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France. La juste colère des agriculteurs pour sauver leur métier

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La France est un pays aux terroirs variés et à la production agricole riche et diversifiée. Les Français apprécient et soutiennent habituellement les agriculteurs et leur savoir-faire. Mais la plupart des agriculteurs français sont maintenant dépendants et prisonniers de la politique agricole commune (PAC), harcelés par une politique écologique contraignante dictée par l’Europe, lésés par une concurrence déloyale due à la mondialisation. Ils manifestent pour rétablir des revenus décents, se réapproprier la maîtrise de leur métier et de leur avenir.

Les agriculteurs craignent de ne plus pouvoir vivre de leur travail

Selon l’Insee, les revenus agricoles ont baissé de 40 % en 30 ans. Un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Et pourtant, la France est au sixième rang mondial dans l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires. Finalement, la mondialisation effrénée du commerce agro-alimentaire est-elle bénéfique à l’agriculture française ?

Dans cette énième crise agricole, peut-être la plus grave, et qui s’étend à plusieurs pays d’Europe, les agriculteurs ont plusieurs revendications importantes, essentielles pour leur avenir.

La juste colère des agriculteurs pour sauver leur métier
Une crise agricole qui s’étend à plusieurs pays d’Europe. (Image : Gorlovkv / envato)

Retrouver un revenu agricole décent

La première d’entre elles est certainement de retrouver une rémunération correcte. La plupart des agriculteurs vendent leurs produits à des coopératives ou à des sociétés de l’industrie agroalimentaire. Ces firmes revendent elles-mêmes, après avoir transformé et/ou conditionné ces produits, aux centrales d’achat de la grande distribution.

Cependant, les hausses de prix obtenues dans les négociations commerciales annuelles entre les industriels de l’agroalimentaire et la grande distribution, ne sont pas ou très peu répercutées sur le prix d’achat au paysan. Peut-il y avoir une participation des agriculteurs ou un contrôle sur ces négociations commerciales, de sorte que le prix couvre leurs frais de production et leur travail ?

Par exemple, les laiteries paient le litre de lait aux éleveurs environ 0,40 €. La brique de lait UHT, vendue en grand magasin, vaut en moyenne 1,07 €. C’est donc vendu au consommateur 2,7 fois plus cher qu’au départ de la ferme. N’y a-t-il pas nécessité pour les agriculteurs de pouvoir vérifier le coût réel du produit fini ?

La juste colère des agriculteurs pour sauver leur métier
Les hausses de prix obtenues dans les négociations commerciales annuelles entre les industriels de l’agroalimentaire et la grande distribution, ne sont pas ou très peu répercutées sur le prix d’achat au paysan. (Image : wikimedia / Ibex73 / CC BY-SA 4.0)

« La priorité des priorités pour les agriculteurs, c’est bien cette question du prix et du revenu et donc c’est ça la première mesure qui doit être mise en œuvre, peut-être même dans ce projet de loi d’orientation de l’agriculture qui a été évoqué, dès les semaines prochaines » réclame Laurence Marandola, porte-parole du syndicat Confédération Paysanne

Si les trois lois Egalim étaient appliquées…

Justement, les revendications des syndicats agricoles portent aussi sur la stricte application des lois Egalim, acronyme qui renvoie aux Etats généraux de l’alimentation, lancés en juillet 2017. La première loi Egalim est adoptée en 2018 et devait mettre fin à la guerre des prix des grands distributeurs dans l’alimentaire, dont les bénéficiaires ont été les consommateurs, au détriment des producteurs agricoles.

« Ce texte repense la manière dont le prix des produits est élaboré. Désormais, ce sont les agriculteurs, regroupés en organisations de producteurs pour mieux peser face aux industriels, qui proposent un prix de vente en tenant compte de leurs coûts de production. C’est ce que l’on appelle la construction " en marche avant " du prix. Parallèlement, les organisations professionnelles sont tenues de mettre en place des " indicateurs de référence " quant à ces coûts de production, ce qui doit permettre de poser des garde-fous dans les négociations commerciales » écrit Romain David sur le site Public Sénat : « Revendications des agriculteurs : comment fonctionnent les lois Egalim ? »

Des mesures sont prises aussi pour limiter les promotions de la distribution et lui permette de dégager des marges plus importantes, qui bénéficieront aussi à l’industrie agroalimentaire et finalement aux agriculteurs. C’est le principe du « ruissellement ».

Mais cette première loi ne donne pas satisfaction. Elle n’est pas assez contraignante pour les industriels et la distribution et ne garantit pas aux agriculteurs un revenu couvrant au minimum leur coût de revient.

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La loi Egalim II acte la non-négociabilité de la matière première, donc de la rémunération des agriculteurs, lors des discussions commerciales. (Image : wikimedia / Ibex73 / CC BY-SA 4.0)

La loi Egalim II, adoptée en 2021, apporte de nouvelles contraintes et garantit la traçabilité des prix. Par ailleurs, la loi acte la non-négociabilité de la matière première, donc de la rémunération des agriculteurs, lors des discussions commerciales. Le prix de cette matière première ne peut pas rentrer dans la négociation entre l’industriel et le distributeur. Par exemple, si le cours de la viande de bœuf ou du lait augmente, les supermarchés sont tenus d’ajuster l’étiquetage et de répercuter l’augmentation.

La loi Egalim III, adoptée en 2023, renforce le poids des fournisseurs dans les négociations commerciales. Si celles-ci n’ont pas abouti à la date butoir, les fabricants ne seront plus contraints de reconduire les conditions de vente de l’année précédente, ils auront la possibilité d’interrompre leurs livraisons. Le texte s’attaque également à un moyen de contournement de la législation, via l’installation de centrales d’achats à l’étranger. Ce système permet aux supermarchés d’acheter dans d’autres pays, à des conditions plus favorables, une marchandise française destinée à être revendue dans leurs rayons, en France.

« Egalim est un texte qui a été voté largement, il faut que l’on arrive à le faire respecter, c’est l’objet des réunions que j’aurai avec le Premier ministre et le ministre de l’Economie », assurait devant les sénateurs Marc Fesneau, le ministre de l’agriculture.

Des normes environnementales avilissantes et trop contraignantes pour les agriculteurs

Les agriculteurs manifestent également pour dénoncer les contraintes de la transition écologique sur leur activité. De plus, cela est perçu comme une porte ouverte à la concurrence déloyale de produits venant d’autres pays d’Europe ou d’autres continents, et qui ne sont pas contraints aux mêmes règles environnementales.

« L’accumulation des normes au quotidien s’accompagne d’une remise en question permanente des moyens de production. Elle interroge la volonté de nos dirigeants d’avoir une réelle réflexion sur la souveraineté alimentaire du pays et du continent » affirment les deux syndicats agricoles, FNSEA et Jeunes Agriculteurs.

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« En pénalisant nos agriculteurs qui respectent des normes strictes, on favorise l’importation de produits qui ne les respectent pas. » (Image :  IciakPhotos / envato)

Selon le syndicat Coordination Rurale, « le lobbying de certaines associations environnementalistes européennes a depuis quelques années déclenché la progressive transformation de la PAC en politique agro-environnementale. » Cette politique environnementale soumet les agriculteurs à un grand nombre de réglementations difficiles à appréhender et à appliquer.

En septembre 2023, le Parlement européen rappelait aux États membres d’adopter des plans d’action nationaux visant à fixer des objectifs quantitatifs, en vue de réduire les risques et les effets de l’utilisation des pesticides sur la santé humaine et l’environnement. Un rapport révèle que plus des deux tiers des États membres n’avaient pas procédé au réexamen demandé de leur plan d’action et que seuls huit États membres, dont la France, l’avaient fait, dans les délais impartis. 


Conformément à ce plan d’action national (PAN), présenté en avril 2018, ce suivi des « substances les plus préoccupantes », c’est-à-dire cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, avérés ou supposés, fait état de leur réduction drastique, passée de 5 426 tonnes en 2018 à 781 tonnes en 2021.

« N’importons pas ce que l’on interdit en France ».

« Ce slogan, placardé sur un tracteur d’agriculteur en colère, illustre (..) les conséquences que cet intégrisme [écologique] implique sur l’économie du pays, ainsi d’ailleurs que sur ce qu’on aura, in fine, dans l’assiette. Car en pénalisant nos agriculteurs qui respectent des normes strictes, on favorise l’importation de produits qui ne les respectent pas. » écrit Jean-Pierre Riou dans son article du média Contrepoints « Crise agricole : la France victime de son zèle écologique ».

Les dangers de la mondialisation agroalimentaire et d’une concurrence déloyale

Les accords du Mercosur posent problème aux agriculteurs français. Ces accords, s’ils sont validés, accélèreront encore les importations des pays de l’Amérique du Sud.

Un rapport remis au Premier ministre en avril 2020 indiquait qu’en matière de pesticides, sur un total de 190 principes actifs enregistrés et en voie de l’être au Brésil, 52, soit 27 %, ne sont pas autorisés dans l’Union.

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Les accords du Mercosur, s’il sont validés, accélèreront encore les importations des pays de l’Amérique du Sud. (Image : SteveAllenPhoto999 / envato)

Les lenteurs administratives ne sont pas en mesure de permettre à l’agriculture française de bénéficier de règles équitables, pourtant indispensables dans le cadre d’une libre concurrence. La mise en place de mesures de réciprocité des normes (mesures miroirs) destinée à ne pas importer ce qu’on interdit de produire en Europe étant extrêmement complexe et controversée.

Jean-Pierre Riou souligne encore : « À ces difficultés il convient d’ajouter la concurrence d’une main-d’œuvre à moindre coût, même au sein de l’Union, qui amène notamment les grossistes à acheter leurs pommes en Pologne alors que des récoltes cherchent preneurs en France. »

Big Brother vous surveille depuis Bruxelles

« L’agriculture est peut-être la profession la plus menacée par cette tenaille administrative qui enserre les professionnels et les transforme en exécutants de Big Brother pour bénéficier de la manne de la PAC et autres accessoires. » s’insurge Jean-Philippe Delsol dans son article sur le site Iref « Poids des normes : nous sommes tous des agriculteurs ! »

Les agriculteurs souhaitent rétablir leur liberté d’entreprendre et leur dignité. Les réglementations de la PAC (Politique agricole commune) les manipulent par des subventions, des remises, des normes et des contraintes. Ils veulent gagner leur vie par la vente de leur production agricole et non être assistés.

« Il faudra aussi remettre à l’endroit l’Europe qui nous dévore, continue Jean-Philippe Delsol, (..) revenir à grand pas à une Europe limitée et vraiment subsidiaire selon les principes qui ont présidé à sa constitution. »

Romain, un éleveur de bovins, laisse parler son cœur, dans une vidéo du média Néo : « Maintenant l’avenir… j’ai toujours de l’espoir, comme beaucoup. J’ai quand même de l’espoir. Se nourrir est un besoin fondamental de l’être humain, donc il faudra toujours de l’agriculture. Maintenant, c’est quelle agriculture ? J’espère… J’y crois encore un peu. »

En attendant que la volonté politique agisse dans le bon sens…

L’agriculture reste effectivement essentielle pour l’humanité, même si certains souhaiteraient voir les gens manger des insectes, des vers ou des steaks synthétiques. Les manifestations actuelles des agriculteurs sont un signal d’alarme pour le réveil des consciences des Français et européens, sur les questions de production agricole et de souveraineté alimentaire.

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Les circuits courts permettent aux agriculteurs de valoriser leurs produits, de retrouver un revenu décent et de rétablir une relation de confiance avec leurs concitoyens. (Image : halfpoint / envato)

Il reste encore pour beaucoup d’agriculteurs des solutions possibles à mettre en œuvre sur leurs fermes et localement pour sortir de l’impasse.

Ainsi, passer progressivement à une méthode d’agriculture biologique permet de ne plus être dépendant de tous les intrants chimiques et c’est financièrement un gain important. Les diverses méthodes d’agriculture biologique ont fait leurs preuves depuis plusieurs décennies déjà. Si les rendements sont moindres pour certaines cultures, cela est largement compensé par une meilleure vente de la production.

Dans les secteurs de l’élevage, du maraîchage, de l’arboriculture, etc.., s’orienter vers la vente directe ou en circuit court est également une décision importante qui permet aux agriculteurs (autant l’agriculture conventionnelle que l’agriculture biologique) de valoriser leurs produits, de retrouver un revenu décent et de rétablir une relation de confiance avec leurs concitoyens.

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