négligent de donner en retour. Les gens ne prennent pas au sérieux l’amour et la gentillesse qu’ils reçoivent de ceux qu’ils sont destinés à aimer, jusqu’à ce qu’ils les gaspillent. Les relations interpersonnelles perdent également la retenue et le respect mutuel parce qu’ils n’ont pas le sens de l’étiquette.

En fait, l’étiquette traditionnelle n’est pas une existence de type « camisole de force » ou un fardeau extérieur, comme nous le pensons. Selon le professeur Ou Li-juan, du département de littérature de l’université nationale de Taïwan, « le rituel est quelque chose qui ne peut être pratiqué que par ceux qui sont motivés, et même à travers l’acte du rituel, cela façonnera à son tour notre cœur …Le rituel peut également aider à faire preuve de retenue et d’auto-ajustement, et ainsi entrer dans un état de civilisation ».

C’est grâce aux rituels traditionnels que les amitiés entre Jia Baoyu et Lin Daiyu, et entre Jia Baoyu et Qing Wen, sont pleines de retenue et de cordialité. Ils ne se servent pas l’un de l’autre comme objet de désir cathartique. Et la beauté de leur relation est quelque chose que nous pouvons difficilement trouver dans la littérature et la vie modernes.

Nos ancêtres avaient l’habitude de dire : « Retenez-vous et revenez à la bienséance » et « comprenez profondément la bienséance et la droiture ». Les rituels traditionnels et la droiture peuvent transformer les cœurs, sublimer les mœurs et promouvoir la bonne destinée. Mais ils sont malheureusement souvent mal interprétés dans la propagande dominante d’aujourd’hui.

Que ce soit dans le milieu universitaire, l’encyclopédie chinoise en ligne Baidu ou dans les manuels scolaires pour enfants, Le Rêve dans un pavillon rouge est invariablement présenté comme l’expression d’idées anti-traditionnelles et anti-ritualistes. De même, Jia Baoyu et Lin Daiyu sont considérés comme les précurseurs de cette idée. Le fait est que les fils et filles nobles comme Jia Baoyu et Lin Daiyu, qui sont nés dans des familles séculaires, ont été élevés avec des rituels qui étaient ancrés dans leurs moindres paroles et actes, et c’est cette éducation qui a rendu leur amitié si chaleureuse. Comment pourraient-ils s’opposer aux rituels traditionnels ?

Aujourd’hui, beaucoup de gens pensent que les rituels traditionnels sont pédants et désuets, comme si la seule façon de prouver l’avancement et l’immortalité de ce chef-d’œuvre était de tracer une ligne claire entre Le Rêve dans un pavillon rouge et les rituels. Nous sous-estimons le fait que l’étiquette et la droiture traditionnelles ont encore une signification positive aujourd’hui.

Bien que nous, vivant dans la société moderne, ne suivions pas strictement les normes anciennes pour organiser des rituels anciens, les cérémonies commémoratives pour les défunts et les ancêtres sont toujours un moyen d’exprimer nos émotions. Et la gratitude et la rétribution auxquelles l’éthique traditionnelle prête attention peuvent également favoriser une belle connexion entre les gens.

Si l’amitié authentique des personnages du roman Le Rêve dans un pavillon rouge vous a touché et a « titillé » votre curiosité, pourquoi ne pas ouvrir un classique traditionnel pendant votre temps libre et mettre en pratique ce qu’il enseigne ? Peut-être que la sagesse laissée par nos ancêtres ouvrira-t-elle une nouvelle fenêtre sur votre vie.

Rédacteur Charlotte Clémence
Collaboration Yi Ming

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